L'amitié est-elle une forme privilégiée de la connaissance d'autrui ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet
Partie du programme abordée : Autrui.
Analyse du sujet : Un sujet intéressant, qui porte sur l'amitié, définie comme sentiment réciproque de sympathie ou d'affection,
sentiment indépendant de l'attrait sexuel.
Représente-t-elle un mode privilégié et fondamental de connaissance de la personne ?
Conseils pratiques : Il faut, bien entendu, conceptualiser et définir les termes de l'intitulé.
Mais l'expérience personnelle viendra
illustrer et enrichir les concepts abstraits.
Bibliographie :
MONTAIGNE, Essais, Pléiade, NRF.
KANT, Métaphysique des moeurs, Doctrine de la vertu, Vrin.
Difficulté du sujet : **
Nature du sujet : Pointu.
Introduction
À première vue, nous ne connaissons personne - sinon nous-mêmes - mieux que nos amis.
Toutefois, il nous arrive aussi de nous
tromper dans nos amitiés.
Or quand, l'amitié brisée, nous disons de quelqu'un « je le croyais mon ami », nous avouons qu'au fond
nous le connaissions mal.
Le problème se pose donc de savoir si l'amitié est bien une forme privilégiée de la connaissance d'autrui, et
même si elle en est une forme de connaissance tout court.
L'amitié ignorante d'autrui
Il ne va pas de soi que l'amitié soit en quelque manière une connaissance d'autrui.
Dans
l'Éthique à Nicomaque (VIII.
2 et suiv.), Aristote définit l'amitié comme une bienveillance
réciproque, et en distingue trois sortes selon leurs motifs respectifs, à savoir le plaisir, l'utilité
ou le bien moral, lequel définit l'amitié parfaite.
L'amitié n'est donc pas alors une forme de
connaissance d'autrui, mais elle « naît des qualités identiques et semblables qui existent chez
les deux amis » et d'une communauté d'intérêts.
En d'autres termes, ce n'est pas l'amitié qui
m'ouvre la voie de la connaissance d'autrui, mais c'est la reconnaissance d'autrui comme
semblable à moi qui ouvre la voie à l'amitié : je ne connais pas autrui parce que je l'aime, mais
je l'aime parce que je le connais.
L'amitié n'est pas une forme de connaissance, elle en est le
résultat.
D'ailleurs, on pourrait même considérer que, dans l'amitié, la connaissance d'autrui est
au fond peu importante, voire négligeable, dès lors que l'on considère que l'amitié la plus
achevée consiste en un accord sur le bien moral.
Ainsi les stoïciens jugeaient-ils qu'on ne peut
réellement parler d'amitié qu'à propos de l'attachement des sages en raison de l'identité de leur
sagesse.
C'est ce qu'exprime Cicéron lorsqu'il écrit que « l'amitié n'est autre chose qu'un parfait
accord de sentiments sur les choses divines et humaines » encore qu'il ajoute «joint à une
bienveillance et à une tendresse réciproques » (De l'amitié, VI).
Mais cette bienveillance et
cette tendresse découlent naturellement de la sagesse partagée.
La connaissance d'autrui, dès
lors, paraît bien superflue.
« L'amitié (considérée dans sa perfection) est l'union de deux personnes liées par un amour et un respect égaux et réciproques.
»
Kant, Doctrine de la vertu, 1797.
« Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : "Parce que c'était lui ; parce
que c'était moi." » Montaigne, Essais, 1580-1588.
Montaigne célèbre ici l'extraordinaire amitié qui le liait à La Boétie.
Amitié douce
et sincère pour un ami librement choisi, amitié constante, que n'est venue troubler aucune dispute ; amitié par le moyen de laquelle
leurs âmes se tiennent unies, « se mêlent » et se confondent.
L'ami est bel et bien l'alter ego, « l'autre moi ».
« Avec ton ami, tu dois aborder tous les sujets.
Mais le premier sujet de tes réflexions, ce doit être ton ami lui-même.
» Sénèque,
Lettres à Lucilius, der s.
apr.
J.-C.
« Si tous les hommes savaient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde.
» Pascal, Pensées,
1670 (posth.).
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