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La source des passions ?

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« VOCABULAIRE: PASSION: * C e que l'âme subit, ce qu'elle reçoit passivement.

C hez Descartes, le mot désigne tout état affectif, tout ce que le corps fait subir à l'âme.

S on origine n'est pas rationnelle ni volontaire. * Inclination irrésis tible et exclusive qui finit par dominer la volonté et la raison du sujet (la passion amoureuse). Selon Descartes, les passions subies par l'âme correspondent à l'action exercée par les « esprits animaux », par la mécanique neurophysiologique.

La pas sion exprime l'esclavage que notre corps fait subir à notre âme.

Q ue faut-il penser de ce point de vue? Il est évident que les passions, qui se greffent sur les tendances, sur les besoins, ont une base biologique.

L'amour est lié à la sexualité, l'avarice à un besoin de sécurité, l'ambition à une affirmation du « moi » qui renvoient en définitive, à l'organisation biologique de l'homme. M ais s'il est vrai qu'un être désincarné ne pourrait éprouver aucune pass ion, on ne saurait expliquer totalement les passions à partir du corps.

L'animal, qui bien plus que nous est esclave de son corps, ignore, à proprement parler, les passions.

La p a s s i o n e s t un phénomène psychologique complexe qu'on ne saurait expliquer seulement à partir de la mécanique physiologique.

L'amour-passion implique une « individualisation élective du désir sexuel », un choix amoureux dont la physiologie ne peut rendre compte.

L'avarice est une passion « abstraite » qui exige le concours de l'intelligence et de l'imagination humaines : l'avare se prive de tout pour accumuler de l'or ou des billets de banque ou des titres de sociétés par actions, bref des richesses virtuelles, des symboles de richesse, des moyens de dépenses possibles. C ette pas sion « intellectuelle » qui se repaît de symboles ne saurait avoir d'explication purement physiologique.

On en dirait autant de l'ambition qui va bien au-delà de la satisfaction des besoins e t qui apparaît comme une passion précisément parce qu'elle ne s e trouve jamais assouvie.

L'ambition est tout autre c h o s e q u e l a tendance animale à persévérer dans son être.

Elle est propre à l'homme, en lequel, disait Léopardi, « il y a toujours quelque chose d'ins atisfait ». C 'est à la psychanalyse qu'on peut emprunter l'explication la plus profonde des passions.

Si la passion apparaît à c elui-là même qui la subit c omme une force étrangère qui se déploie « en lui, sans lui, et malgré lui », si nous sommes impuissants à nous reconnaître en nos passions , c'est précisément parce que la source des passions est inconsciente.

La « transcendance » des passions, c'est la transcendance de notre enfance oubliée dont les péripéties ont noué en nous, à notre insu, les complexes dont nous souffrons.

A lquié a brillamment illustré la thèse psychanalytique en son Dés ir d'éternité.

Le « désir d'éternité », le « refus du temps » dont parle A lquié à propos des passions, c'est la fixation du passionné à des circonstances de son passé dont il est d'autant plus l'esclave qu'il n'en prend pas une conscience claire.

Les passionnés, « prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur consc ience claire sont contraints par c e souvenir à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire perpétuellement reprise.

Don Juan est si certain de n'être pas aimé que toujours il séduit et toujours refuse de croire à l'amour qu'on lui porte, le présent ne pouvant lui fournir la preuve qu'il cherche en vain pour guérir sa blessure ancienne.

De même, l'avarice a souvent pour cause quelque crainte infantile de mourir de faim, l'ambition prend souvent sa source dans le désir de compenser une ancienne humiliation...

Mais ces souvenirs n'étant pas conscients et tirés au clair, il faut sans cesse recommencer les actes qui les pourraient apaiser ». Dans « le Désir d'éternité » (1943), A lquié distingue précisément la passion passive et la passion active : 1 — La passion pas sive est c aractérisée par le refus du temps.

Le passionné est l'homme qui préfère le présent immédiat au futur de sa vie.

« Pour l'ivrogne, l'essentiel est de boire sur-le-champ, pour l'amoureux de retrouver sa belle au plus tôt, pour le joueur de courir au c asino.

M ais demain, voici l'amoureux au désespoir, l'ivrogne malade, le joueur ruiné.

Ils ont sacrifié leur bonheur aux sollicitations immédiates, ils n'ont pas su se penser avec vérité dans le futur ». C ette négation du temps comme avenir est ce que A lquié appelle « le désir d'éternité ».

Or c'es t du pass é que le présent tient sa puissance de fascination, dans cette forme de passion.

Elle est égocentrisme et résurgence du passé.

