La vertu est-elle la sage recherche du bonheur ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION.
— D'après les grands moralistes, dans une vie conforme à l'idéal humain, -on doit trouver le
bonheur et la vertu.
Mais quel rapport doit-il y avoir entre la vertu et le bonheur ? Faut-il se désintéresser du
bonheur et ne se préoccuper que de la vertu, assuré cependant qu'une vie vertueuse est infailliblement la plus
heureuse des vies ? Ou, au contraire, la vertu serait-elle la sage recherche du bonheur ? Ceux qui acceptent cette
dernière conception ne doivent-ils pas, quand le malheur les frappe, croire leur destinée manquée et tomber dans le
désespoir ? La question se pose fréquemment pour les individus.
Elle est d'une douloureuse actualité pour notre
pays.
»
I.
Tout d'abord, si on admet que la vertu est la sage recherche du bonheur, faut-il, quand on est frappé
par- le malheur, désespérer et admettre qu'on a manqué sa vie ?
A.
Sans doute, nous devons l'accorder, lorsque nous voyons un individu ou une société dont la vie a été
malheureuse quoique vertueuse et sage, nous sommes heurtés.
L'ordre naturel nous semble violé : ces êtres n'ont
pas réalisé, nous semble-t-il, leur destinée normale et rationnelle.
C'est pour rétablir l'ordre violé que nous
admettons la survie des individus.
B.
Mais il ne faudrait pas exagérer l'étendue des malheurs qui nous frappent, a) Tout d'abord, il n'est pas de malheur
absolu pas plus que de bonheur complet : il reste au plus malheureux une certaine joie de vivre, que le sage,
observant objectivement les faits, ne doit pas négliger; b) Ensuite, il n'est guère, ni pour les individus ni surtout
pour les peuples, de malheurs définitifs qui coupent la racine à tout espoir; c) Bien plus, un malheur peut être, pour
les collectivités comme pour les individus, l'occasion d'une réforme qui prépare aux beaux jours : même immérité,
l'échec stimule et pousse les bons à devenir excellents; le plus souvent, d'ailleurs, il provoque une réflexion et un
examen approfondis qui nous amènent à conclure que nous sommes plus responsables que nous ne pensions et à
nous décider à une conversion radicale.
C.
Il semble d'ailleurs presque contradictoire de supposer, d'une pari, qu'on a agi avec sagesse et vertu et que,
d'autre part, ayant été frappé par le malheur, on a totalement manqué sa destinée.
Ce qui dépend de l'homme, en
effet, c'est la conduite de sa vie.
Quiconque l'a conduite sagement a fait, quoi qu'il arrive, une grande chose dont
l'humanité a lieu d'être fière : aussi avons-nous encore plus d'admiration et d'estime pour la vertu malheureuse que
pour la vertu qui triomphe.
II.
Mais la vertu n'est pas la sage recherche du bonheur : la vertu doit être recherchée pour elle-même,
sous peine de ne plus être la vertu.
A.
Sans doute il est une conception du bonheur tellement sublime qu'il se confond presque avec la vertu, en sorte
que sa recherche puisse constituer la suprême sagesse.
Le bonheur peut en effet être conçu comme la réalisation
de toutes les virtualités spécifiquement humaines : l'adhésion totale au vrai et au bien, la perfection et la sainteté.
Mais ce n'est pas naturellement que nous sommes portés à la recherche de ce bonheur.
Nos tendances instinctives
nous détournent de cet idéal et il faut un effort pour concevoir, garder devant ses yeux et tendre à réaliser le type
de l'homme parfait.
C'est dans cet effort que consiste la vertu.
Lorsque, grâce à cet effort, l'individu ou la
collectivité se sont élevés à un degré supérieur de moralité ou de civilisation, ils en jouissent et possèdent un
certain bonheur : mais c'est le bien et non le bonheur qu'ils avaient en vue; le vrai bonheur, le bonheur supérieur de
l'esprit, n'est atteint que si on ne le cherche pas.
B.
Avec cette conception, le scandale de la vertu malheureuse est bien atténué sinon supprimé, a) Si l'homme
vertueux ne cherche que le bien, il ne sera pas révolté par l'absence du bonheur : une vie sage et vertueuse est le
seul bien qu'il ambitionnait; il le possède et rien ne saurait le lui enlever; b) Jusque dans le malheur et peut-être
dans le malheur plus qu'en toute autre circonstance, le sage trouve l'occasion d'un effort nouveau vers le bien et
vers son idéal : au lieu de le faire sombrer dans le désespoir, le malheur excite son espérance.
CONCLUSION.
— Comme tous les événements extérieurs, le malheur c'est ni lion ni mauvais en soi : il devient bon
ou mauvais suivant l'attitude que prend l'Ame qu'il frappe.
Si nous nous sentons découragés et abattus par les
coups du sort, c'est que nous n'avons pas élevé notre, âme assez haut.
Faisons un effort pour grandir, et ainsi le
malheur d'aujourd'hui fera notre bonheur de demain..
»
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