La technique met-elle la nature au service de l'humain ?
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Vocabulaire:
TECHNIQUE
Tout ensemble de procédés pour produire un résultat utile.
La technique moderne s'appuie sur la science; mais elle s'en distingue puisque la science est un effort pour expliquer ce qui existe
tandis que la technique cherche à produire ce qu'on souhaite qui soit — qui n'est pas.
La technique peut se définir comme un vouloir, incarné en un pouvoir par l'intermédiaire d'un savoir.
Comme adjectif: par opposition à esthétique, qui concerne des procédés susceptibles d'être développés et transmis, et non des dons ou capacités innées.
NATURE :
1° L'inné par opposition à l'acquis (nature opposée à culture, ou chez les anthropologues anglo-saxons nature opposée à nurture); 2° Essence, ensemble des propriétés qui caractérisent un
objet ou un être (la nature de l'homme par exemple); 3° L'ensemble des phénomènes matériels, liés entre eux par des lois scientifiques.
En ce sens, le naturel peut s'opposer au surnaturel qui
désigne une intervention transcendante de la divinité; 4° Spinoza distingue la nature naturante, c'est-à-dire la substance infinie et la nature naturée, les divers modes par lesquels s'exprime
cette substance.
Le mot nature est ambigu.
Le naturalisme du xviiie siècle par exemple est contradictoire.
D'une part son épistémologie réduit la nature à un mécanisme (des faits soumis à des
lois nécessaires) indifférent aux valeurs humaines.
D'autre part, sa morale prétend se fonder sur la nature, c'est-à-dire sur des tendances spontanées, supposées bonnes; la nature devient
alors la Mère-Nature, une sorte de providence bienveillante.
Introduction
Le progrès technique est l'évolution des manières ou des méthodes permettant d'améliorer les moyens de parvenir à une fin.
La technique, à la différence de l'art, vise l'utilité qu'elle ne
peut obtenir qu'au moyen d'une économie de moyens et d'un maximum d'efficacité.
La réussite de la technique se mesure au degré d'efficacité des moyens mis en œuvre pour accroître les
capacités d'une machine, améliorer la gestion d'une entreprise, ou faciliter la maîtrise de l'homme sur la nature.
Même si l'on pense qu'il n'y a pas de différence essentielle entre un radiateur
électrique et un feu de cheminée, puisque leur fonction est la même, il n'en reste pas moins que l'homme tend à s'affranchir de la nature, et ce en concevant des moyens plus efficaces selon
lui.
Mais le progrès technique ne représente-t-il pas un danger, soit par rapport aux relations humaines, soit en fonction de la difficulté de contrôler les conséquences de ses produits ?
I.
Le devenir de l'homme maître de la nature
a.
L'homme est « nu » au départ, et, selon le mythe du Protagoras, il dut s'emparer du feu et des « sciences propres à conserver sa vie » (Platon, Protagoras).
C'est de là que provient la
technique : elle fournit à l'homme les moyens d'adaptation à un environnement qui peut lui être hostile (la nature).
Le terme « technique » vient du grec « technè » qui se définit comme un
savoir-faire dont le but est un comportement efficace et approprié aux circonstances.
L'homme est ainsi défini comme étant un « homo faber » (l'homme fabricateur d'outils).
Et le fait de
fabriquer souligne pour Bergson l'intelligence humaine (L'évolution créatrice).
Aristote déjà montrait que la « technè » est une « disposition tournée vers la création », et « accompagné de
raison », ce qui l'oppose aux animaux (cf.
Ethique à Nicomaque, VI, 4).
L'outil sera ainsi la traduction matérielle de l'intelligence de l'homme : « Ce n'est pas parce qu'il a des mains que
l'homme est le plus intelligent des êtres, mais c'est parce qu'il est le plus intelligent qu'il a des mains » (Aristote, Les parties des animaux).
L'outil, ou l'objet conçu et fabriqué par l'homme pour
exécuter son travail, est considéré comme un prolongement naturel de la main.
b.
Descartes aime à le répéter : la nature n'est pas une déesse.
Il n'y a en elle ni secrets ni forces cachées.
Elle est faite d'un espace homogène,
partout semblable à soi, qui ne doit pas nous étonner.
Expliquer n'est pas approfondir ce qui, en réalité, n'a pas de fond.
C'est étaler dans l'espace, et
permettre de voir.
L'objet offert à l'immédiate vision de l'esprit, l'objet spatialement et, par là, techniquement défini, devient le modèle unique sur lequel
est conçue la nature.
De celle-ci, quand nous aurons découvert tous ses ressorts, nous pourrons donc, sans difficulté, nous rendre maîtres.
