Le beau échappe-t-il au temps ?
Extrait du document
«
A.
L'art est lié au temps
• On ne peut pas, bien sûr, faire abstraction du temps.
Il existe une histoire de l'art, celle d'Elie Faure, par exemple.
Depuis la préhistoire, l'art accompagne l'homme et témoigne des civilisations passées.
Mais la notion d'histoire
implique celle d'évolution.
Peut-on parler de progrès dans l'art ?
• Non.
Certes, des progrès techniques sont apparus dans l'art : la photographie et le cinéma utilisent de nouveaux
procédés de couleur, de définition numérique par exemple, et le matériel s'est perfectionné.
Mais on ne peut pas
parler de progrès en art comme on le fait en science : la biologie a progressé depuis Lamarck, mais Picasso a-t-il
progressé par rapport à Léonard de Vinci ?
• Art et matérialisme historique (Marx)
"...
En ce qui concerne l'art on sait que certaines époques de floraison
artistique ne sont nullement en rapport avec l'évolution générale de la
société, ni donc avec le développement de la base matérielle qui est
comme l'ossature de son organisation.
Par exemple les Grecs comparés
aux modernes, ou encore Shakespeare.
Pour certaines formes de l'art,
l'épopée par exemple, on va jusqu'à reconnaître qu'elles ne peuvent
jamais être produites dans la forme classique où elles font époque.
Dès
que la production de l'art fait son apparition en tant que telle; on admet
par là, que dans la propre sphère de l'art, telles de ses créations
insignes ne sont possibles qu'à un stade peu développé de l'évolution de
l'art.
Si cela est vrai du rapport des divers genres d'art à l'intérieur du
domaine de l'art lui-même, on s'étonnera déjà moins que cela soit
également vrai du rapport de la sphère artistique dans son ensemble à
l'évolution générale de la société.
La seule difficulté c'est de formuler
une conception générale de ces contradictions.
Prenons par exemple l'art grec...
dans son rapport à notre temps.
Il est
bien connu que la mythologie grecque fut non seulement l'arsenal de
l'art grec mais aussi sa terre nourricière.
L'idée de la nature et des
rapports sociaux qui alimente l'imagination grecque...
est-elle
compatible avec les métiers à filer automatiques, les locomotives et le
télégraphe électrique? Qu'est-ce que Vulcain auprès de Roberts et Cie,
Jupiter auprès du paratonnerre?...
Toute mythologie dompte, domine,
façonne les forces de la nature, dans l'imagination et par l'imagination; elle disparaît donc au moment où ces
forces sont dominées réellement...
D'autre part, Achille est-il possible à l'âge de la poudre et du plomb?...
Les
conditions nécessaires de la poésie épique ne s'évanouissent-elles pas?
Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liées à certaines formes du
développement social, la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique et à certains
égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inaccessible...
...
Un homme ne peut redevenir enfant sans être puéril.
Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant et
ne doit-il pas lui-même s'efforcer à un niveau plus élevé de reproduire sa vérité? Est-ce que, dans la nature
enfantine, ne revit pas le caractère de chaque époque, dans sa vérité naturelle? Pourquoi l'enfance historique
de l'humanité au plus beau de son épanouissement n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui ne
reviendra plus ?" MARX
Ce fragment sur le problème de l'art appartient à un texte de 1857 Introduction générale à la Critique de
l'économie politique que Marx ne fit pas publier.
Marx écrira deux ans après dans l'Avant-propos de la Critique
de l'économie politique.
« J'avais ébauché une introduction générale, mais je la supprime.
Réflexion faite, il
serait gênant d'anticiper sur des résultats non encore établis.
» Le texte a été publié pour la première fois par
Kautsky en 1903.
Le problème de l'art est, nous allons dire pourquoi, un des plus épineux qui puissent se poser
à un marxiste.
Les marxistes contemporains qui s'y sont attaqués (Georg Lukacs, professeur d'esthétique à
Budapest, Henri Lefebvre en France, Contribution à l'esthétique, Ed.
Sociales) ne l'ont pas eux-mêmes
pleinement résolu.
Pour aborder ce texte sur l'art il faut d'abord rappeler le principe général de la philosophie marxiste, c'est-à-dire
du matérialisme historique.
Les forces productives (l'état des techniques et des moyens de production
économiques, à tel moment de l'histoire) et les rapports de production (c'est-à-dire les relations et les conflits
des classes sociales qui en dérivent) constituent l'infrastructure de la société.
L'état et l'évolution de cette
infra-structure déterminent en dernier ressort l'état et l'évolution des superstructures culturelles : les
institutions politiques, juridiques, les idées philosophiques et religieuses, les créations artistiques par lesquelles
la société prend une conscience plus ou moins déformée d'elle-même, ne constituent pas des domaines
autonomes mais traduisent de façon plus ou moins complexe l'évolution de l'infrastructure économique et
sociale.
Marx signale quelques lignes avant le fragment que nous proposons que l'un des points délicats à
examiner est celui du « rapport inégal entre le développement de la production et celui de l'art ».
Les choses
ne sont pas simples et « il ne faut pas concevoir l'idée de progrès dans son abstraction vulgaire ».
Explication et commentaire.
»
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