L'artiste est-il déterminé ?
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Ce qu’on entend par « déterminé » est certainement une détermination sociale, au sens où sa production artistique serait le produit de sa position sociale, du contexte politique, des avancées scientifiques et techniques ou bien par son histoire personnelle, son inconscient. Mais n’est-il que cela, n’est-il celui qui est capable de s’extraire justement d’un contexte, d’une histoire pour la transcender et exprimer une réalité nouvelle.
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C e qu'on entend par « déterminé » est certainement une détermination sociale, au sens où sa production artistique serait le produit de sa position sociale,
du contexte politique, des avancées scientifiques et techniques ou bien par son histoire personnelle, son inconscient.
Mais n'est-il que cela, n'est-il celui
qui est capable de s'extraire justement d'un contexte, d'une histoire pour la transcender et exprimer une réalité nouvelle.
1) L'artiste est conditionné par son inconscient.
Si l'on se tourne vers la peinture, on observera qu'elle occupe, dans la pensée de Freud et dans la théorie psychanalytique en général, une position bien
différente.
Les références à l'objet pictural sont très nombreuses dans les écrits, du début à la fin de l'œuvre ; un essai tout entier (Freud, 1910) lui est
consacré ; mais surtout, la théorie du rêve et du fantasme, voie d'accès majeure à la théorie du désir, est construite autour d'une esthétique latente de
l'objet plastique.
L'intuition centrale de cette esthétique est que le tableau, au même titre que la « scène » onirique, représente un objet, une situation
absents, qu'il ouvre un espace scénique dans lequel, à défaut des choses mêmes, leurs représentants du moins peuvent être donnés à voir, et qui a la
capacité d'accueillir et de loger les produits du désir s'accomplissant.
C omme le rêve, l'objet pictural est pensé selon la fonction de représentation
hallucinatoire et de leurre.
Se saisir de cet objet a v e c d e s mots qui le décrivent et qui vont servir à en comprendre le sens, c e sera pour Freud le
« dissiper », tout comme en convertissant l'image onirique ou le fantasme hystérique en discours on conduit la signification vers sa localité naturelle, celle
des mots et de la raison, et l'on rejette le voile de représentations, d'alibis derrière lequel elle se cachait.
Pour Freud en situation esthétique comme dans le
sommeil, une partie de l'énergie de contre-investissement, employée à refouler la libido, est libérée et restituée, sous forme d'énergie libre, à l'inconscient,
qui va pouvoir produire les figures du rêve ou de l'art ; ici comme là, c'est le rejet de tout critère réaliste qui permet à l'énergie de se décharger de façon
régressive, sous la forme de scènes hallucinatoires.
L'œuvre nous offre donc une prime de séduction en ceci qu'elle nous promet, de par son seul statut
artistique, la levée des barrières de refoulement (Freud, 1911).
On voit qu'une telle analyse de l'effet esthétique tend à l'identifier à un effet de narcose.
L'essentiel y est la réalisation de la déréalité qu'est le fantasme.
2) L'artiste, homme de goût est déterminé socialement.
Le goût, en effet, désigne, d'une part, un « don » personnel, d'autre part un phénomène collectif, l'orientation d'une société ou d'un milieu vers certaines
formes d'art nettement déterminées ; c'est la faculté d'éliminer, de choisir, de créer des associations heureuses, qui naît d'une certaine intuition de la
qualité, de la « saveur » des choses, parallèle en somme à celle qui s'exerce sur le plan sensoriel et gastronomique.
A u sens de phénomène collectif, le goût
n'a pas c e caractère subjectif : il est parfois une adhésion aux préférences et aux choix de personnalités marquantes d'un milieu, plus souvent le
contrecoup d'événements historiques, d'une découverte ou d'une création dans le domaine de la culture ou même de la technique.
Le goût d'une époque est
fréquemment une réaction contre celui de l'époque précédente.
Les différentes étapes de l'histoire du goût ne sont p a s l e s p h a s e s s u c c e s s i v e s d ' u n e
évolution continue, mais recèlent en elles-mêmes leur point de départ et leur terme.
C elui-ci est marqué d'abord par la création d'un style, plus ou moins
éphémère et, parallèlement, par l'apparition de modes, de « manies », d'engouements, qui s'épuisent par leur excès même.
On comprend que dans la
définition même du goût, il n' y a pas uniquement des prérogatives subjectives, mais le goût est façonné par l'entourage proche ou par la société.
3) Le goût : un déterminisme social ?
Le goût personnel est, en quelque sorte, un sixième sens, la faculté de déceler la beauté d'une forme, au-delà d'adjonctions extérieures disparates et en
faisant abstraction de l'opinion d'autrui.
