L'art n'est-il qu'un divertissement ?
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«
VOCABULAIRE:
Art: 1) Au sens ancien, tout savoir-faire humain, toute pratique produisant un résultat non naturel (artificiel).
2)
Au sens esthétique moderne, production ou création d'oeuvres destinées à plaire (beaux-arts), c'est-à-dire à
susciter par leur aspect, une appréciation esthétique positive.
Oeuvre d'art : ensemble organisé de signes et de matériaux manifestant un idéal de beauté.
Peut-on restreindre la fonction de l'art à cette pure fonction, ou bien doit-on lui en attribuer d'autres ? Comment
comprendre le terme de " divertissement " ? L'art n'est-il qu'un moyen de s'amuser, de s'évader plaisamment de la
réalité ? Et alors l'art peut-il être réduit à cet aspect de loisir, de plaisir ? Ou l'art ne doit-il pas être divertissant,
dans un point de vue culturel ? Mais que faire alors de l'art documentaire, de l'art qui pousse à réagir par sa violence
(Guernica de Picasso), ou de l'artiste engagé à travers ses oeuvres ? Le divertissement est-il un terme péjoratif ? En
tant que pur divertissement, l'art n'est-il pas négligeable ? Références utiles : Kant, Critique de la faculté de juger,
§1 à 15 ; Hegel, Introduction à l'Esthétique ; Sartre, Qu'est-ce que la littérature ; Bataille, Lascaux ou la naissance
de l'art.
Introduction
La figure de l'artiste n'est pas simple à cerner.
On peut aisément remarquer que sa définition a fluctué au cours de
l'histoire.
Une opinion répandue le voit volontiers comme un génie solitaire et incompris mais un bref examen montre
que de très grands créateurs comme Le Titien furent célébrés de leur vivant et que les noms des auteurs de
certaines oeuvres nous sont à jamais inconnus.
Qui peut nommer ceux qui bâtirent et sculptèrent les cathédrales ?
Même des tableaux sont anonymes.
Aussi est-il plus rigoureux de chercher à saisir la particularité de cette figure à
partir de ses fins.
Le langage courant parle d'artistes de variétés qui affirment que leur métier est de distraire un
public fatigué et souvent contrarié par les difficultés du quotidien.
En même temps, l'art s'expose dans des musées
pour mettre ses productions à l'abri du temps.
Pourquoi ce privilège ? En tout cas, demander si l'artiste ne cherche
qu'à divertir oblige à prendre d'abord en compte le premier aspect évoqué, dont la simplicité n'est qu'apparente.
L'art n'est-il qu'un calmant pour les douleurs du quotidien ? Quels sont ses rapports avec lui ? Faire plaisir est-il une
opération innocente ?
1.
L'artiste : un enchanteur
A.
Art et plaisir
Au premier sens du terme, divertir signifie détourner, éloigner.
Son association avec l'idée d'amusement implique
donc une réalité désagréable ou morose à laquelle on s'efforce d'échapper momentanément.
Il est indéniable que
cette signification concerne la pratique artistique.
L'opinion commune déclare ainsi que le but d'un film ou d'un
spectacle est de lui faire oublier le quotidien.
Cette qualité n'est d'ailleurs pas forcément surévaluée par ceux qui la
défendent.
Le spectateur sait fort bien qu'il n'assiste pas à un chef-d'oeuvre mais réclame un droit à se faire plaisir
et apprécie les chanteurs ou les cinéastes qui lui procurent cette satisfaction.
Kant lui-même, dans sa division des
beaux-arts, donne une place aux arts d'agréments qui embellissent le
quotidien en le rendant plus agréable à l'oeil.
La décoration de jardins ou
d'intérieur, les divers ornements comme ceux liés au vêtement constituent
des avantages qu'il ne faut pas mépriser car il participent à la civilisation et
aux moeurs.
Le plaisir est donc intrinsèquement lié à l'art et on comprend qu'il
soit recherché par un public que la contrainte du quotidien fatigue.
Cette
attitude a pour intérêt de souligner la puissance de la représentation
artistique.
L'artiste est un être doué d'un pouvoir certain de plaire par ses
oeuvres.
B.
Les pouvoirs de l'imitation
L'idée de divertissement reste à préciser.
Le détournement qu'elle exprime
implique une captation de l'esprit du spectateur.
Chateaubriand fut surnommé
l'Enchanteur.
Comment se fait-il que nous soyons séduits au point de trouver
désirable de regarder des spectacles portant sur des sujets que nous ne
supportons pas dans la vie courante.
Dans son Art poétique, Boileau note «
qu'il n'est pas de serpents ou de monstres odieux qui par l'art imité ne
puissent plaire aux yeux ».
Cette phrase nous avertit de la puissance de
l'imitation.
Ce terme fait d'abord songer à une simple reproduction mais le
travail de l'artiste nous montre qu'il s'agit plutôt d'une transfiguration.
Hume le
relève et l'étudie dans son essai sur la tragédie.
Le cas s'y prête bien puisque
les scènes sont particulièrement douloureuses.
L'analyse de Hume met en
relief le pouvoir du langage.
L'éloquence des discours, le choix des mots et des rythmes agit contradictoirement sur
l'esprit du spectateur.
Il est délicieusement tourmenté.
La nature des scènes suscite en lui de la tristesse mais
celle-ci est maîtrisée par la beauté et la force des vers.
Il se produit ainsi une inversion des tendances.
La peine est
métamorphosée en contentement.
Le spectateur n'est pas abattu mais charmé par ce « plaisir qui naît au coeur de
l'incommodité ».
[Transition].
»
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