La théorie platonicienne des Idées
Extrait du document
«
A.
Les modèles intelligibles
Le mot idée s'emploie, dans la langue philosophique, avec un « I » majuscule ou avec un « i » minuscule.
Avec un «
I » majuscule, il renvoie à la célèbre théorie platonicienne des Idées.
Pour Platon, les Idées sont les archétypes,
autrement dit les modèles éternels de toutes les choses concrètes qui ne sont que leurs images fugitives.
Dans le
Timée, il est question du démiurge qui ne crée pas le monde, mais qui le fabrique à partir de la matière informe et
des Idées éternelles qu'il contemple.
Dans le Ménon, Platon met en scène Socrate faisant découvrir la géométrie à
un jeune esclave.
L'esclave, aidé par Socrate, retrouve très vite les propriétés des figures géométriques sans jamais
les avoir apprises auparavant.
Les idées mathématiques « surgissent chez lui comme en un songe ».
Si l'esclave
retrouve tout « sans aucun maître, par de simples interrogations », c'est, dit Socrate, qu'il n'apprend pas, à
proprement parler, des choses nouvelles, mais qu'il reprend clairement possession de connaissances qu'il avait déjà.
Mais puisque cet esclave n'a reçu aucune instruction, comment expliquer cette merveille ?
B.
Apprendre, c'est se ressouvenir
Platon l'explique, selon son habitude, par un « mythe », par une sorte de légende qui n'est pas présentée comme
vraie à la lettre, mais qui est une façon imagée de nous faire entendre une vérité philosophique profonde.
Avant de
naître, cet esclave, ou plutôt son âme, vivait, comme toutes les âmes, parmi les pures Idées, au ciel des vérités
éternelles.
Puis l'âme est tombée dans un corps, mais elle conserve sur cette terre un vague souvenir des Idées
qu'elle contemplait avant son incarnation (réminiscence).
Ainsi l'esclave ne retrouve si vite les théorèmes que parce
qu'il se souvient de les avoir connus avant sa naissance.
Les vérités ne sont pas réellement trouvées dans
l'expérience concrète.
Mais elles sont intérieures à notre esprit, comme un souvenir un peu effacé mais toujours
présent et que nous sommes capables d'évoquer par un léger effort.
Dans le Ménon, Socrate interroge un jeune esclave.
Il lui demande comment
construire un carré dont l'aire soit le double d'un premier carré.
Le jeune
esclave commence par doubler le côté du carré, mais ceci conduit à
quadrupler l'aire du carré.
Aidé par les questions de Socrate, qui ne lui donne
à aucun moment la solution, il découvre que le carré double d'un autre est
celui que l'on construit sur la diagonale.
L'esclave retrouve donc, du moins en
partie, le théorème de Pythagore, qu'il n'a jamais appris.
Comment cela est il
possible ? L'hypothèse platonicienne est que l'esClave possédait déjà cette
connaissance.
Autrement ; dit, selon Platon, c'est comme si l'esclave se
souvenait de cette réalité mathématique.
« Nous devons avoir bon courage »,
dit Socrate, « et » nous efforcer de rechercher et de retrouver la mémoire de
ce dont nous avons perdu le souvenir ».
La connaissance est une
réminiscence.
C'est pourquoi Socrate se définit comme le digne fils de sa
mère, qui était sage-femme, et déclare être un accoucheur d'âme.
Il ne fait,
dans les dialogues, que faire dire à son interlocuteur ce que ce dernier
connaissait déjà : il l'aide à mettre sa connaissance au monde mais il ne lui
apporte pas cette connaissance.
Cette théorie explique ainsi que les degrés
de la connaissance puissent être variables.
Chez certains le souvenir est
presque effacé, chez d'autres, comme les philosophes, il a été ravivé.
Platon donne un nom à ces différents degrés.
Chez l'esclave, cette
connaissance, qui n'est pas une connaissance scientifique parce qu'il n'a pas
pratiqué les mathématiques, est ce que Platon appelle une opinion droite, par
opposition à ['opinion fausse, qui caractérisait le savoir de l'esclave avant les questions de Socrate, et au véritable
savoir, épistèmè, que ne possède que le mathématicien, conscient des tenants et aboutissants de sa propre
connaissance.
Ainsi, explique Socrate, des hommes politiques célèbres comme Périclès ont-ils bien dirigé la cité.
Ils
ne possédaient pourtant aucune science, épistèmè, de la politique, mais une opinion droite.
Dans ce domaine, la
politique, qui relève de l'action, ce type de savoir peut suffire.
Mais parce que leur connaissance n'était que
d'opinion, ces hommes politiques n'ont pu enseigner leur savoir à leurs enfants.
Leurs souvenirs n'étaient pas
suffisamment éclaircis par la pratique de la philosophie.
Mais de quoi nous souvenons-nous et pourquoi ? C'est par un mythe que Platon répond à cette interrogation, dans
le Phèdre.
L'âme est immortelle.
Avant de s'incarner dans les corps, elle a suivi les dieux dans les cieux et elle a eu
la vision des idées : l'essence de la justice, de la tempérance, etc.
Ce sont des réalités « sans couleur ni forme »
d'où toutes les choses tirent leur existence.
Certaines âmes voient mieux que d'autres ces réalités ultimes, car le
char qu'elles conduisent est plus ou moins facile à conduire sur la route qu'elles suivent, selon que les passions,
comme la colère, le désir ou l'ambition, sont plus ou moins bien domestiquées.
Les âmes, une fois ce voyage céleste
accompli, s'incarnent, et le souvenir de cette vision s'estompe.
Si elles sont bien cultivées par la philosophie, elles
pourront se remémorer ce qu'elles ont vu.
Mais, une fois incarnées, quel chemin doivent-elles suivre sur la route de
la philosophie ?
Ce mythe de la réminiscence est tout simplement un symbole de ce qu'on appelle la théorie innéiste ; il signifie que
les Idées sont innées dans notre esprit, qu'elles sont indépendantes de l'expérience concrète, puisque loin d'être
issues de choses concrètes, sensibles, ce sont les Idées éternelles qui ont servi de modèle aux choses concrètes.
Les vérités sont antérieures à notre expérience terrestre, intérieures à notre esprit.
Tel est le sens de l'idéalisme
platonicien qui est en même temps un dualisme, puisqu'il y a deux mondes, celui des Idées éternelles auquel notre
esprit participe, et celui — inférieur et dérivé — des images, c'est-à-dire des choses concrètes et sensibles,.
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