Né dans la
première moitié du XVIIe siècle, le mécanisme a non seulement entraîné de grands développements ultérieurs de la science, mais encore il a produit une
réforme totale de la conscience que l'homme a du monde.
La science mathématique et mécanique de la nature est née à cette époque.
On en vit encore
aujourd'hui les conséquences.
La nature n'est plus sacrée, elle est le simple lieu de l'expérience scientifique (cf., sur le mécanisme cartésien, Les passions
de l'âme, art.
4 et 6).
II.
La prévention des abus techniques
a.
Selon Martin Heidegger dans la question de la technique dans Essais et conférences : « La technique est un dévoilement.
C'est seulement lorsque
nous arrêtons notre regard sur ce trait fondamental que ce qu'il y a de nouveau dans la technique moderne se
montre à nous.
Le dévoilement, cependant, qui régit la technique moderne ne se déploie pas en une production au sens de la
poiesis.
Le dévoilement qui régit la technique moderne est une provocation par laquelle la nature est mise en
demeure de livrer une énergie qui puisse comme telle être extraite et accumulée.
» C'est ce qu'il appelle
l'arraisonnement du monde.
Cet arraisonnement n'a rien en vérité de technique.
Il fait la différence entre le commettre et le dévoilement.
Cet
arraisonnement entrave le véritable dévoilement qui n'est possible en définitive qu'avec l'art.
La technique provoque la nature.
Un paysan par exemple en
labourant sa terre ne la provoque pas.
Il n'y a plus d'accord entre l'homme et la terre, il doit la transformer pour en tirer une énergie, une matière qui ne
se trouve pas comme telle disponible.
Construire un barrage, une carrière de minerais, une centrale nucléaire est une provocation.
Aussi le travail du
paysan sera dit proche de la nature, et la technique moderne éloigne l'homme de la nature en vérité puisque l'homme cherche à en outrepasser les
limites, à la dépasser, à en retirer quelque chose qu'elle ne donne pas naturellement.
Dans ce cadre, l'homme moderne n'a plus qu'un rapport technique
avec la nature puisqu'il en cherche à en exploiter les moindres ressources.
La technique peut donc se retourner contre la nature après en être issue et constituer un danger pour elle, et ce en un sens qui n'est pas
exclusivement matériel, mais qui est aussi spirituel.
Dans son analyse de la technique, Heidegger, très au-delà de la bonne conscience
écologique, met en lumière une certaine relation d' « arraisonnement » : à force de vouloir se rendre « maître et possesseur de la nature »,
comme le disait Descartes, l'homme met, selon la riche métaphore heideggerienne, la nature « à la raison » : Heidegger parle aussi d'
« arraisonnement » , comme si la technique abordait la nature en pirate ; Qu'est-ce à dire ? Dans sa conférence titrée « La question de la
technique », Heidegger part de la question suivante : « quelle est donc l'essence de la technique moderne pour que celle-(ci puisse s'aviser
d'utiliser les sciences exactes de la nature ? » Pour répondre à cette question, il faut inverser le rapport traditionnel entre science et technique.
En apparence, la technique suit les sciences exactes de la nature ; en réalité, la relation est presque inverse : c'est l'application technique qui
renforce un certain aspect de ces sciences naturelles : « La physique moderne n'est pas une physique expérimentale parce qu'elle applique à la
nature des appareils pour l'interroger, mais inversement : c'est parce que la physique –et déjà comme pure théorie- met la nature en demeure de se montrer comme un complexe
calculable et prévisible de forces que l'expérimentation est commise à l'interroger », ajoute Heidegger.
Et peut-être en effet peut-on aller jusqu'à dire que lorsque la science
travaille, elle a déjà en vue les applications techniques, qui peut-être alors l'orientent dans ses travaux : c'est bien ce que veut dire Heidegger quand il dit que c'est pour appliquer
son « questionnement », sa mise à la question, que la physique est expérimentale.
La technique humaine, explique-t-il plus largement, accomplit un destin remontant à la philosophie grecque et au nom duquel elle organise la nature en objet : ce faisant,
l'homme viole et épuise un certain « fonds », non pas celui des réserves quantitatives de minéraux, mais celui d'une réserve de dévoilement et d'étonnement.
est-il d'ailleurs si faux
que notre rapport à la nature soit devenu à ce point médiatisé par la technique que nous ayons du mal à voir ce qu'est la nature ? Bref, c'est cet enjeu de la technique qui, aux yeux
de Heidegger, illustre le mieux l'oubli de l'Etre dont il veut se faire le penseur.
Mais, dire que la technique contribue à l'oubli de l'Etre, ce n'est certes pas le rejeter en tant que
telle : ce serait un grand contresens que de voir pour autant chez Heidegger une diabolisation ou un refus de la technique..
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