LA SOCIÉTÉ (cours de philosophie) ?
Extrait du document
«
Le sociologue allemand Tönnies (1855-1936) distinguait les rapports communautaires, profonds et vivants, des rapports
de société proprement dits, impersonnels et extérieurs (opposer, par exemple, une «communauté religieuse» et une
«société de commerce») et il définissait la société humaine comme « une pure juxtaposition d'individus indépendants les
uns des autres».
I.
L'HOMME, ANIMAL SOCIAL
- A - La critique utopiste de la société.
Le Rousseau des premiers Discours soutenait que l'homme, bon par nature, est corrompu par la société.
Cet individualisme
romantique correspond assez bien à la psychologie de l'adolescent qui croit ne trouver hors de lui que des conventions et
des contraintes faisant obstacle au développement de sa propre personnalité.
Et c'est un thème très moderne que cette
critique de «la société» considérée comme la source de tous nos maux, sans qu'il soit toujours bien précisé s'il s'agit de la
société en général ou de telle de ses formes particulières (faut-il vivre «loin de toute société» ou suffit-il de «changer la
société»?).
Mais Rousseau lui-même notait bien dans le Contrat Social (I, 8) que c'est l'institution de la société «qui, d'un
animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme».
- B - La nature sociale de l'homme.
L'idée même d'une institution de la société demeure abstraite : Aristote disait déjà que l'homme est un «animal social» et
Auguste Comte a bien montré qu'humanité et société sont indissociables.
D'une part, en effet, il n'y a d'homme qu'en
société («l'individu proprement dit n'existe que dans le cerveau trop abstrait de nos métaphysiciens»); d'autre part, seuls
les hommes font une société véritable, caractérisée non seulement par la solidarité dans l'espace (qui se rencontre aussi
dans certaines espèces animales), mais aussi et surtout par la «continuité», c'est-à-dire la solidarité dans le temps qui
rend possible le progrès.
C'est ainsi que la Sociologie est la science de l'Humanité même et que la politique de Comte
aboutit à la religion de l'humanité (sociolâtrie).
- C - Le sociologisme de Durkheim.
Reprenant l'idée de Comte, les sociologues de l'école durkheimienne se sont efforcés d'expliquer par la société toutes les
grandes fonctions humaines : la mémoire est sociale (cf.
Halbwachs : Les cadres sociaux de la mémoire), la morale est un
produit social (cf.
Lévy-Bruhl : La morale et la science des mœurs), «la raison n'est qu'un autre nom donné à la pensée
collective» (Durkheim), la religion a pour origine et pour objet la société (cf.
Durkheim: «la divinité, c'est la société
transfigurée»), etc.
Dans un article sur «la genèse des jugements de valeur», Durkheim a notamment soutenu que l'idéal
se forme toujours dans des moments privilégiés de la vie collective et exprime donc des valeurs sociales.
II.
INDIVIDU, SOCIÉTÉ ET HUMANITÉ
- Â - La société est moyen et non fin.
L'erreur du sociologisme est de ne pas distinguer les «grandeurs naturelles» et les «grandeurs d'établissement» dont
parlait Pascal.
Les premières seules sont de vraies valeurs humaines, les secondes n'exprimant que les exigences
actuelles de telle société donnée et variant, par suite, dans le temps et dans l'espace.
Le conformisme caractérise bien ce
que Bergson appelle les «sociétés closes», mais l'homme aspire à un ordre et à une justice dont aucune société réelle
n'offre le modèle.
La valeur suprême, ce n'est pas tel ou tel groupe social, telle ou telle forme sociale, mais l'homme.
Et la
société engendre le mal plutôt que le bien (cf.
Alain: «C'est toujours dans la société que la barbarie se retrouve, toujours
dans l'individu que l'humanité se retrouve»).
- B - La société est condition et non source.
De même, il y a des passions collectives plutôt que des pensées collectives.
Les pressions sociales engendrent des
préjugés et la première condition de toute pensée véritable est de se libérer des préjugés, comme en témoigne l'ironie
socratique (cf.
aussi Alain : « L'individu qui pense contre la société qui dort, voilà l'histoire éternelle et le printemps a
toujours le même hiver à vaincre»).
Sans doute l'homme ne penserait-il pas s'il n'était un être social, mais une condition
nécessaire n'est pas une condition suffisante; le langage est bien fruit de société; mais il faut donner un sens au langage
(«savoir ce que l'on dit»).
La société est la condition de nos pensées, elle n'en est pas la source.
- C - Société et Humanité.
Il faut remarquer, toutefois, que la critique du sociologisme ne porte pas contre Auguste Comte.
Si, en effet, on entend par
société, non point une société particulière, un milieu socio-culturel situé dans l'espace et dans le temps, mais la société
humaine en général, il est vrai qu'elle est à la fois la source et la fin de toutes nos pensées et de toutes nos valeurs.
L'individu se définit alors, non par sa situation dans un groupe social déterminé, mais par son appartenance à l'espèce
humaine.
Opposer l'individu à la société, en ce sens, ce n'est pas revenir à l'utopie individualiste, mais affirmer que l'idéal
humain ne peut être réalisé par aucune société particulière et qu'ainsi les valeurs strictement sociales sont toujours
subordonnées aux valeurs morales proprement dites.
CONCLUSION
Il n'existe sans doute que des sociétés, situées et datées, limitées et éphémères, qui sont la condition de
l'épanouissement de l'homme et en même temps lui font obstacle, mais la communauté humaine n'en est pas moins une
réalité autant qu'un idéal..
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