La tolérance est-elle une vertu ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet:
TOLÉRANCE (n.
f.) 1.
— Fait, pour un individu, d'accepter des atteintes légères à ses droits, ou, pour une
autorité, de légers écarts par rapport à la loi.
2.— Écart maximum par rapport à l'application d'un règlement, permis
par la loi ou établi par l'usage.
3.
— Attitude consistant à admettre chez les autres des opinions qu'on ne partage
pas.
4.
— Règle de conduite ou principe de philosophie pol.
consistant à admettre la liberté d'opinion et d'expression,
notamment en ce qui concerne les pratiques religieuses.
5.
— Principe de tolérance : principe dû à CARNAP,
exprimant un conventionalisme radical et consistant à admettre qu'en logique chacun est libre de choisir son
langage.
Vertu:
Du latin virtus, « force d'âme », « qualités viriles », « mérite ou qualité ».
a) Principe agissant, qualité qui rend une chose propre à produire un certain effet (exemple : la vertu dormitive de
l'opium).
b) En morale, disposition réfléchie et volontaire à faire le bien.
c) Chez Machiavel (traduction de l'italien
virtù), clairvoyance et habileté du prince, génie politique.
d) Vertus cardinales : la sagesse, le courage, la
tempérance et la justice, que les morales antiques considèrent comme la condition de possibilité de la vie heureuse.
L'Unesco a fait, de l'année 1995, l'année de la tolérance.
L'unanimité s'est faite pour couvrir d'éloges cette
attitude et l'élever au rang de vertu.
Il est pourtant nécessaire de réfléchir sur elle.
Le mot de «tolérance» n'est pas
clair.
Dans son usage actuel, il comporte au moins deux sens:
• Il peut signifier «admettre à la rigueur », il désigne alors ce qui est à la limite du supportable, ce à quoi je ne vais
pas faire la guerre, que j'accepterai sans plaisir et qui n'entrera pas dans mes pratiques ni dans ma vie.
Si j'adopte
cette attitude envers autrui, je ne me dispose pas à le comprendre, à entrer avec lui en dialogue, à sympathiser.
Je
m'enferme dans ma culture et je le laisse, lui, enfermé dans la sienne.
• Le mot peut avoir une signification beaucoup plus positive, quand il désigne une disposition bienveillante, qui non
seulement admet chez autrui des manières de penser et d'agir et des sentiments différents des nôtres, mais qui
cherche à en comprendre le sens et à les apprécier.
Une telle disposition est à l'origine de l'échange culturel.
La tolérance a aussi une signification historique.
Au XVIIIe siècle, les écrits en sa faveur ont été très nombreux chez
les «philosophes ».
On peut citer la Lettre sur la Tolérance de Locke, le Commentaire philosophique de Bayle, de
nombreuses pages de Fontenelle et de Montesquieu, l'article «Certitude» de l'Encyclopédie, les Lettres
philosophiques et le Traité sur la Tolérance de Voltaire et la Profession de foi du vicaire savoyard de Rousseau.
A ce
moment-là, un certain nombre d'affaires (affaire Calas, affaire Sirven, affaire du Chevalier de La Barre) avaient
secoué l'opinion.
Des condamnations très sévères et des châtiments très cruels avaient été infligés.
Les preuves de
culpabilité furent discutées.
Voltaire fit entendre sa voix au nom de la justice.
Deux questions étaient posées à la
justice de France : était-elle certaine de son jugement? – Même en cas de culpabilité, a-t-on le droit d'infliger à des
hommes des châtiments cruels? L'Église, en ce temps-là, était autoritaire au nom de la vérité.
Elle considérait que
l'erreur n'a pas de droits et que les droits de la vérité devaient être défendus envers et contre tous.
Les partisans
des idées nouvelles contestaient la vérité religieuse.
Leur attachement à la tolérance était fondé sur l'incertitude et
les limites de l'esprit humain.
Ce que nous savons aujourd'hui sur la culture met la tolérance à l'ordre du jour.
Nous sommes amenés à examiner à
la fois la possibilité, pour l'esprit de l'homme, d'atteindre la vérité, la liberté de la personne à l'égard de l'affirmation
de la vérité, les droits de l'homme, même s'il est jugé coupable.
En conséquence, nous avons à nous poser des
questions personnelles : sous prétexte de tolérance, ai-je le droit de pactiser avec l'erreur et de la laisser se
répandre en ma présence sans rétablir la vérité? – Suis-je intolérant parce que j'ai des préjugés à l'égard de ce que
je connais mal? – Ai-je horreur d'être « dérangé » dans le système de pensée que j'ai fait mien? Ai-je, simplement,
peur du nouveau, de l'inconnu? Suis-je tolérant parce que j'aime la tranquillité et la paix, parce que je préfère le
compromis à la polémique, parce que je redoute le désaveu d'une opinion majoritaire ? Enfin, pourquoi s'intéresse-ton tant, aujourd'hui, à la tolérance? Est-ce un fait d'évolution culturelle? Nous aimons dire que notre société est
«pluraliste », c'est-à-dire que nous ne nous entendons plus sur grand chose, que nous n'avons plus de valeurs
communes, plus d'âme commune.
La tolérance est-elle une vertu nécessaire dans une société dont la culture est
«éclatée»? Repose-t-elle sur un fond d'incertitude et de scepticisme à l'égard de la vérité ? Ou est-ce une
nécessité sociale résultant de l'immigration, du brassage des populations, des multiples possibilités de voyages et de
l'expérience que nous avons faite du racisme et de ses méfaits ? La question qui nous est posée est donc fort
complexe.
Bien des raisons permettent d'envisager la tolérance comme une vertu : elle proscrit toute persécution, toute
violence, toute agressivité, tout mépris envers les personnes.
Elle représente aussi la maîtrise de tendances
irrationnelles qui se trouvent en chacun de nous : peur de l'inconnu, du différent.
Elle est un acte de prudence
intellectuelle: «Dans un temps d'ignorance écrivait Montesquieu dans la Préface de l'Esprit des Lois, on n'a aucun
doute, même lorsqu'on fait les plus grands maux ; dans un temps de lumière, on tremble encore lorsqu'on fait les
plus grands biens.
» Il y a souvent, dans la tolérance, une démarche de simple justice.
L'autre, qui n'est pas de mon
avis, a, sans doute, quelque chose à m'apprendre, à me faire discerner.
Le pluralisme culturel doit être reçu comme
une richesse.
Nul n'est détenteur de la vérité intégrale.
La tolérance est une manière de
manifester à autrui le respect que je lui dois et que je lui porte.
Que de fois nous émettons, sur nos semblables, des
jugements sommaires et malveillants ! La tolérance est une exigence des droits de l'homme.
Dans une démocratie,
elle est indispensable pour prévenir les abus de pouvoir de la majorité.
Seuls les états totalitaires ne tiennent pas
compte des minorités..
»
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