l'art donne-t-il un sens a la vie ?

« Les deux usages les plus répandus du mot sens en font le synonyme tantôt de direction, tantôt de signification.

La signification de la vie serait alors à mettre en relation avec une interprétation de celle-ci.

Cela supposerait que la vie renvoie et symbolise autre chose qu'elle m ê m e .

La signification d'un mot ou d'une parole est bien ce q u e le mot veut dire mais qu'il n'est pas lui-même.

La vie aurait alors quelque chose a nous dire qui serait au-dessus d'elle.

Dans le deuxième sens, le sens de la vie serait alors plutôt à mettre en rapport avec le but de celle-ci, ce qu'il est possible de lui attribuer comme finalité. L'art alors, pour donner un sens à la vie, devrait soit nous faire apparaître ce qu'il y a d e caché derrière la vie elle-même, une vérité transcendante et le destin de l'homme.

Mais l'art doit-il avoir une quelconque utilité? Ne révèle-t-il pas plutôt l'inutilité et l'absurdité de la vie? Dans cette optique, comment donner un sens à notre existence par l'art? 1.

L'art nous met en contact avec le sens caché de la vie L'art, en tant que domaine de la beauté, est l'expression de ce qui dans la vérité peut être figuré dans le concret.

En fait, pour Hegel, "beauté et vérité sont la même chose sous un certain rapport" Ainsi, le beau et l'art en général a une part sensible certes mais a plus à voir avec la vérité d'une Idée. Pour Proust, l'art a pour fonction de nous montrer ce qu'est la vraie vie: « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature.

Cette vie qui, en un sens habite chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste.

Mais ils ne la voient pas parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir ».

Éclaircir, pour l'écrivain, c'est écrire et écrire, c'est manifester cette vie invisible que chacun porte en soi en sorte que dans l'oeuvre se rassemblent tout à la fois la sensibilité la plus haute et l'intelligence la plus déliée. L'art servirait donc à retrouver le sens de la vie soit que nous n'avons pas encore pour Hegel, soit que nous perdons, en lutte avec la Réalité et la quotidienneté. Mais peut-on dire que l'art a pour utilité de retrouver un sens caché ou perdu? Dans cette optique, l'art serait lié à un désir de retrouver ce sens? 2.

L'oeuvre d'art, en tant que production "inutile" n'a pas à donner un sens à la vie L'artiste ne crée pas en fonction des attentes du spectateur et ne vise donc pas intentionnellement une modification du comportement et de la personnalité des spectateurs.

L'art est un effet "une finalité sans fin", une pratique qui n'a pas d'autre but que l'existence de l'objet artistique et du beau. Au contraire, l'intention de l'artiste est lié à la recherche de la beauté désintéressée.

La manière même dont les oeuvres sont exposésmusées, opéra,...- est destinée à préserver le rapport de simple contemplation que nous entretenons avec elle. C o m m e l e dit Schopenhauer, dans le Monde comme représentation et comme volonté , l'art n'a pour seule mission que de nous arracher à notre individualité et de nous plonger dans la contemplation des idées pour prendre conscience de l'absurdité de l'existence. D e m ê m e , pour Nietzsche, tout savoir, toute vérité( du moins scientifique dans son sens large) et en définitive la vie elle-même n'est qu'illusion et erreur.

L'art alors révèle cette illusion et la prolonge Dès lors, comment si l'art nous détache de la vie et nous en montre l'absurdite, peut-il donner un sens à celle-ci? 3.

L'art ne donne pas un sens déjà existant, il le crée Lorsque Sartre souligne que, pour l'homme, "l'existence précède l'essence", cela indique qu'aucun absolu ne peut définir l'homme ou orienter sa conduite.

La philosophie contemporaine en effet, ne croit pas plus en une Vérité ou une transcendance à découvrir, c'est en ce sens que Nietzsche affirme que Dieu est mort. L'art ne peut dès lors, plus affirmer révéler une vérité ou un sens absolu de la vie. Pour Sartre, donc, l'existence elle-même est d'abord absurde, dénuée d e sens, puisqu' aucune transcendance ne la justifie.

