La vérité est-elle différente de la réalité ?
Extrait du document
«
ON vous interroge ici sur une identité ou une différence entre vérité et réalité.
A première vue, la vérité est
équivalente à la réalité puisqu'on dit souvent " c'est vrai " pour dire " c'est arrivé, ça s'est passé, c'est réel ".
Ainsi
réalité et vérité seraient équivalentes.
Pourtant, vous devez noter que si la réalité existe en dehors de la pensée et
du discours, la vérité, elle, est toujours à comprendre à partir de la pensée et du discours, puisque la vérité, c'est
l'adéquation du discours et de la réalité.
Si je ne pense rien, je ne suis pas dans le vrai, de même que quand je dis "
ceci est une vraie peau de serpent ", je veux dire que l'objet que je contemple est conforme à ce que je pense
devoir être un objet pour être qualifié de peau de serpent.
Il y a donc un écart entre la réalité et le discours.
Mais
au-delà de cette seule différence essentielle, vous pourriez aussi vous demander si la recherche et l'établissement
de la vérité ne sont pas parfois éloignés de le réalité au sens où le discours vrai pourrait considérablement simplifie
une réalité que nous serions incapable de comprendre et de nommer tout à fait.
En effet , Nietzsche a montré que la
vérité postule toujours un monde intelligible stable, débarrassé de toutes ses nuances et de toutes ses
particularités.
Il en va de même du langage : il ne retient de la réalité que ce qui est le plus abstrait et le plus
commun.
Le réel serait alors plus riche que ce que nous pourrions en dire.
Pensez par exemple à l'œuvre d'art qui
nous introduit dans une dimension bien plus vaste que ce que nous pourrions en penser.
Seule l'intelligence peut parvenir à la vérité.
La réalité sensible n'est
pas la vérité intelligible.
Pour Platon, est sensible ce que l'on peut saisir par les sens, intelligible ce
que l'on saisit par l'esprit ou l'intelligence, ce que l'on comprend.
Ainsi, la
croyance est déterminée par des objets sensibles, alors que la science a pour
principe des réalités intelligibles.
La réalité sensible est celle des objets qui nous entourent.
Soumise aux
contradictions, celle du temps notamment, dans lequel chaque chose devient
une autre, elle s'oppose à la réalité des essences, ou Idées, dans laquelle
chaque chose est ce qu'elle est de toute éternité.
La vérité n'est pas une donnée immédiate mais une construction
"La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe,
s'oppose absolument à l'opinion.
S'il lui arrive, sur un point particulier, de
légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ;
de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort.
L'opinion pense mal; elle ne
pense pas : elle traduit des besoins en connaissances.
En désignant les
objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître.
On ne peut rien fonder
sur l'opinion: il faut d'abord la détruire.
Elle est le premier obstacle à
surmonter.
L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que
nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler
clairement.
Avant tout, il faut savoir poser des problèmes.
Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes
ne se posent pas d'eux-mêmes.
S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique.
Rien ne va de soi.
Rien n'est donné.
Tout
est construit." Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1938.
Un dernier aspect de cette opposition permet à l'auteur d'opérer une distinction capitale qui constitue la thèse
véritable de ce texte.
L'opinion, nous dit-il, n'envisage les objets sur lesquels elle porte ses jugements que par rapport à l'aspect de leur
utilité la plus commune.
La pluie n'est pas pour elle un phénomène de condensation complexe qu'il s'agit d'étudier pour lui-même, elle est
cette eau qui tombe du ciel et que je ne définis, dans l'opinion, que par rapport à mes propres intérêts : nécessité
d'arroser les récoltes, par exemple.
De même, l'eau n'est pas cette molécule que le savant définit par la formule H20.
Elle est, pour l'opinion, cette réalité qui lui permet de boire, de se laver, de faire bouillir grâce à elle des aliments,
etc.
Pour l'opinion, elle sera surtout cette substance qui nous permet d'étancher notre soif, et notre connaissance de sa
réalité intime s'arrêtera au rappel de cette fonction.
Aussi avons-nous ici traduit des «besoins en connaissances»,
puisque notre connaissance sur l'eau est limitée à ce qu'il nous est seulement utile de savoir à son propos pour nos
propres commodités.
Dès lors, «en désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître».
Seule la science, étudiant les phénomènes dans toute leur plénitude, nous donnera accès à une connaissance
authentique et sans borne.
« Sans borne » ne veut pas dire ici « une connaissance illimitée et jamais achevée »..
»
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