L'art exprime-t-il des idées ?
Extrait du document
«
Notre sujet renvoie, en différents sens, au fait d'exprimer des idées.
En effet, cela peut à la fois signifier
« transmettre un message » ou – dans un sens plus philosophique – « exprimer la nature d'une chose ».
Bien
qu'éloignés, ces sens n'en demandent pas moins à être hiérarchisés.
De fait, il est manifestement réducteur de voir dans l'art la transmission pure et simple d'un message, c'està-dire d'une idée prédéterminée.
Cependant, nous verrons comment nous pouvons, à partir de cette conception,
faire à un pas supplémentaire en direction d'une compréhension plus fine de l'art.
Nous analyserons alors ce que
peut signifier, en un sens philosophique, « exprimer des idées », en mettant à la fois l'accent sur ce qui est exprimé
– les idées – et la manière dont elles le sont, c'est-à-dire la manière dont celles-ci sont rendues visibles.
I – Les idées comme message face à l'œuvre comme idée
Le libellé « L'art exprime-t-il des idées ? » nous renvoie d'emblée à un art militant, dont le message serait
clair.
« Faire de l'art » serait alors « dire (exprimer) quelque chose ».
Cependant, peut-on d'une part concevoir que
l'art ait une signification fixe et immuable – un message aisément identifiable – et, d'autre part, qu'il exprime en ce
sens des idées ?
De fait, il est réducteur de voir une œuvre comme le simple support d'une idée.
À ce prix, l'artiste aurait
mieux fait de la consigner sur un papier plutôt que de créer une œuvre originale.
Il faut donc rendre justice à l'effort
de création et comprendre que l'artiste n'est jamais là pour transmettre un message fixe, qui se trouverait au-delà
de l'œuvre elle-même.
Toutefois, cela n'implique pas l'œuvre n'ait pas de sens.
Comprenons que l'œuvre, au lieu d'être le support indifférent (qui pourrait être autre) d'un message ou d'une
idée, établit à partir d'elle-même son sens ou sa signification.
La matérialité de l'œuvre est en soi pertinente ; pour
un tableau, on distinguera différentes techniques telles que le collage, le photomontage, l'emploi de gouache,
acrylique ou pastel, l'utilisation du couteau ou d'un pinceau, etc.
En somme, la signification de l'œuvre n'est pas
différente (ou séparée) de la manière dont l'œuvre apparaît.
.
II – L'art exprime les idées : Schopenhauer
Alors que l'idée est conçue comme désincarnée – c'est-à-dire ne possédant aucun support – l'art n'est
justement pas une forme qu'emprunte l'idée (ou les idées).
L'art est lui-même idée, pour ainsi dire.
Il n'exprime pas
quelque chose – un message – qui lui est étranger.
À l'appui de cette conception, la théorie esthétique de Schopenhauer apporte une contribution originale.
L'art n'y est plus conçu comme l'expression d'un message, mais précisément comme la révélation des « Idées ».
Le
verbe exprimer est alors pris en son sens original, qui vient de ex, « hors de » en latin.
En effet, Schopenhauer prend appui sur la théorie platonicienne des Idées.
Celles-ci constituent ce que
sont les choses en elles-mêmes et ne correspondent pas à la définition de l'idée comme « message » (au sens de
« je viens d'avoir une idée »).
Ainsi, l'art a pour fonction de dévoiler, au-delà de la diversité des choses, les Idées
auxquelles elles se rapportent.
Si l'art exprime des Idées, c'est désormais au sens où il dévoile la nature des choses,
où il l'ex-prime.
Cette conception de l'art le rapporte donc aux formes fixes et immuables qui président à la nature : elle
renvoie aux modèles, aux archétypes des choses.
L'Idée exprimée n'est pas quelque chose que l'on dit sur quelque
chose, mais la nature même des choses, l'en soi ou la face cachée de leur être.
III – L'entrée dans la visibilité : l'art fait voir
Ainsi, l'art n'est pas tant expression d'une idée, que le lieu même où l'Idée s'exprime.
Or, une telle réflexion se
retrouve dans l'ouvrage de Georges Didi-Huberman : Devant l'image.
Pour l'auteur, il s'agit de définir le rôle de l'art
par contraste avec d'une part l'iconologie, c'est-à-dire l'étude des images et, d'autre part, le rapport émotionnel et
affectif aux œuvres.
L'une se donne en effet comme l'approche méthodique et rationnelle de l'œuvre d'art, qui passe par
l'application de certaines règles et par des grilles de questionnement posées à l'image, tandis que l'autre ne retient
que le sentiment et les affects.
Or, une telle alternative soit « intelligibilise » l'art à l'excès, soit le rend
incommunicable.
Le bénéfice que nous retirons de notre définition de l'Idée s'éclaire au regard des analyses de Didi-Huberman.
Il ne s'agit pas d'intellectualiser l'art, en le faisant le support neutre d'idées toutes faites ; il ne s'agit pas non plus
de lui ôter toute signification.
Mieux, il s'agit de mettre en relation le statut de l'Idée – comme nature des choses –
avec l'art compris comme ce qui déchire le visible, c'est-à-dire comme « ce qui fait voir ».
Par exemple, la notion de paysage est née d'abord dans le domaine esthétique : avant d'être ce que l'on
contemple, le paysage n'est que le lieu où le voyageur passe.
Ainsi, les premiers paysages peints ont permis au
regard de s'arrêter sur les paysages.
L'Idée de paysage – l'être caché de l'environnement – se trouvait dès lors mis
à nu dans les œuvres d'art.
Wilde dira même:
" Qu'est-ce donc que la Nature ? Elle n'est pas la Mère qui nous enfanta.
Elle est notre
création.
C'est dans notre cerveau qu'elle s'éveille à la vie.
Les choses sont parce que nous les
voyons, et ce que nous voyons, et comment nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés.
Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents.
On ne voit quelque chose que si l'on en.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- l'art exprime-t-il ou représente-t-il ?
- L’art exprime-t-il essentiellement une réalité sociale ?
- L'art exprime-t-il une réalité intérieure ?
- Le langage exprime-t-il les idées ou les choses ?
- « L’art imite la nature » ARISTOTE