Le pas sionné aime dans l'objet de sa pass ion le symbole de son passé : l'avarice a souvent pour caus e une crainte infantile de mourir de faim, l'amoureux projette sur la femme qu'il aime l'image du visage qui se penchait sur s on berceau etc.

De là cette « joie d'enfant » du pass ionné adorant l'objet passionnel.

Étant refus du temps, la passion passive est vouée à l'inefficac ité. 2 — La passion active est unité de l'es prit et volonté réalisatrice.

Elle retrouve le sens du futur comme lieu de son action, elle est autonomie du sujet.

P ar exemple, loin d'être infantile, possessif et cruel comme l'amour-passion, l'amour-action sera oubli de soi, effort pour assurer l'avenir des êtres aimés, charité. — La différence nettement établie enfin entre les deux genres de passions es t inséparable, comme on le voit, du plan moral.

A u fond la différence est surtout entre l'égoïsme des unes et l'altruisme des autres.

L'ambition est pensée du futur et sera pourtant rangée dans les passions pas s i v e s , m a i s s i c e t t e ambition prend la forme de la passion de la science, elle risque d'être rangée dans les passions actives.

La vraie différence est bien, comme le dis ait Descartes , dans l'utilisation de ce dynamisme passionnel aveugle qui est tantôt inefficace, tantôt utilisé, selon le sentiment au service duquel il est et selon qu'il exclut ou intègre le disc ernement des valeurs. Il en est de même de la pas sion du vol ou kleptomanie.

Elle semble liée à une frustration inconsciente qu'elle c hercherait désespérément à compenser. A insi, tel jeune voleur, appartenant à une famille dissociée, souffre d'avoir perdu l'affection maternelle et ne cess e de dérober stylos, montres en or, qui symbolisent obscurément pour lui l'amour maternel perdu, objet précieux entre tous .

E t c ' e s t parce que ses larc ins ne lui donnent pas ce qu'il cherche réellement que, toujours insatisfait, il c ontinue de voler. La conception de M .

A lquié a été dis cutée par M .

Pradines.

M.

P radines, tout en reconnaissant que nos premières émotions sont parfois s usceptibles d'orienter définitivement nos tendances, se refuse à voir en toute passion l'emprise inconsciente du passé.

Le plus souvent, la passion se présente « plutôt comme l'appétit de sensations inconnues que comme le désir de renouveler d'anciennes expériences ».

La passion charnelle n'est-elle pas « révolte contre l'habitude »? Sans doute, en sa conscience claire le passionné aspire à éprouver des sensations nouvelles.

Dans le « coup de foudre » la passion éclate brusquement, s'éprouve comme une découverte que rien ne laissait présager.

Mais le témoignage de la conscience du passionné ne nous semble nullement décisif.

Les « découvertes », les « révélations » de la pas sion sont la répons e à une angoisse qui leur pré-existe et qui ne trouve sa s ignification claire que dans les événements de notre passé.

Le « coup de foudre » ne nous introduit pas dans un monde réellement nouveau, mais réveille une ancienne nostalgie. Si ce visage, inconnu encore de nous il y a seulement quelques instants, nous trouble si fort, n'est-ce pas, comme le dit M .

A lquié, que « nouveau en luimême, il devient pour nous l'image et le symbole d'une réalité que notre pass é a connue »? Dans le P hèdre, P laton a parlé de l'émotion amoureuse de l'âme qui tombe en extas e devant la beauté.

M ais cette extase soudaine n'est que le retour d'un souvenir.

Réveillée par la présence du Beau, l'âme se souvient moins obs curément de son passé lumineux, avant l'incarnation, au paradis des Idées.

Il est permis de reconnaître en ce mythique paradis, magiquement ressuscité par une belle apparition, le symbole métaphysique du « vert paradis » de nos « amours enfantines » dont nos pass ions adultes ne sont obscurément que la résurrection nostalgique. De la théorie psychanalytique, nous retiendrons essentiellement le caractère inconscient des processus passionnels.

L'objet de la passion résulte d'un transfert, ou d'une compensation, ou d'une sublimation.

Les vraies causes d e la passion sont en nous-mêmes e t non réellement dans l e s objets qui paraissent les sollic iter. Dans les cas extrêmes — qui sont des cas presque pathologiques — cette méprise pas sionnelle peut aller fort loin.

P roust éc rit par exemple : « Q uelquefois, l'angoisse est due à un médicament qu'on a pris et on c roit être anxieux à cause de celle qui ne vient pas! L'amour naît dans ce cas comme certaines maladies nerveuses de l'explication inexacte d'un malaise pénible.

». »

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