Aide en Philo

La vérité est-elle l'accord de la pensée et de l'objet ?

Extrait du document

« Introduction. La conception la plus élémentaire de la vérité est celle qui identifie le vrai et le réel.

Prise à la lettre, elle procède toutefois d'une méprise, car seule une affirmation, un énoncé, une pensée, peut être vraie, et seul un objet peut être réel.

Une façon plus correcte de présenter la conception naïve de la vérité est donc de la définir comme accord de la pensée et de l'objet.

C'est ainsi que toute une tradition philosophique, remontant au moins à Aristote, considère que dire vrai, c'est «dire de l'être qu'il est, et du non-être qu'il n'est pas» (Métaphysique).

Mais cette approche suffit-elle à satisfaire toutes nos attentes légitimes envers une définition de la vérité? C omment peut-on arriver à connaître cet accord supposé, dès lors qu'il se place, en les réunissant, au-delà de la pensée et audelà de l'objet? Quelle idée de la vérification pouvons-nous tirer de cette définition? Pour tenter de répondre à ces interrogations, il convient tout d'abord d'examiner les diverses formes que peut prendre cette idée d'accord, puis de nous demander si elle suffit à nous fournir un critère de vérité (un moyen de reconnaître le vrai), avant de rechercher dans le développement des sciences une approche plus satisfaisante de cet accord. 1.

Comment concevoir l'accord entre la pensée et l'objet? La vérité est-ce la copie de la réalité ? Une idée ne serait donc pas qualifiée de « vraie » ou « fausse » en elle-même par ses caractéristiques intrinsèques, mais seulement par sa conformité ou non à la réalité.

Les scolastiques disaient : « La vérité c'est la conformité de notre pensée aux choses » (« adeaquatio rerum et intellectus »).

L'idée vraie est celle qui est fidèle à la réalité. Si on admet que ma connaissance d'un objet doit s'accorder avec lui pour être vraie ; mais, pour que je puisse juger de cet accord il faudrait que j'en saisisse les deux termes.

Dans ces conditions remarque Kant, « le seul moyen que j'ai de comparer l'objet avec ma connaissance, c'est que je le connaisse », ce qui constitue un cercle, « car, puisque l'objet est hors de moi et que la connaissance est en moi, tout ce que je puis apprécier, c'est si ma connaissance de l'objet s'accorde avec ma on de l'objet ». Cette définition est incontestable mais imprécise.

Car il reste à interpréter cette conformité, cette fidélité de la pensée vraie au réel.

Le sens commun en donne une interprétation très simple : la vérité serait une simple copie de la réalité, la présence même de la réalité dans ma conscience qui la reconnaît.

La connaissance vraie serait une simple réception de la réalité. Or nous nous proposons de montrer que cette notion de vérité-copie n'a aucun sens, que tout jugement vrai est une reconstruction intelligible du réel, suppose un travail de l'esprit et n'est pas un simple reflet passif.

Et ceci s'applique à la vérité au sens artistique, comme à la vérité au sens scientifique et philosophique. Pour le sens commun, la vérité artistique n'est qu'un fidèle reflet.

Entre deux portraits, un tableau, une photographie le sens commun n'hésite pas : malgré la ressemblance « intérieure » du portrait peint, seule la photographie est vraie.

Ainsi pour le sens commun, le moulage est plus vrai que la sculpture. La vérité artistique n'est donc pas copie et reflet mais structuration, transfiguration.

L'art, dit Malraux, dans ses « V oix du silence », « c'est ce par quoi les formes deviennent style ».

Le vrai ce n'est pas ici la réalité brute, mais un réel stylisé, transfiguré, repensé par l'esprit. De même la vérité scientifique suppose toute une reconstruction de l'expérience par les concepts.

Non seulement les faits sont liés entre eux par des lois nécessaires, mais le jugement vrai n'atteint le fait qu'à travers des techniques expérimentales.

Par exemple ce jugement : « C e matin à 8heures il faisait 17° », qui paraît tout simple & élémentaire, suppose déjà un haut niveau d'abstraction et diverses techniques expérimentales : d'abord les techniques relatives à la mesure du temps, ensuite l'utilisation du thermomètre.

