La vérité se construit-elle ?
Extrait du document
«
A.
L'évidence instantanée comme critère de vérité
Pour Descartes, tout ce qui est fondé sur la mémoire est douteux.
Celle-ci nous
trompe, nous abuse en ce qu'elle nous fait croire que nous savons quelque chose.
Pour rechercher la vérité il faut, dit Descartes, considérer comme absolument faux
«tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute ».
Ainsi parce que nos sens
nous trompent parfois, alors je suppose que nos sens nous trompent toujours : rien
n'est tel que nos sens nous le font imaginer.
Et comme il y a des hommes qui se
trompent sur des raisonnements qui n'ont rien à voir avec les sens, alors je rejette «
comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pour démonstrations
».
Et enfin, je feins de croire que toutes les choses qui sont entrées dans mon esprit
sont de même nature que les illusions de mes songes.
Mais aussitôt après, je
remarque que pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait
nécessairement que Moi qui pensais cela « fusse quelque chose ».
D'où : « Je pense
donc je suis.
» Puis j'examine ce que je suis et je vois : 1) je peux croire n'avoir point
de corps; 2) je peux croire qu'il n'y a pas de monde; 3) je ne peux pas croire que je
ne suis dans aucun lieu.
Mais je ne peux pas croire ou imaginer que je ne suis pas.
Et
au contraire de cela, parce que je doute de la vérité des autres choses, il est évident
que je suis.
Mais que suis-je? Je suis «une substance dont toute l'essence ou la
nature n'est que de penser » et donc qui n'a pas besoin de lieu et qui ne dépend
d'aucune chose matérielle.
Le Moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je
suis, est entièrement distincte du corps.
En outre, si je n'avais pas de corps, mon âme
ne cesserait pas d'être pour autant.
Après cela, je pose la question : qu'est-ce qui est
requis pour qu'une proposition soit vraie ? Je viens de trouver une proposition vraie,
mais en quoi consiste cette certitude ? Rien ne m'assure que le « je pense donc je suis » soit une proposition vraie, sinon
que « pour penser il faut être ».
Alors je prends pour critère de la vérité des choses l'évidence instantanée : « Les choses
que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies.
» Ainsi, pour Descartes, la vérité a pour
modèle métaphysique l'idée claire telle que nous l'expérimentons dans le « cogito » : «je pense, je suis.
» La vérité a pour
signe infaillible l'évidence.
B.
La vérité et les quatre principes ou règles de la méthode
Pour Descartes, « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », autrement dit, tout homme se définit par la
capacité de distinguer le vrai du faux.
Mais, « ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, le tout est de l'appliquer bien».
En
effet, si l'entendement comprend, il n'en reste pas moins passif.
C'est seulement la volonté qui affirme ou nie la vérité
d'une proposition.
Or on peut faire un usage plus ou moins bon de la volonté.
D'où la nécessité d'une méthode pour bien
conduire sa raison, c'est-à-dire pour la discipliner, la maîtriser.
Il faut augmenter par degrés, notre connaissance, éviter la
précipitation, suivre un ordre : « Toute la méthode consiste dans l'ordre.
» Le Discours de la méthode est donc le discours
des ordres d'opération qu'il convient d'employer pour chercher la vérité dans les sciences.
La première règle recommande
de « ne jamais recevoir aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire d'éviter
soigneusement la précipitation et la prévention' et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se
présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute ».
Cette
règle affirme que l'évidence est le critère de la vérité et que seules les choses que je puis concevoir clairement et
distinctement peuvent être considérées comme vraies.
Mais qu'est-ce que la clarté et la distinction ? Descartes l'enseigne
dans les Règles pour la direction de l'esprit.
Les choses claires et distinctes sont celles dont les notions sont « si simples
que l'esprit ne peut les diviser en d'autres notions plus simples : telles sont la figure, l'étendue, le mouvement, etc.
Nous
concevons toutes les autres comme étant en quelque sorte composées de celles-ci ».
Ces notions simples et
indécomposables nous les connaissons par intuition.
Celle-ci est la « conception d'un esprit attentif, si distincte et si claire
qu'il ne lui reste aucun doute sur ce qu'il conçoit ».
C'est ainsi que chacun peut voir instinctivement qu'il existe, qu'il pense,
qu'un triangle est terminé par trois lignes, ni plus ni moins...
Ainsi est établie l'unité de la science : en toutes choses, se
trouvent de ces éléments simples ou principes connus par intuition.
Ainsi sont fixés le point de départ et le but de toute
recherche scientifique : la science part de principes évidents par eux-mêmes et a pour but d'en déduire les choses les plus
complexes.
La deuxième règle est celle de l'analyse.
Il s'agit, dit Descartes, de « diviser chacune des difficultés que
j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre».
Autrement dit, partant
d'un tout complexe, je le décompose jusqu'à ce que je parvienne aux éléments simples et irréductibles qui en sont les
véritables constituants et les principes.
De la même façon, pour résoudre une question donnée, nous devons ramener la
difficulté à une question plus simple et ainsi de suite jusqu'à la découverte des notions élémentaires qui y sont engagées.
Ainsi, par exemple, dans l'analyse mathématique, on pose une série d'égalités ou d'inégalités, autrement dit, on exprime
algébriquement les éléments simples de la figure géométrique ; puis par la voie algébrique, on résout le problème et on lui
redonne son sens géométrique.
Parvenu à ces éléments indécomposables, l'esprit suit une marche inverse de la précédente.
Procédant par ordre, il s'élève
peu à peu du simple au complexe.
Autrement dit, des principes, il revient aux conséquences, des éléments aux composés.
C'est ce qu'exprime la troisième règle de la méthode : « Conduire par ordre mes pensées en commençant par les objets
les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des plus
composés; et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
» Reste la
quatrième règle : « Faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne
rien omettre.
» Il s'agit de la récapitulation.
En résumé, la méthode cartésienne consiste à décomposer les choses en leurs
éléments simples dont la vérité est reconnue intuitivement, puis à l'aide de ces éléments à recomposer les choses par une
déduction qui va de propositions évidentes en propositions évidentes.
Enfin, il ne reste plus qu'à combler les lacunes
éventuelles..
»
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