L'art exprime-t-il une réalité intérieure ?
Extrait du document
«
On imagine souvent l'art comme l'expression, la traduction simplement d'état de l'âme, les sentiments de l'artiste.
En ce sens, il serait
non pas le reflet de la fantaisie, acte gratuit mais bien le reflet d'une véritable intériorité.
Connaître parfaitement l'œuvre d'un artiste
serait connaître son âme et toutes ses facettes.
Mais l'art n'est-il que cela ? N'est-il pas aussi le reflet d'une époque, d'un peuple,
l'expression d'un sentiment religieux, une activité décorative, divertissante ?
1) L'art comme expression de l'intériorité.
L'artiste et le génie en particulier ont toujours exprimé des choses que personne encore n'avaient vu, ils ouvrent des territoires de
l'imaginaire et de l'art encore vierge.
Marcel Proust dans A la recherche du temps perdu écrit : « Par l'art seulement noue pouvons
sortir de nous, savoir ce que vois un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés
aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune.
».
Par « autre monde » il faut entendre un monde imaginaire bien différent que
ce que chacun peut voir.
Une fois lancé sur cette piste, est-il possible de s'arrêter si vite ? Par exemple, Jérôme Bosch, que beaucoup
tiennent pour le peintre fantastique par excellence, ne procure pas à tout le monde l'impression d'étrangeté irréductible, qu'il est après
tout raisonnable de proposer, jusqu'à plus ample informé, comme pierre de touche du fantastique.
Pourtant chaque détail y fait preuve
d'une invention prodigieuse : les règnes s'y croisent, les plus lointaines alliances y sont courantes, et un homme perforé par les cordes
d'une harpe est un des moindres spectacles que représentent de redondantes accumulations de merveilles.
Mais, justement, ces
merveilles accumulées finissent par constituer une cohérence ; elles dérivent d'un parti pris qui fait de la féerie une manière de
norme ; elles sont là par obligation, pour illustrer la loi d'un univers tout entier insolite.
Il est ainsi des gravures naïves qui
représentent, par exemple, le monde à l'envers, les bœufs dirigeant la charrue où les hommes sont attelés, les poissons tirant les
pêcheurs hors de la rivière, et le tout à l'avenant.
Le fantastique n'est fantastique que s'il apparaît scandale inadmissible pour
l'expérience ou pour la raison.
Si quelque décision irréfléchie ou, circonstance aggravante, méditée, en fait le principe d'un nouvel
ordre des choses, il est ruiné du même coup.
Il ne saurait plus provoquer d'angoisse ni de surprise.
Il devient l'application
conséquente, méthodique, d'une volonté délibérée qui n'entend rien laisser hors du nouveau système.
En réalité, le monde de Bosch
est précisément systématique.
Il a d'abord émergé dans les chapiteaux, les linteaux, les tympans des églises romanes.
Il prolifère dans
les marges des manuscrits, tout autour du texte qu'il enserre de sinuosités capricieuses.
Il est nourri d'une géographie fabuleuse et
d'une histoire prétendue naturelle où fourmillent des monstres.
2) L'artiste ne crée pas un autre monde, il lui donne juste une autre signification.
L'exemple médiéval ou renaissant ne peut à lui seul rendre compte de toute la réalité de l'art.
L'artiste n'est pas appelé éternellement
à créer des mondes parallèles mais à exprimer aussi les problèmes de sa société, il peut s'emparer de ses modes de fonctionnement,
de ses habitudes pour lui donner une autre signification.
Il peut servir à magnifier le quotidien et à la rendre plus supportable.
L'artiste
n'aurait plus vocation à exprimer un ailleurs, à s'extraire volontairement du monde.
Pour certains, l'art contemporain aurait perdu sa
dignité et son intérêt en prenant ce virage important.
Mais avant, il faut comprendre le mode de fonctionnement de l'art contemporain.
Les premières œuvres de Marcel Duchamp qui ont marqué ont été les ready-made, véritable objet de la vie quotidienne récupérés, et
simplement décontextualisés et élevées au rang d'œuvre d'art.