C ette lucidité de l'œil, cette pénétration visuelle immédiate peut s'exercer dans des domaines très différents selon
le genre de vie, les curiosités, les activités de chacun : le choix d'objets de collection ou celui d'un vêtement, l'arrangement d'un vase de fleurs ou la
présentation d'une exposition font appel, pour une part, à une même intuition de l'harmonie, à un même sens des couleurs et des rythmes.
L'art de susciter des
accords satisfaisants, de mettre en valeur les éléments rares ou précieux d'un ensemble à première vue sans accents particuliers, dépend en partie de la formation
reçue, de l'orientation adoptée sous l'influence du milieu familial ou social et en fonction des aptitudes intellectuelles de chacun.
M ais c e s facteurs
extérieurs interviennent à des degrés divers selon la nature et l'orientation du goût.
D'une même éducation, d'un même milieu, des tempéraments divers
reçoivent des impulsions différentes.
Chaque personnalité établit spontanément une sélection dans le « matériel » intellectuel ou visuel mis à sa portée.
La
mémoire enregistre, élimine, crée des hiérarchies.
Et ce choix, déterminé par le goût, modifie l'environnement individuel, influence les choix ultérieurs et
développe les tendances majeures de la personnalité.
Il n'en reste pas moins que l'œuvre des peintres, des sculpteurs, des architectes peut exercer une influence
décisive sur le goût, soit que les artistes s'imposent d'eux-mêmes et imposent leur propre conception de la beauté, s o i t q u ' i l s s e trouvent mis en vedette,
protégés, imposés par les puissants du jour.
C itons encore une fois V oltaire : « Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avait pas parce
qu'on y prend peu à peu l'esprit des bons artistes.
On s'accoutume à voir les tableaux avec les yeux de Le Brun, du P oussin, de Le Sueur ; on entend la
déclamation notée des scènes de Q uinault avec l'oreille de Lulli, et les airs, les symphonies, avec celle de Rameau.
O n lit les livres avec l'esprit des bons
auteurs.
» Quant à l'art de cour, des palais minoens aux salons de la princesse Mathilde, certes il impose un style, mais il oriente aussi le goût, d'abord
dans le pays où il est né, puis partout où s'exerce l'influence de celui-ci.
4) L'artiste conteste le conditionnement social.
L'art moderne se donne un point de vue extérieur et une position critique à l'égard de toute culture de privilège : à la fonction idéologique de l'art classique,
elle tente de substituer une fonction de l'art qui soit réellement critique dans l'ordre culturel des rapports sociaux.
L'art étant entré dans l'air de la
consommation, l'art doit se démarquer de la production industrielle.
Dès la fin du 19e siècle, l'art a eu pour fonction d'embellir les productions de l'industrie,
l'A rt Nouveau précurseur du design a tenté de contrer le cours inéluctable du progrès technique.
La lutte contre l'uniformisation, la standardisation se
retrouve jusque dans le pop art des années 1960.
L'art contemporain tend à faire tourner les regards vers des faits de société, vers les marges, et tend à la
provocation.
Les happenings, l'art corporel, l'art brut ont une charge de contestation importante.
C 'est aussi l'idée de contre-culture qui s'est formé autour
de la Beat Generation, le rock, la culture hippie se place à l'opposé de la société de consommation.
5) L'artiste n'est pas déterminé par son époque.
C 'est justement la grandeur de l'art de dépasser les époques et de parler à l'homme bien longtemps après que la civilisation qui a vu naître l'œuvre ait
disparu.
Il s'agit bien plutôt de dépasser la particularité pour viser l'universalité et toucher le plus de monde possible.
L'artiste peut arriver à cela en
exprimant des éléments de la condition humaine qui ne changeront jamais : la mort, l'amour, la trahison, la solitude, la maladie, les différents ages de la vie.
O n lit encore M ontaigne, on admire les toiles de Jérôme Bosch, et le rire de Rabelais, bien que ces œuvres soient marquées historiquement, elles mettent au
jour des aspects de la condition humaine que d'autres artistes par la suite n'ont pas su exprimer.
Les grivoiseries de Rabelais et sa scatologie ont encore
une signification pour nous.
De même en écoutant Mozart, a-t-on le sentiment d'avoir une photographie du 1 8 e s i è c l e s o u s les yeux ou ressens-t-on
simplement des émotions à caractère presque universelles ? C 'est peut être le caractère même du plaisir esthétique de ne pas être daté historiquement, et
de ne pas tomber immédiatement dans l'interprétation esthétique.
Conclusion.
Un artiste est toujours déterminé par son époque et son histoire personnelle, mais sa capacité réside en vérité à dépasser ce déterminisme en l'exprimant,
en en révélant la profonde vérité, et même à révéler une vérité nouvelle.
M ais une véritable œuvre d'art ne peut être en rien le produit d'un déterminisme
social, elle doit au contraire dépasser l'ambiance sociale, et ne pas être l'exact reflet des préoccupations du temps.
De ce point de vue, l'artiste serait
plutôt en marge de la société..
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