La vraie liberté est-elle de pouvoir toutes choses sur soi (Montaigne) ?
Extrait du document
«
Forme de l'énoncé.
Énoncé-citation 1.
Nous allons (1°) supprimer le nom de l'auteur, (2°) supprimer les guillemets et la consigne « Peuton dire...? », (3°), mettre la proposition indicative qui fait le contenu de la citation sous forme interrogative.
En fin de compte notre énoncé sera : « La vraie liberté, est-ce de pouvoir toutes choses sur soi ? ».
C'est donc une
question avec réponse proposée.
Derrière cette question, nous trouverions celle-ci : « En quoi consiste la vraie
liberté? » qui serait alors une question « ouverte ».
Nous ne devons pas méconnaître l'existence de cette dernière
question; car le lecteur n'admettrait pas que nous nous bornions par exemple à conclure que la vraie liberté ne
consiste pas à pouvoir quelque chose sur soi sans dire en quoi consiste cette vraie liberté.
Néanmoins, nous devons
concevoir notre discussion en fonction de la réponse proposée.
Discussion.
La formule « La vraie liberté, c'est de pouvoir toutes choses sur soi » peut être considérée comme une définition de
la liberté.
Mais il y a bien d'autres définitions de la liberté, ce qui ne signifie pas que ces définitions s'excluent l'une
l'autre; il arrive que l'une d'elles conduise à une autre; ou que plusieurs soient vraies à des points de vue différents,
ou dans des secteurs différents : le mot liberté n'a peut-être pas le même sens quand il s'agit de la liberté d'action
et de la liberté de pensée.
D'ailleurs, la formule que nous considérons est-elle bien une définition à proprement parler
? Lorsque l'on dit par exemple que « le travail, c'est la liberté », le mot liberté ne définit pas le mot travail; il est dit
simplement que le travail est un moyen, peut-être même le seul moyen d'être libre.
En définitive notre discussion pourrait suivre deux voies différentes: ou partir du concept de liberté et voir, en
l'analysant, si on est conduit au « pouvoir sur soi » ; ou inversement partir de l'expression « pouvoir toutes choses
sur soi » et voir si on n'en induirait pas la liberté.
Nous allons prendre la première de ces voies.
Vous pourrez ensuite
vous exercer à traiter le sujet en suivant l'autre voie.
1° De la plupart des exemples, et surtout des expressions que nous avons citées, il résulte que « libre » s'applique à
des êtres, personnes ou même choses, qui ne subissent pas une certaine contrainte : une roue libre, par opposition
à une roue fixe, est une roue qui n'est assujettie à tourner que lorsque la chaîne la tire dans un sens; ballon libre
s'oppose à ballon captif; un oiseau peut voler en liberté ou être enfermé dans une cage; dire qu'un homme est libre
d'aller ou venir signifie que rien ne l'empêche de se déplacer; un État libre est un État qui n'est pas soumis à la
souveraineté d'un autre État, comme colonie ou protectorat.
Est libre celui qui n'est pas contraint.
Cette liberté est
une liberté d'agir; et elle est toujours déterminée avec précision.
Dans un État, un citoyen peut être libre de
pratiquer n'importe quelle religion, mais il n'est pas libre d'exercer certains métiers, comme ceux de médecin,
d'avocat, de notaire, sans avoir les diplômes exigés.
Je suis libre d'aller ou je veux, mais je puis rencontrer la clôture
d'une propriété privée, ou un terrain impraticable, ou un cours d'eau infranchissable.
Cette définition de la liberté, la plus simple et la plus commune, convient à la fois aux choses, aux animaux ou aux
hommes.
Mais lorsqu'il s'agit de l'homme, on peut faire état d'obstacles d'un autre genre.
Je ne suis pas libre de
franchir une barrière trop élevée pour moi; mais je ne le suis pas non plus si je recule devant la menace d'une
sanction; je ne suis pas libre si je cède à une contrainte, mais je ne le suis pas non plus si je cède à une tentation.
2° Il faut néanmoins revenir sur cette définition de la liberté, pour remarquer qu'elle suppose une certaine
conception du monde, la conception selon laquelle tous les êtres quels qu'ils soient sont libres tant qu'ils ne
subissent pas de contrainte ou ne rencontrent pas d'obstacles.
Or cette conception, qui vaut peut-être pour la
pratique et la vie courante, où nous nous préoccupons d'obstacles et de moyens, ne peut être formée avec toute la
rigueur scientifique.
Et elle est caduque dès que nous pensons selon le principe de causalité et surtout en fonction
de la théorie du déterminisme scientifique.
En toute rigueur nous ne pouvons penser qu'un événement se produit
sans être déterminé par une cause; en d'autres termes, l'état de l'univers à un instant quelconque résulte
nécessairement de l'état de l'univers à l'instant immédiatement précédent.
En conséquence, il est impossible de
penser qu'une action se produise librement; une action libre serait alors un fait sans cause, ce qui est impensable.
Cela ne signifie pas que je ne suis pas libre, mais qu'il n'est pas possible de constater expérimentalement l'existence
d'une liberté, ni d'ailleurs de la prouver.
C'est un problème philosophique des plus importants que de chercher
comment on peut affirmer simultanément le déterminisme, condition de la science, et la liberté, condition de la
morale, en d'autres termes, comment une même action peut être à la fois déterminée dans l'ordre de la science et
libre dans l'ordre de la morale.
KANT est célèbre pour avoir posé ce problème dans toute sa rigueur et pour en avoir
donné une solution.
Nous n'avons ni à utiliser ici sa pensée, ni même à en faire état, le rôle du présent alinéa étant
simplement de montrer que la conception de la liberté comme pouvoir d'agir sans contrainte n'a pas de sens au point
de vue scientifique..
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