Pour que mon auditeur comprenne le sens de ce jugement il faut qu'il sache que je parle de degrés centésimaux, il faut qu'il sache que la chaleur dilate les corps et qu'en disant « il fait 17° » j'indique la hauteur de l'alcool dans un tube attaché à une règle graduée posée sur ma fenêtre.

Dire qu'il fait 17° c'est parler un langage d'initié.

Mon jugement se réfère à la technique du thermomètre qui suppose elle-même la théorie de la dilatation.

« Un instrument n'est qu'une théorie matérialisée » (Bachelard).

Le jugement vrai transpose et reconstruit la réalité à travers tout un réseau de manipulations techniques et d'opérations intellectuelles.

Si la vérité est « opératoire », le critère de la vérité ne sera-t-il pas fourni par le succès pratique de l' « opération » ? C 'est ce point de vue « pragmatique » que nous allons examiner à présent. 2.

Insuffisance de la définition. A.

La définition proposée est purement nominale. L'écueil contre lequel bute systématiquement l'exploration de l'idée que la vérité est accord entre la pensée et l'objet semble être l'absence d'un critère objectif permettant de l'exploiter pratiquement dans la recherche de la vérité.

La définition proposée de la vérité serait donc une définition purement nominale, comme l'écrivait Descartes (lettre à Mersenne du 10 octobre 1639): «On peut bien expliquer quid nominis à ceux qui n'entendent pas la langue, et leur dire que ce mot vérité, en sa propre signification, dénote la conformité de la pensée avec l'objet, [...] mais on ne peut donner aucune définition de logique qui aide à connaître sa nature.» Il n'existe donc aucun critère universel objectif de vérité, comme Kant le démontre dans la Critique de la raison pure: «Si la vérité consiste dans l'accord d'une connaissance avec son objet, il faut par là-même que cet objet soit distingué des autres.

[...] Or un critère universel de la vérité serait celui qu'on pourrait appliquer à toutes les connaissances sans distinction de leurs objets.

[...

Donc] il est tout à fait impossible et absurde de demander un caractère de la vérité de ce contenu [...] : on ne peut désirer aucun critère universel de la vérité de la connaissance quant à sa matière, parce que c'est contradictoire en soi.

» B.

Elle exprime en fait une exigence interne au langage. Quelle est alors la «part de vérité » de notre définition de la vérité comme accord de la pensée et de l'objet? Que veut-elle dire, si elle est incapable de fournir un critère dominant le rapport du langage au monde? Le logicien polonais Alfred Tarski est parvenu à construire, dans les années trente, un concept formel de vérité relative à un langage donné.

Préalablement, il avait interprété la définition de la vérité comme accord de la pensée et de l'objet en y décelant en fait l'expression naïve d'une exigence interne au langage: l'exigence d'adéquation matérielle.

Que voulons-nous dire lorsque nous demandons cet accord? Peut-être réclamons-nous simplement que dans notre langage, des phrases comme «"la neige est blanche" est une pensée vraie» aient toujours la même valeur de vérité que «la neige est blanche».

Il ne s'agit plus ici de l'accord entre une pensée et un objet, mais entre une pensée et une autre pensée d'ordre supérieur, parlant de la vérité de la première, L'interprétation de Tarski est au bout du compte assez naturelle, dès lors que nous avons reconnu l'impossibilité d'une «excursion» hors du langage. C.

On ne peut tester une idée indépendamment des autres. Cette reformulation logique de la définition de la vérité s'accorde avec un changement dans la conception de la connaissance scientifique.

Puisqu'il est impossible de scruter le rapport de chaque pensée, prise isolément, avec tel ou tel objet du monde, puisque nous n'accédons en définitive à l'objet qu'à travers le langage, nos connaissances font bloc, déterminent mutuellement leur sens et leur valeur de vérité de façon interne.

La vérité ne peut plus être attribuée en propre à une pensée prise isolément, elle devient une propriété diffuse du système de nos connaissances, qui ne pourraient plus dès lors être tenues pour objectivement vraies ou fausses, mais seulement pour symboliques, selon le point de vue développé dans La Théorie physique par Pierre Duhem (c'est ce que l'on appelle le point de vue «holiste»).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles