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L'autorité sociale suffit-elle à fonder l'obligation morale ?

Extrait du document

« A.

— Le devoir d'après la morale sociologique.

— Originalité de la conception de cette morale par rapport: — 1° aux morales scientifiques sans obligation (elle reconnaît l'existence et l'obligation du devoir) ; — 2° aux morales rationnelles indépendantes (elle n'admet ni la seule autorité de 1a raison ni l'autonomie de la volonté) ; — 3° aux morales religieuses ( elle rejette tout principe métaphysique et religieux). D'après les défenseurs de la morale sociologique, c'est l'autorité de la société qui fonde le devoir. Les philosophes partent de ce principe que seul « un être réel ou idéal, conçu comme constituant une, puissance morale supérieure à celle que nous sommes, peut avoir l'autorité suffisante pour nous imposer des lois obligatoires. Or, cet être qui nous impose ses lois, c'est la Société elle-même, dont nous sommes les membres.

Son autorité lui vient de ce qu'elle est une véritable personne à laquelle nous devons, selon A.

Comte, tout ce que nous sommes et qui est « la source et la gardienne de la civilisation.

» Comment dès lors lui refuser l'obéissance ? Nous le pouvons d'autant moins que nous faisons nous-mêmes partie de cette société et que « la vouloir, c'est vouloir en même temps .quelque chose qui nous dépasse et nous vouloir nous-mêmes.: nous ne pouvons vouloir sortir de la société sans cesser d'être des hommes » (P.-F.

Thomas). « On remarquera, dit M.

Durkheim, l'analogie qu'il y a entre ce raisonnement et celui par lequel Kant démontre Dieu : Kant postule Dieu, parce que, sans cette hypothèse, la morale est inintelligible.

Nous postulons une société spécifiquement distincte des individus, parce, que, autrement, la morale est sans objet, le devoir sans point d'attache...

» En somme, la Société prend ici la place de Dieu, comme l'Humanité le prenait, dans la théorie d'A., Comte : « Entre les deux, il faut choisir.

» B.

— Discussion.

— Cette -théorie a le mérite de reconnaître que le devoir a son point d'attache hors de l'individu, que l'obligation morale reste inexplicable et caduque sans un être supérieur a l'homme qui la légitime et l'impose.

Or il est évident que la Société n'est pas cet, être divin, principe suprême de la loi morale. a) La société n'est, en dernière analyse, qu'une collection d'individus. Or, si le devoir moral ne préexiste pas dans l'individu, comment pourrait-il apparaître dans la société ? b) Où trouver d'ailleurs, dans la société, l'expression de cette volonté souveraine, absolue, universelle ?...

Est-ce dans la législation ?...

Est-ce dans l'opinion ?...

Quoi de plus changeant, de plus versatile ?... c) Faire dépendre le principe de l'obligation murale de l'autorité sociale, c'est-à-dire, en somme, dans l'opinion régnante, n'est-ce pas, d'avance, légitimer toutes les tyrannies possibles? C.

— Conclusion.

— Si donc il faut, pour légitimer le devoir, recourir à un principe extérieur et supérieur h notre raison et à notre volonté, il faut remonter plus haut que l'autorité sociale, qui a besoin elle-même d'être légitimée; il faut s'élever jusqu'à Dieu. SUPPLEMENT: L'obligation morale est-elle d'essence sociale ? Bergson, enfin, rattache l'obligation morale à un système d'habitudes[i] sociales.

Il considère que c'est la société[ii] qui trace à l'individu le programme de son existence quotidienne.

Au fond de l'obligation morale, n'y a-t-il donc pas l'exigence sociale, issue, dit Bergson, d'une société close[iii], figée et statique. « C'est la société qui trace à l'individu le programme de son existence quotidienne.

On ne peut vivre en famille, exercer sa profession, vaquer aux mille soins de la vie journalière, faire ses emplettes, se promener dans la rue ou même rester chez soi, sans obéir à des prescriptions et se plier à des obligations.

Un choix s'impose à tout instant ; nous optons naturellement pour ce qui est conforme à la règle […].

Une route a été tracée par la société ; nous la trouvons ouverte devant nous et nous la suivons ; il faudrait plus d'initiative pour prendre à travers champs.

Le devoir, ainsi entendu, s'accomplit presque toujours automatiquement.

[…] L'essence de l'obligation est autre chose qu'une exigence de la raison.

[…] Représentez-vous l'obligation comme pesant sur la volonté à la manière d'une habitude, chaque obligation traînant derrière elle la masse accumulée des autres et utilisant ainsi, pour la pression qu'elle exerce, le poids de l'ensemble : vous avez le tout de l'obligation pour une conscience morale simple, élémentaire. C'est l'essentiel ; et c'est à quoi l'obligation pourrait à la rigueur se réduire, là même où elle atteint sa complexité la plus haute. On voit à quel moment et dans quel sens, fort peu kantien, l'obligation élémentaire prend la forme d'un « impératif catégorique ».

On serait embarrassé pour découvrir des exemples d'un tel impératif dans la vie courante.

La consigne militaire, qui est un ordre non motivé et sans réplique, dit bien qu' « il faut parce qu'il faut ».

Mais on a beau ne pas donner au soldat de raison, il en imaginera une.

Si nous voulons un cas d'impératif catégorique pur, nous aurons à le construire a priori ou tout au moins à styliser l'expérience.

Pensons donc à une fourmi que traverserait une lueur de réflexion et qui jugerait alors qu'elle a bien tort de travailler sans relâche pour les autres.. »

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