La volonté peut-elle être définie comme pouvoir d'arrêt ?
Extrait du document
«
Nous avons tous l'expérience de l'acte volontaire, mais quand il s'agit de préciser en quoi exactement consiste la volonté, on se trouve
dans l'embarras.
Prenons un exemple banal.
Demain, vendredi, je dois remettre cette dissertation à mon professeur de philosophie et je destinais cette
soirée du jeudi à la confection de ce travail.
Or voici que, après le déjeuner, un de mes meilleurs camarades vient m'inviter à une
sortie à bicyclette avec, au retour, un de ces goûters qui font oublier les restrictions.
Le temps est beau; le camarade sympathique.
Aussi suis-je tenté d'accepter l'invitation et de renvoyer la dissertation à la veillée.
Mais, je le sais par expérience, un travail rédigé
dans ces conditions est régulièrement bâclé.
C'est pourquoi je me ressaisis et, m'excusant, je décide de rester à la maison.
Que s'est-il passé ?
La réponse du sens commun est fort simple : l'attrait de cette agréable promenade allait l'emporter, lorsque la volonté est intervenue,
jetant sur l'autre plateau de la balance le poids de son « je veux » : la volonté serait, dans %e cas, un pouvoir d'impulsion.
Mais il y a une autre réponse qui serait préférée par nombre de psychologues.: nous ne nous déterminons jamais que suivant les
motif, ou les mobiles les plus forts et la volonté ne peut pas, par elle-même, ajouter à un motif une force qu'il n'a pas; mais nous
avons le pouvoir de ne pas nous déterminer et de suspendre l'exécution : c'est ce pouvoir qui constitue là- volonté.
Dans l'exemple
cité, la volonté est intervenue lorsque, sur le point d'accepter l'invitation tentante qui m'était faite, ce « oui » que j'allais prononcer je
l'ai retenu pour arrêter mon esprit à d'autres considérations capables de modifier ma décision spontanée.
Ainsi conçue, la volonté ne
serait plus un pouvoir d'impulsion, mais un pouvoir d'inhibition ou un pouvoir d'arrêt.
Peut-on admettre cette définition de la volonté ?
La conception vulgaire qui attribue à la volonté le pouvoir de créer des forces capables de s'opposer aux mobiles ou de composer avec
eux semble bien avoir été définitivement écartée par LEIBNIZ.
Expliquer une action par la seule volonté, c'est refuser de l'expliquer ou
prendre un mot pour une explication.
En effet, pour vouloir, il faut une raison de vouloir.
Le « je veux parce que je veux » cache une
raison ou plutôt.
une passion qui s'ignore : c'est à cette raison ou à cette passion qu'il faut attribuer la détermination prise, et non à la
seule volonté.
Ainsi lorsque j'ai décidé de décliner l'aimable invitation qui m'était faite, j'ai été déterminé à vouloir par des raisons : peut-être par le
sentiment du devoir; certainement par le désir légitime d'obtenir une bonne note et le souci de me préparer à l'examen de fin d'année.
Ce n'est pas un coup de force de la volonté qui a entraîné le refus et la décision de consacrer la soirée à la dissertation, mais le
sentiment de l'importance plus grande du travail à effectuer.
La volonté ne semble donc pas pouvoir se définir un pouvoir d'impulsion; par suite, il semble qu'il serait plus juste de la concevoir
comme un pouvoir d'impulsion ou d'arrêt.
Lorsque mon camarade m'a invité à sortir avec lui, j'ai vu la magnifique soirée que nous allions passer ensemble; je me suis aussi
senti provisoirement délivré de la contrainte du devoir d'état et du malaise toujours désagréable de la mise en train.
Si je m'étais
laissé aller,.
j'aurais aussitôt enfourché mon vélo et nous aurions couru comme des fous sur les routes.
Mais je ne me suis pas laissé aller et j'ai été sage.
Sachant par expérience que les décisions irréfléchies sont souvent mauvaises, j'ai
freiné, pour prendre le temps de réfléchir, l'impulsion que je subissais.
Je n'ai pas dit « non », mais j'ai remis la décision à l'instant
suivant.
Durant le bref instant de répit que je me suis accordé, j'ai évoqué mon premier projet et les raisons qui le justifiaient, j'ai
calculé les conséquences d'un autre emploi de ma soirée.
Il n'en fallait pas davantage pour vaincre l'attrait de cette promenade
amicale.
Ainsi, ce sont des raisons qui ont déterminé ma décision; mais je n'ai pu prendre conscience de ces raisons que grâce au coup
de ,frein de la volonté qui m'a arrêté au moment où j'allais passer à l'action sans réfléchir.
La volonté n'est intervenue que comme
pouvoir d'arrêt.
Ce pouvoir d'arrêt n'est pas un de ces coups d'état inexplicable comme ceux que le sens commun attribue à la volonté.
Il consiste dans
une certaine inertie grâce à laquelle nous ne sommes pas immédiatement entraînés par la première force qui agit sur nous, -dans un
allongement, acquis par l'expérience, du temps de réaction.
Mais on peut se demander si le pouvoir d'arrêt n'implique pas un pouvoir d'impulsion.
Si le frein frotte sur la jante et parvient à arrêter
mon vélo, c'est grâce à l'impulsion venue de ma main et transmise par le câble ou par le levier.
Si je décide de m'arrêter, c'est sous
l'impulsion de quelque désir.
Il nous sera facile de trouver une impulsion plus ou moins consciente à ['origine du coup de frein qui m'a retenu au moment où j'allais
dire « oui » à mon visiteur.
Si j'ai hésité un instant, c'est que j'avais auparavant décidé de consacrer ma soirée à la dissertation; je me
trouvais donc comme inconsciemment tendu vers le résultat visé; c'est à cette tension inconsciente que s'est heurtée l'impulsion
résultant de la proposition qui m'était faite et le vague sentiment de ce heurt m'a invité à prendre garde et à ne pas me décider sans
réflexion.
Cette- tension n'est pas toujours actuelle; elle peut être aussi habituelle.
Parfois il n'y a rien dans mes désirs antérieurs ou
subconscients, qui s'oppose à la décision qui me tente, et cependant je donne le coup de frein qu'on veut considérer comme l'acte
essentiel de la volonté.
Mais il n'est pas difficile de découvrir à l'origine de ce coup de frein le profond désir de n'agir jamais que d'une
façon réfléchie.
A la racine des arrêts que commande la volonté, nous trouvons donc une impulsion.
Par suite, nous ne pouvons pas définir la volonté
comme un simple pouvoir d'arrêt.
En somme, la volonté est un pouvoir d'impulsion en même temps qu'un pouvoir d'arrêt.
Cette conclusion n'est pas contradictoire, car
l'homme est double : il est corps en même temps qu'esprit, raison en même temps que sensibilité.
Vouloir, c'est freiner les impulsions
d'ordre sensible et s'arrêter au moment d'agir.
Mais la volonté ne peut donner ce coup de frein que par suite d'impulsions d'ordre
rationnel.
C'est pourquoi il nous paraît plus juste de répondre à la question posée par la négative.
En définissant la volonté un pouvoir d'arrêt on
ne tient compte que d'une de ses manifestations.
En elle-même elle est un pouvoir d'impulsion de nature rationnelle capable de
s'opposer aux impulsions sensibles : elle n'a un pouvoir d'arrêt que parce qu'elle est un pouvoir d'impulsion..
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