Un porte-bouteille, une roue de vélo, un bidet.
On peut imaginer que
par là s'amorce une rupture avec toute définition traditionnelle de l'art, de l'art conçu comme un objet, un artefact conçu des mains de
l'artiste, de l'art comme création.
La récupération amorcée par les Nouveaux Réalistes et dans un forme différente par le pop art laisse
imaginer que tout peut rentrer dans le domaine de l'art, qu'il n'y plus de critère discriminant pour distinguer une œuvre d'art d'un objet
non esthétique.
Des artistes comme Arman, César reprend des éléments de la vie quotidienne dans des compressions, des
réarrangements avec notamment des poubelles, des déchets, des voitures.
Le pop art par le biais de Warhol fait rentrer des boites de
conserve, d'emballage dans le domaine de l'art.
Aussi, c'est le regard de l'artiste qui fait d'un objet quelque chose d'artistique, qu'il lui
donne une signification.
Ainsi n'importe quel objet vu par un photographe peut devenir artistique, comme chacun selon Warhol peut
avoir son quart d'heure de célébrité.
Tout est nivelé, il n'y a plus de supériorité d'objets sur les autres au risque de l'insignifiance.
On
ne peut plus distinguer les œuvres d'art des objets quelconques.
Un simple changement de contexte suffit, mais sinon la différence peut
être imperceptible.
3) L'art à la fois critique et expressif.
L'art moderne se donne un point de vue extérieur et une position critique à l'égard de toute culture de privilège : à la fonction
idéologique de l'art classique, elle tente de substituer une fonction de l'art qui soit réellement critique dans l'ordre culturel des rapports
sociaux.
L'art étant entré dans l'air de la consommation, l'art doit se démarquer de la production industrielle.
Dès la fin du 19 e siècle,
l'art a eu pour fonction d'embellir les productions de l'industrie, l'Art Nouveau précurseur du design a tenté de contrer le cours
inéluctable du progrès technique.
La lutte contre l'uniformisation, la standardisation se retrouve jusque dans le pop art des années
1960.
L'art contemporain tend à faire tourner les regards vers des faits de société, vers les marges, et tend à la provocation.
Les
happenings, l'art corporel, l'art brut ont une charge de contestation importante.
C'est aussi l'idée de contre-culture qui s'est formé
autour de la Beat Generation , le rock, la culture hippie se place à l'opposé de la société de consommation.
Mais la fonction expressive
de l'art comme acte de communication avec le monde et la valeur de reflet des transformations sociales et morales est aussi
importante.
L'art a donc un rôle à la fois personnel et universel.
Il permet à l'individu de s'exprimer, il a aussi une fonction sociale.
C ela
serait même la fonction de l'art que d'ouvrir des espaces où s'autorégulent les émotions et les sentiments.
Elle permet et évite toute
effusion trop irrationnelle de la subjectivité, elle permet de traduire en un langage compréhensible par plus d'individus que le seul
artiste.
Il faut trouver un compromis entre le désir d'expression personnel et la société.
Jean Dubuffet, artiste de l'art brut écrit : « Il
n'y a pas plus d'art des fous que d'art des dyspeptiques ou des malades du genou ».
La fonction d'art étant partout la même, chez
l'aliéné comme chez l'individu réputé normal, encore que chez ce dernier elle trouve rarement à s'exercer hors de toute contrainte
sociale et sans référence à quelque règle ou modèle culturel que ce soit, libre cours étant laissé à une impulsion, à une nécessité qui ne
saurait se satisfaire que des inventions les plus personnelles, les moins prévisibles.
Conclusion.
L'art exprime une réalité intérieure mais pas seulement.
Cette fonction d'expression d'une réalité intérieure peut être utilisée à des fins
critiques et politiques.
Cette même expression loin d'être née d'une solitude, d'un génie incompris est aussi l'occasion d'une mise en
scène des affects sociaux, de leur régulation par leur communication.
Cette réalité intérieure de l'art n'aurait que peut de valeur si elle
n'était partagée par un grand nombre d'individus ouvrant un espace d'intersubjectivité nécessaire à toute bonne société..
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