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La technique est-elle libératrice ?

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« La diabolisation de la technique semble reposer sur une sorte de malentendu : après tout quand un meurtre est commis avec un pistolet, ce n'est pas le pistolet que l'on juge au tribunal, mais celui qui a appuyé sur la détente, c'est-à-dire celui qui a employé ce moyen technique en vue d'une certaine fin posée par lui.

La technique ne fait que proposer des moyens : l'homme, en tant qu'il est celui qui fixe et détermine les finalités qui lui paraissent souhaitables.

Le malentendu de la diabolisation consiste à porter un jugement de valeur sur la technique, alors que ces jugements ne peuvent être portés que sur l'utilisation, finalisée par l'homme, de cette technique.

A proprement parler, la technique apparaît donc comme étant techniquement neutre, dépourvue d'une quelconque détermination morale et libre de toute valeur. Selon cette thèse (de neutralité), ce n'est pas par elle-même que la technique peut être jugée, mais en fonction des fins.

Par exemple, si l'on s'en tient au point de vue technique , le médecin est le meilleur empoisonneur peut-être même meilleur pour empoisonner que pour guérir c'est que qu'avait en vue Aristote dans l' « Ethique à Miconaque » , quand il disait que « dans le domaine de la technè, l'homme qui agit mal volontairement est préférable à celui qui agit mal involontairement ».

Du point de vue technique, il vaut mieux savoir que ne pas savoir, et appliquer ce savoir à un mal n'est pas à proprement parler un problème qui concerne la technique.

C'est une autre instance que l'instance technique qui fixe les fins, et ce n'est pas donc en tant que technicien que le médecin choisit de guérir plutôt que d'empoisonner.

voilà bien l'illustration de ce qu'on appelle classiquement l'indétermination des fins, ou la neutralité morale de la technique : le critère de jugement du technique n'est pas, alors, la valeur morale, mais la pure et simple efficacité. Est-il si sûr, pourtant, que la technique soit moralement neutre ? Certes, la possession d'un pistolet n'oblige personne à commettre des meurtres, mais peut-on écarter totalement l'idée qu'elle aide à en considérer la possibilité ? Pour utiliser une métaphore biologique, on peut soupçonner qu'ici, jusqu'à un certain point, l'organe crée la fonction, ou, si l'on préfère, que la technique suggère bien tout de même l'idée de ses finalités possibles.

L'opposition de ces deux conceptions de la technique, l'une, innocente (la neutralité morale), l'autre, plus désabusée (la technique suggère des finalités), nourrit le débat contemporain sur la notion.

C'est en s'opposant explicitement à la première conception, jusque-là courante, que Marcuse, cité par Harbemas dans « La technique & la science comme idéologie », explique que « ce n'est pas après coup seulement, et de l'extérieur, que sont imposés à la technique certaines finalités et certains intérêts appartenant en propre à la domination – ces finalités et ces intérêts entrent déjà dans la constitution de l'appareil technique lui-même ».

On ne saurait être plus clair : Marcuse soupçonne la technique de porter en elle ses fins. « Ce n'est pas seulement son utilisation, c'est bien la technique elle-même qui est déjà domination (sur la nature et sur les hommes), une domination méthodique, scientifique, calculée et calculante.

Ce n'est pas après coup seulement, et de l'extérieur, que sont imposés à la technique certaines finalités et certains intérêts appartenant en propre à la domination – ces finalités et ces intérêts entrent déjà dans la constitution de l'appareil technique lui-même.

La technique, c'est d'emblée tout un projet socio-historique : en elle se projette ce qu'une société et les intérêts qui la dominent intentionnent de faire des hommes et des choses.

Cette finalité de la domination lui est consubstantielle et appartient dans cette mesure à la forme même de la raison technique.

» Marcuse. L'argument qui permet de passer de la thèse de la neutralité à cette position, c'est l'argument du système, du projet d'ensemble.

si on considère la technique comme un tout, comme un projet global, la liberté qui s'offre à nous devant les moyens techniques isolés pris un par un s'efface, et se fond dans la finalité d'ensemble du projet.

L'analyse de Michel Henry, l'auteur de la « Barbarie », converge ici avec celle de Marcuse pour récuser la thèse trop facile de la neutralité du moyen technique : « si l'on parle à propos de technique de « moyen », il faut reconnaître qu'il s'agit de moyens très particuliers ; lesquels ne sont plus au service d'aucune fin différente d'eux mais constituent eux-mêmes la « fin » ».

au terme de ces analyses, c'est la neutre indétermination de la technique qui est repoussée comme illusoire. Dans cette direction on pourrait aller jusqu'à suspecter l'économie de marché de créer le besoin du consommateur pour un objet dont nous étions arrivés à nous passer jusque-là.

La campagne de publicité récente d'une grande marque d'ordinateurs rappelait que « l'important n'est pas ce que l'ordinateur peut faire, mais ce que vous pouvez en faire ».

le slogan a le mérite de bien poser le problème de l'objet technique, en prenant acte de ce que dorénavant la plupart des objets techniques créent le besoin qu'on a d'eux au lieu d'y répondre ; il rappelle que ce sont théoriquement les hommes qui fixent les finalités, et qui déterminent le choix des objets techniques qu'ils utilisent en fonction de ces finalités.

Comme. »

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