C'est à l'homme lui-même qui en choisissant sa conduite, donne sens à sa propre existence : "l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il fait" Sartre Alors pourquoi l'art pourrait-il être un domaine privilégié pour donner un sens à la vie? Dans l'art, nous faisons exister ce qui n'existe pas encore, nous faisons apparaître un ensemble organisé dans lequel l'artiste extériorise sa pensée et crée un monde né de lui.

Il "pro-duit", c'est-à-dire il mène en avant. Comme le dit Nietzsche, dans La volonté de puissance , l'essentiel dans l'art, c'est qu'il parachève l'existence, c'est qu'il est générateur de "perfection et de plénitude". La production artistique est appelée création parce que l'artiste ne modifie pas seulement le rapport à la vie, mais modifie en quelque sorte la vie et la réalité même : il invente, il imagine.

La vie est transfigurée, réinterpréter voire réinventer. L'artiste crée ainsi toujours de nouvelles règles, de nouvelles formes et n'est donc pas condamné à trouver un sens à la vie mais en créer sans cesse de nouveaux. Comme le jeu, la création artistique est une activité libre et désintéressée.

Pour créer, l'artiste met bien en oeuvre une certaine technique. Mais celle-ci ne consiste pas dans l'application d'un savoir préexistant.

Inversement, le travailleur a l'art et la manière de parvenir à un certain résultat.

Mais il doit suivre le « m o d e d'emploi » et viser l'utilité.

La première différence entre l'art et la technique concerne le rapport à la science ou au savoir.

Alors que la technique consiste en la mise en application d'une théorie, l'idée vient à l'artiste au fur et à mesure qu'il crée.

Par exemple, l'architecte conçoit et dessine sa maison avant de la construire.

En revanche, « un beau vers n'est pas d'abord en projet et ensuite fait; mais il se montre beau au poète; et la belle statue se montre belle au sculpteur au fur et à mesure qu'il la fait » (Alain, Système des beaux-arts).

a Cela explique qu'un technicien puisse reproduire la même oeuvre à l'infini et à l'identique, alors que la création artistique reste toujours unique : « la règle du beau n'apparaît que dans l'oeuvre, et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre oeuvre » (idem).

L'oeuvre belle peut servir ensuite de modèle à d'autres, mais elle ne peut jamais être reproduite. Enfin, la technique se caractérise par son utilité.

Elle entend apporter du confort à l'homme, et vise à lui rapporter sur le plan économique, en lui faisant par exemple gagner en productivité.

L'art, en revanche, se caractérise par son aspect désintéressé.

C'est la création qui est sa propre fin, et non sa valeur marchande.

C'est en ce sens qu'on qualifie souvent l'art d'inutile. En dépit de leurs similitudes, la technique et l'art se distinguent donc par leur processus et leur finalité. Pour créer, l'artiste met bien en oeuvre une certaine technique.

Mais celle-ci ne consiste pas dans l'application d'un savoir préexistant. Inversement, le technicien a l'art et la manière de parvenir à un certain résultat.

Mais il doit suivre le « mode d'emploi » et viser l'utilité. L'artiste, parce qu'il crée, invente un nouveau m o n d e , u n m o n d e qui échappe aux pesanteurs de la vie de tous les jours.

Ainsi que le montre le philosophe Alain, la seule contrainte de l'artiste est de dominer la matière qu'il travaille afin de parvenir à la maîtrise de son art, afin de pouvoir exprimer librement sa sensibilité. Ainsi, dans la mesure où, pendant longtemps, la vie recelait d'un sens et d'une vérité caché à trouver, l'art a une pour mission de nous mettre en contacte avec cette transcendance.

Mais l'art, dans sa dimension non-utilitaire, nous détache de notre monde et nous montre l'absurdité et l'illusion m ê m e de l'existence.

Si l'existence n'est plus fondée sur aucune vérité absolue, il n'y a plus pour l ' h o m m e d e valeurs à suivre, plus de sens à trouver, il faut sans cesse construire et créer le sens de la vie.

L'art est alors le moyen le plus propice puisque que domaine de l'invention, de la création permanente de nouveaux mondes, de nouvelles formes et en définitive de nouveaux sens pris dans les deux sens du terme : signification et direction.. »