La société crée-t-elle le langage et la pensée ?
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«
INTRODUCTION
On peut faire remonter à Auguste Comte l'idée paradoxale mais la méthode féconde qui, au lieu de traiter la Société
comme une abstraction et l'individu seulement comme une réalité concrète (c'est encore le point de vue de Tarde et
de ce qu'on appelé la psychosociologie) renversent les termes du rapport, expliquent la conscience individuelle par la
contrainte sociale et ses diverses formes, un peu comme la géométrie réduit le point à n'être qu'une intersection de
lignes : d'où la socio-psychologie et les théories répandues notamment par l'école de Durkheim.
Peut-on les
accepter sans réserves ?
I - Le LANGAGE
A) — Le langage a) dont l'importance dans la vie intellectuelle a été mise en vive lumière par les empiristes et
notamment par Condillac qui explique par lui d'une manière qu'il croit nécessaire et suffisante.
toutes nos puissances
d'abstraction et d'invention (nominalisme) b) est d'autre part un instrument d'échange social par essence semble-t-il
: il y a quelque chose de dérivé et même de métaphorique dans l'idée d'un monologue, plus encore dans celle de «
parole intérieure » (Egger) : c'est un dialogue avec soi-même c) aussi rencontre-t-on l'idée d'une dépendance
socio-linguistique de notre intelligence même chez des philosophes qui, comme Bergson s'éloignent beaucoup de
cette « idéologie » et conclue t de ce fait l'infirmité pinta que la puissance de nos procédés d'analyse.
B) — Ces vues comportent les réserves ou du moins des limites a) le rôle intellectuel du langage est exagéré aussi
bien par les nominalistes que par l'école sociologique : le mot compte une règle d'emploi qui est l'idée et s'il la fixe, il
ne la crée p L'échange des pensées n'est possible qu'autant qu'elles répondent à un ordre communicable et partant
objectif: On peut à la rigueur (sous réserve des lois « d'usage et de raison ») appeler cercle un triangle mais- non
pas véhiculer par ce mot des propriétés différentes de celles de la figure b) le langage est lié à une organisation
biologique dont la fonction primaire est l'expression des émotions : or, bien qu'on ait à peu près abandonné ces
recherches comme trop conjecturales, il existe entre cette expression naturelle et nos conventions des rapports
phonétiques et sémantiques que la société utilise mais ne crée pas et qui plaident en faveur d'une origine naturelle,
organique.
II — LA PENSÉE
Cette dernière raison mise à part, si la sociologie explique mal le langage, c'est, on le voit, parce qu'elle explique mal
l'ordre de nos pensées, aussi bien rationnel qu'empirique.
Pourtant elle s'y est essayée.
A) — L'espèce de coupure qu'on remarque entre la pensée empirique et la science rationnelle s'expliquerait selon
l'école de Durkheim par le dualité de nature qui fait de nous un être individuel menant une vie profane et un, membre
.du groupe dont l'ascendant se traduit en nous par des impératifs transcendants et sacrés.
Ainsi s'expliqueraient a)
les caractères de la science (universalité, nécessité) b) ses cadres (espace, temps liés à l'organisation des clans) c)
ses principes explicatifs (force, cause, loi, souvenirs du « manatotémique ») d) et jusqu'à ses conditions critiques, la
liberté de pensée étant le fruit de la division du travail social.
B) - la pensée empirique elle-même n'échappe pas à ces cadres sociaux.
Par exemple la conversation du souvenir
selon Mr Halbwachs se confond avec l'idée que nous nous en faisons après coup grâce au calendrier, aux dates de
notre état civil, à celles des grands évènements dont nous sommes les spectateurs ou les acteurs.
C) - Sans multiplier les critiques qu'appellerait chacune de ces thèses a) nous remarquerons que la société
n'explique ni l'ordre objectif des phénomènes qui nous influencent ni notre constitution organique b) nous
signalerons, ce dont on ne s'est guère avisé, que la thèse A (coupure) et la thèse B (psychisme intégralement
socialise) sont contradictoires.
CONCLUSION
La sociologie est une méthode qui a le droit d'être unilatérale, Mais tant s'en faut que, comme doctrine, elle explique
tout l'homme..
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