l'autonomie morale
Extrait du document
«
Introduction.
— Un grand événement de notre époque a été l'accession à l'indépendance de pays restés longtemps
sous le statut colonial.
Au lieu d' « indépendance », on dit aussi et mieux « autonomie ».
Mais comme les Etats dont
il s'agit alors, les individus et les collectivités peuvent être, eux aussi, indépendants ou autonomes.
C'est pourquoi,
pour être exact, il vaut mieux ajouter un adjectif aux mots que nous venons d'employer et dire : « l'indépendance
politique » ou « l'autonomie politique ».
L'autonomie morale, dont seules jouissent les personnes, est en effet bien
différente.
En quoi consiste-t-elle et comment y parvient-on ? En deux mots ; il s'agit de déterminer sa nature et ses
conditions.
I.
— NATURE
A.
Ce qu'est l'autonomie morale, les mots eux-mêmes le disent à quiconque en connaît le sens.
Pour « autonomie », c'est le cas ou jamais de consulter l'étymologie ; elle dit en effet l'essentiel.
Est autonome celui
qui est ou qui se fait lui-même sa loi, au lieu que l'hétéronome la reçoit d'un autre.
En classe, dans la rue, à la salle
à manger, je suis hétéronome, car je dois observer un règlement, un code, des usages que je n'ai pas établis.
Dans
ma chambre, au contraire, je me trouve autonome, car mes parents me laissent libre de la disposer à ma fantaisie et
d'y organiser moi-même l'emploi de mon temps.
Ces exemples ne relèvent pas de l'autonomie morale, au sens usuel du terme.
« Moral », il est vrai, pourrait bien,
comme il est courant, être pris comme synonyme de « psychologique » et par opposition à « physique ».
«
Autonomie morale » équivaudrait alors à « liberté morale », celle-ci étant comprise comme l'état de celui qui agit
indépendamment de toute contrainte psychologique : peur, émotion...
Mais, en fait, « morale » est pris ici dans
l'acception éthique du mot : l'autonomie morale se situe dans le domaine de la morale dont le rôle essentiel est de
se prononcer sur le bien et le mal : est donc autonome moralement celui qui ne reçoit pas la loi morale d'un autre,
mais de lui-même, de la conscience que nous qualifions de « morale ».
Le principe de la moralité réside dans l'autonomie, soit la faculté de se
déterminer soi-même de par une législation rationnelle.
L'homme est lié à son
devoir par une loi qui ne lui est pas extérieure.
Aucun intérêt ne vient le
forcer à faire son devoir, aucune force étrangère à sa propre volonté ne vient
le contraindre.
Si le devoir procédait d'une contrainte, l'homme ne serait pas libre mais
hétéronome, c'est-à-dire sous la dépendance d'une loi qui ne procède pas de
lui-même.
Le devoir ne se définit que par l'autonomie de la volonté.
Être libre
et moral, c'est agir conformément à sa propre volonté législatrice universelle.
Cette loi du devoir, bien qu'en nous, vise l'universalité.
Le principe suprême du
devoir est inconditionné et absolu.
La volonté n'y est pas intéressée, et elle
n'est pas non plus motivée par la crainte d'un châtiment ou d'une sanction s'il
y a désobéissance.
Dans l'accomplissement du devoir, la volonté est fondée
sur un principe d'autonomie : "L'autonomie de la volonté est cette propriété
qu'a la volonté d'être à elle-même sa loi (indépendamment de toute propriété
des objets du vouloir).
Le principe de l'autonomie est donc : de choisir de
telle sorte que les maximes de notre choix soient comprises en même temps
comme lois universelles dans ce même acte de vouloir."
B.
A ces données de la simple attention au sens des mots il ne sera pas
inutile d'ajouter quelques précisions.
En effet, à s'en tenir à l'étymologie, l'autonomie serait le pouvoir ou la faculté
de se donner à soi-même ses lois, de choisir librement ses règles d'action.
Cette définition est acceptable, mais à la
condition de prendre ces mots dans le sens qu'ils ont dans ce contexte.
La loi qui régit un Etat n'est pas une décision quelconque, mais une mesure générale établie pour la bonne
organisation de la cité : le souverain autonome ne fait pas et ne défait pas à sa fantaisie la législation qu'il veut ;
celle-ci, dans une grande mesure, est imposée par les circonstances ; aussi voit-on des gouvernements reprendre
les projets de loi que leurs membres avaient combattus quand ils étaient dans l'opposition.
Sans doute, le législateur
fait un choix entre diverses solutions possibles, mais ce choix n'est pas arbitraire : il est rationnel et raisonnable : le
projet de loi d'ailleurs, sinon la loi elle-même, débute par l'exposé des motifs ou des raisons.
Il faut en dire autant de la liberté.
Celle-ci est bien différente du caprice.
Celui qui se décide selon l'humeur peut
croire agir librement mais il se fait illusion : instable, il est déterminé par de petites impulsions dont, dans sa
légèreté, il n'a pas conscience.
A plus forte raison n'est-on pas libre quand on agit sous le coup d'une forte émotion
ou dominé par une passion impétueuse.
La véritable liberté, celle dont l'homme a le privilège, est le pouvoir de se
déterminer pour des motifs ou des raisons.
Ainsi l'autonomie morale consiste dans le pouvoir d'organiser sa vie, non pas d'une façon quelconque, maïs selon les
exigences de la raison.
Ces exigences, la raison ne les invente pas, l'esprit ne les pose pas en principe comme le mathématicien établit
d'une façon arbitraire son axiomatique, quitte à rester jusqu'au bout conséquent avec lui-même".
Nous les
découvrons comme s'imposant à nous ainsi qu'à tout être raisonnable.
La raison, en effet, ne m'est pas propre :
tous les hommes y participent.
Quand je légifère pour moi, je légifère pour l'humanité, et en formulant la loi je ne
suis en somme que l'écho en moi d'un plus grand que moi dont je suis participant..
»
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