L'avenir doit-il être objet de crainte ?
Extrait du document
«
A.
L'avenir doit nécessairement être objet de crainte.
– L'avenir comme privation d'être.
– La seule certitude de la mort.
B.
En étant lié aux projets et aux possibles, l'avenir ne doit pas être objet de crainte.
– Le dynamisme de la vie.
– L'expérience de la liberté dans le projet.
C.
Angoisse et liberté étant inséparables, l'avenir est davantage objet d'angoisse que de crainte.
– L'angoisse comme expérience de la liberté.
– La responsabilité.
Problématique : L'avenir n'étant pas donné, il est difficile d'en faire un objet réel ; or c'est justement parce qu'il ne
renvoie pas à de la réalité qu'il peut susciter la crainte.
L'avenir se définit comme la dimension future du temps,
privée d'existence.
Il met en jeu un principe de dégradation et de mort inquiétant.
Mais n'est-il pas aussi un aspect
de la liberté et du pouvoir que l'homme peut avoir sur sa propre existence ?
PISTES POUR LA DISSERTATION
• L'avenir doit, nécessairement et obligatoirement, être objet de crainte : L'homme se projette vers l'avenir, objet
nécessairement d'une appréhension.
L'attitude de notre conscience vis-à-vis de l'avenir est celle de l'attente,
marquée par l'instabilité et les incertitudes inquiétantes.
Nous voyons se succéder les images les plus diverses.
Or
ces images ne correspondent à rien de donné.
Le mouvement de pensée vers l'avenir ne correspond pas à un objet
au sens strict du terme.
C'est un fait que notre avenir, loin d'être donné, est incertain et ne forme pas un objet en
tant que tel.
Nous nous projetons vers une absence, nous tendons nécessairement notre esprit vers les dangers
possibles liés aux incertitudes et à la temporalité.
Aussi devons-nous nécessairement, dans cette optique, saisir
l'avenir comme objet de crainte et d'appréhension.
Car l'avenir est privation d'être : il se présente à moi non point
comme une plénitude, mais comme un non-être dangereux, ayant une existence imparfaite ou obscure.
Je dois
craindre le temps comme avenir car il me révèle mes impuissances et mes limites : je bute contre un obstacle
étrange, insaisissable, un vide fait, pétri, d'impuissance et d'étrangeté.
L'avenir ne me signale-t-il pas mon
impuissance ? Tout en lui est déséquilibre, attente vide, effort arc-bouté dans la vacuité.
Je dois nécessairement
craindre cet avenir marqué par le non-être.
C'est ce que note justement Ferdinand Alquié : « Le corps ne se tend
alors que vers l'absence, l'esprit doit se nourrir d'images imprécises, et non de souvenirs ou de sensations [...] Sans
cesse freinée et mise en réserve, notre énergie frémit et s'impatiente, esquisse des mouvements et, par là, nous
déséquilibre.
» (F.
Alquié, Le Désir d'éternité, PUF, p.
36).
Alquié a brillamment illustré la thèse psychanalytique en son « Désir d'éternité ».
Le « désir d'éternité », le
« refus du temps » dont parle Alquié à propos des passions, c'est la fixation du passionné à des circonstances de
son passé dont il est d'autant plus l'esclave qu'il n'en prend pas une conscience claire.
Les passionnés, « prisonniers
d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire sont contraints par ce souvenir à
mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire
perpétuellement reprise.
Don Juan est si certain de n'être pas aimé que toujours il séduit et toujours refuse de croire
à l'amour qu'on lui porte, le présent ne pouvant lui fournir la preuve qu'il cherche en vain pour guérir sa blessure
ancienne.
De même, l'avarice a souvent pour cause quelque crainte infantile de mourir de faim, l'ambition prend
souvent sa source dans le désir de compenser une ancienne humiliation… Mais ces souvenirs n'étant pas conscients
et tirés au clair, il faut sans cesse recommencer les actes qui les pourraient apaiser.
»
La conception de Alquié a été discutée par Pradines.
Ce dernier, tout en reconnaissant que nos
premières émotions sont parfois susceptibles d'orienter définitivement nos tendances, se refuse à voir en toute
passion l'emprise inconsciente du passé.
Le plus souvent, la passion se présente « plutôt comme l'appétit de
sensations inconnues que comme le désir de renouveler d'anciennes expériences ».
La passion charnelle n'est-elle
pas « révolte contre l'habitude » ? Sans doute, en sa conscience claire, la passionné aspire à éprouver des
sensations nouvelles.
Dans le « coup de foudre », la passion éclate brusquement, s ‘éprouve comme une découverte
que rien ne laissait présager.
Mais le témoignage de la conscience du passionné ne nous semble nullement décisif.
Les « découvertes », les « révélations » de la passion sont la réponse à une angoisse qui leur préexiste et qui ne
trouve sa signification claire que dans les événements de notre passé.
Le « coup de foudre » ne nous introduit pas
dans un monde réellement nouveau, mais réveille une ancienne nostalgie.
Si ce visage, inconnu encore de nous il y a
seulement quelques instants, nous trouble si fort, n'est-ce pas, comme le dit Alquié, que « nouveau en lui-même, il
devient pour nous l'image et le symbole d'une réalité que notre passé a connue » ? Dans le « Phèdre », Platon a
parlé de l'émotion amoureuse de l'âme qui tombe en extase devant la beauté.
Mais cette extase soudaine n'est que
le retour d'un souvenir.
Réveillée par la présence du Beau, l'âme se souvient moins obscurément de son passé
lumineux, avant l'incarnation, au paradis des Idées.
Il est permis de reconnaître en ce mythique paradis,
magiquement ressuscité par une belle apparition, le symbole métaphysique du « vert paradis » de nos « amours
enfantines » dont nos passions adultes ne sont obscurément que la résurrection nostalgique.
De la théorie psychanalytique, nous retiendrons essentiellement le caractère inconscient des processus passionnels.
L'objet de la passion résulte d'un transfert ou d'une compensation, ou d'une sublimation.
Les vraies causes de la
passion sont en nous-mêmes et non réellement dans les objets qui paraissent les solliciter.
« Orientée vers le passé, remplie par son image, la conscience du passionné devient incapable de percevoir le
présent : elle ne peut le saisir qu'en le confondant avec le passé auquel elle retourne, elle n'en retient que ce qui lui.
»
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