La subjectivité est-elle vérité ?
Extrait du document
«
Si la littérature romantique sanctifie le moi singulier dans toute sa fluence et sa bigarrure, la philosophie, dès
l'origine, s'affirme comme le renoncement progressif à une individualité, source d'illusions et de fausseté: le "je"
philosophique, tout différent du "moi" (littéraire), est celui de l'universalité de l'humaine condition.
Descartes fonde
ce roc de certitude qu'est le cogito, qu'après l'abandon des croyances et superstitions héritées des nourrices.
Le
"je" du " je pense, j'existe" est l'affirmation d'un être de raison, plutôt que de raisons d'être...
Ainsi la question de la subjectivité comme vérité semble teintée d'absurdité, bien plus, semble aboutir à l'aporie.
Pour
dépasser cette apparente impasse de la réflexion philosophique, il s'agira d'examiner les différents sens de
compréhension de la notion de la subjectivité : en quel sens, peut-elle être source, critère de vérité? Dans une
perspective sensualiste et sophistique, elle devient dilution de la vérité en autant d'individualités: elle peut être
définie comme subjectivité singulière.
Dans une redéfinition gnoséologico pratique et kantienne, elle est condition
de possibilité du vrai, subjectivité universelle.
Mais, un dépassement de l'esthétisme sophistique et de l'éthique kantienne n'est il pas possible dans et par une
subjectivité comme accès à l'Absolu, à une Vérité absolue ?
I ) La subjectivité sensualiste de Protagoras et son échec à atteindre la vérité.
C'est contre l'esthétisme, le pragmatisme et l'opportunisme politique que Platon dans le "Théétète" tente de définir
ce qu'est la science.
Si le dialogue engagé avec le jeune mathématicien se conclut,
faute de définitions nouvelles, par une aporie, il n'en demeure pas moins que l'entreprise
a permis de réfuter, mais aussi de caractériser les fallacieux discours des sophistes.
En
effet, la première définition ("La science est la sensation") permet à Socrate de nous
présenter cette thèse comme ayant sa cohérence propre.
Dans cette première
définition, le philosophe reconnaît la thèse protagoréenne: "L'homme est la mesure de
toute chose".
Or, qu'est ce à dire?
Déjà que ce qui paraît à chacun est la réalité même.
Ici, la subjectivité est entendue
comme moi empirique, comme la plus intérieure, la plus singulière et la plus personnelle
de mes facultés: la conscience individuelle et individualisante, et par là même échappant
à toute universalité conceptuelle.
En effet, dire indifféremment que "la science n'est que
la sensation" ou que "l'homme est la mesure de toute chose", c'est renoncer à trouver
un fondement et une mesure ontologique au vrai.
Car, si cette table m'apparaît blanche
et qu'elle t'apparaît non blanche, chacun de nos énoncés est également vrai.
Et, donc
l'adjectif "blanc" ne signifie plus rien.
Tout n'est que bruit, chaos.
Cette première
définition ruine donc tout discours, en dissolvant le principe de non contradiction: à
savoir, cette table ne peut être à la fois blanche et non blanche sous un même rapport.
De plus, dire aujourd'hui
que cette table est blanche et affirmer l'instant suivant qu'elle est non blanche, c'est admettre un perpétuel
mouvement d'une science aussi versatile et fugace que ne le sont les sensations.
Telles sont donc les conséquences du subjectivisme de Protagoras: sensualisme, relativisme et mobilisme universel.
Ici, loin d'être origine et fondement du vrai, la subjectivité marque l'arrêt, bien plus la reddition de tout discours, de
tout échange dialogique puisque "le mot être est à éliminer".
La thèse de Protagoras et sa déroute n'est que le lointain écho de la faillite de la sphère esthétique.
Comme Don
Juan ou Johannes, le sophiste fait de la sensation immédiate, de la séduction politique et érotique ( puisqu'il y a un
érotisme politique dans la séduction des foules), de la victoire comme critère du vrai, une règle de vie.
La génialité
de l'esthétique sophistique, si elle réside dans la possibilité de soutenir une thèse et son contraire, n'en reste pas
moins marquée par le désespoir: puisqu'il est tout et rien, le sophiste n'est rien du tout, puisque l'instant est son
absolu, son absolu ne dure qu'un instant.
L'ironie, définie comme la plaisanterie derrière le sérieux, lui fera prendre
conscience que la liberté du vide n'est qu'un vide de liberté...
II) La réhabilitation kantienne de la subjectivité par l'a priorisme théorique et pratique ou le subjectif
universel.
Ruinée par les luttes conjointes de Platon et d'Aristote, la thèse protagoréenne de la subjectivité comme vérité
semblait à jamais ruinée.
Il faudra attendre près de vingt siècles pour que dans un premier temps Descartes puis
Kant ne la réhabilitent.
Avec ces deux penseurs, la subjectivité devient origine et fondement de la connaissance
vraie.
Pour Descartes, le cogito est le reste, le subsistant métaphysique et phénoménologique du doute.
Cet invariant,
résistant à la mise en abîme du néant, est précisément une subjectivité rendant possible toute re fondation d'un
savoir cognitif, moral, philosophique ou même politique.
Il est l'alpha et l'oméga des multiples déclinaisons de la
vérité.
Et, ce sujet se découvre "chose pensante", substance c'est à dire immédiat à lui même et autonome,
possibilité de commencement pur (même si Descartes ajoute que seul Dieu peut se « targuer », dans l'absolu, de
telles prérogatives).
Dès lors, pour Descartes, ce sujet prend la mesure de l'universalité dans le connaître pour peu qu'il applique les
enchaînements logiques, en évitant la « prévention » et la « précipitation » par le biais du « bon sens » qui selon la
formule inaugurale du « Discours de la méthode » , « est la chose du monde la mieux partagée »
Si chez Kant, le sujet (universalisable) reste bien origine et fondement du connaître, sa critique du cartésianisme
vise la gangue métaphysique et substantialiste en laquelle réside le cogito.
C'est la « Dialectique transcendantale » qui dénoncera l'illusion de la psychologie rationnelle d'un ego essentiellement
et immédiatement connaissable à soi.
Pour Kant, il ne s'agit pas de confondre le sujet de la connaissance et l'objet
de la connaissance, le moi transcendantal et le moi empirique.
Il n'y a pas de connaissance a priori du sujet.
Par.
»
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