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La sécurité est-elle liée a la dépendance et la liberté au risque ?

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« Les hommes qui, « très aimablement, ont pris sur eux d'exercer une haute direction sui l'humanité » ont tout intérêt à souligner qu'il est difficile et dangereux de s'aventurer seul, autrement dit de se libérer de leur autorité.

M ais qu'en est-il en réalité ? La sécurité est-elle liée à la dépendance et la liberté au risque ? QU'EST-CE QUE LES LUMIÈRES? (DEUXIEME ALINÉA). [2] " La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les a depuis longtemps affranchis d'une direction étrangère (naturaliter maiorennes) (1), demeurent pourtant leur vie durant volontiers mineurs ; et qu'il soit si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs.

Il est si confortable d'être mineur.

Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un pasteur qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime alimentaire, etc., je n'ai alors bien sûr nul besoin de m'en donner moi-même la peine.

Il ne m'est pas nécessaire de penser, du moment que je peux payer; d'autres se chargeront bien pour moi de ce travail fastidieux.

Que de loin la plus grande part des hommes (et parmi elle, la totalité du beau sexe) tienne, outre le fait qu'il est pénible à franchir, pour également très dangereux le dernier pas vers la majorité, c'est ce dont s'avisent ces tuteurs qui, très aimablement, ont pris sur eux d'exercer leur haute bienveillance sur ces hommes.

Après avoir, d'abord, rendu stupide leur bétail domestique, et avoir soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent oser faire un seul pas hors du parc (2) où ils les ont enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules.

Or ce danger n'est pas si grand qu'il paraît, car, moyennant quelques chutes, elles finiraient bien par apprendre à marcher ; mais le moindre exemple d'une telle chute les rend cependant timides et les dissuade de faire une nouvelle tentative.

" KANT La réponse de Kant à cette question est claire, mais ne doit pas être simplifiée.

Une lecture hâtive du texte peut faire croire qu'il lie la liberté au risque, puisque entreprendre de se libérer, c'est s'exposer à « quelques chutes », et qu'il lie au contraire la sécurité à la dépendance, dans la mesure où le « mineur » cherche la tranquillité en s'abritant derrière des responsables.

O n a alors l'impression que Kant invite ses lecteurs à devenir libres, mais, du même coup, à prendre des risques, à perdre à la fois la dépendance et la sécurité qui en dépend. C ette lecture est insuffisante.

Kant attribue en effet la dépendance des mineurs non à des circonstances extérieures déterminantes, mais à la paresse, à la lâcheté des mineurs eux-mêmes, à des attitudes que les tuteurs exploitent à leur profit et encouragent, mais dont ils ne sont pas la source.

Les mineurs ont donc librement voulu la sécurité et la dépendance qui la préserve ; la liberté, en ce sens, n'est pas liée au risque ; les mineurs ont en quelque sorte décidé de ne plus décider, choisi que d'autres choisissent pour eux.

Ils sont responsables de leur situation, radicalement, ce qui fait qu'ils peuvent en changer s'ils le décident réellement.

Ainsi, la liberté n'exclut pas le risque ; mais la fuite du risque et la dépendance sont aussi le fait d'êtres libres.

T oute conduite humaine est, en un sens, déterminée par un choix de l'homme, être essentiellement libre. C ette analyse pose le problème sur un plan qui n'est peut-être pas suffisant pour répondre à la question.

Il y a en effet une différence importante entre un homme qui exerce pleinement sa liberté et celui qui, comme le « mineur », choisit seulement de rester dépendant.

C ette différence se manifeste en particulier sur le plan politique. Sur ce plan, en effet, la dépendance dont parle Kant rend possible une société où la sécurité de chacun est assurée.

Tous les théoriciens de l'État fondent l'autorité de celui-ci sur le risque que ferait courir une liberté sans limites.

T homas Hobbes, par exemple, affirme que l'absence de pouvoir, ou « état de liberté », signifie la guerre de tous contre tous, l'homme étant par nature un loup pour l'homme.

Au contraire, lorsque les citoyens dépendent d'un État fort, il instaure un ordre stable, une certaine paix sociale, bref, un état de sécurité.

La sécurité est bien liée à la dépendance alors que la liberté naturelle est source de dangers, de risques.

Sans préciser davantage cette approche du problème, on peut d'emblée remarquer qu'elle doit être complétée : si l'État garantit certains droits, donc des libertés, celles qui justement ne menacent pas la sécurité publique, on pourrait soutenir qu'il institue une liberté authentique, mais sans risque : la puissance étatique en définit la nature et en prévient les dangers.

Liberté et sécurité seraient ainsi articulées à l'intérieur d'un État dont nous serions tous dépendants.

Mais une telle dépendance pourrait bien n'assurer qu'un semblant de liberté et une sécurité fragile.

Lorsque les hommes prennent conscience qu'ils sont libres, mais libres d'obéir, de choisir ce que d'autres ont déterminé pour leur sécurité, ils risquent de refuser un ordre qu'ils jugent arbitraire, et leur révolte pourrait manifester une sorte de « risque libérateur » dont l'explosion menacerait toujours et l'État et la sécurité de la société. On peut dire de l'idéal démocratique qu'il est une tentative pour trouver une solution à cette difficulté.

En faisant de celui qui obéit à la loi celui qui légifère, cet idéal supprime son assujettissement à une « direction étrangère », il instaure autonomie et liberté ; mais en faisant de cette loi une loi voulue par d'autres, il consolide le lien social, la vie communautaire sans laquelle l'humanité ne peut s'épanouir.

Il est enfin remarquable que cet idéal puisse animer, sous des formes différentes, des pensées politiques par ailleurs antagonistes, par exemple la pensée de Rousseau dans le C ontrat social, donc la pensée d'un théoricien de l'État, mais aussi celle des théoriciens anarchistes, qui contestent le principe même de l'État.

Il faudrait ici analyser avec précision ces perspectives, pour mieux faire apparaître ce qui les rapproche.

Sans faire ce travail, on peut cependant noter qu'à l'intérieur de cet idéal, la sécurité n'est plus le résultai d'une dépendance aliénante à une force étrangère, mais l'expression d'une interdépendance consciente de» membre! d'une même communauté, interdépendance dont la loi commune, explicite ou non, est l'expression, voulue par la communauté elle-même et qui consacre la valeur libératrice de la solidarité. Quant à la liberté, dans cette perspective elle demeure liée au risque, Lille est certes en principe assurée, puisque l'hétéronomie, la dépendance a autrui, est exclue; mais la liberté est aussi et toujours puissance de refus, marque d'une inquiétude qui n'en finit pas de se manifester et ne peut être anéantie.

Peut-être est-ce le sens de la formule : « lorsqu'on voit le calme dans une démocratie, on peut être sûr que la démocratie n'y est pas » ; c'est sans doute aussi ce que sous-entendait Kant lorsqu'il affirmait que les hommes « apprendraient bien, après quelques chutes, à marcher ».

Marcher, et non simplement se tenir debout, immobile.

La liberté est aventure, c'est-à-dire avenir imprévisible. Nul ne peut cerner les risques qu'il prend en s'aventurant sur les chemins de la liberté : ces chemins ne sont pas tracés.

Par ailleurs, selon Freud, le sentiment de sécurité pourrait être lié à la dépendance jusque dans les expériences infantiles de détresse, lorsque l'enfant que nous avons été attendait d'autrui l'apaisement qu'il ne pouvait trouver en lui-même.

On comprend qu'il soit difficile de désolidariser sécurité et dépendance, dépendance à autrui et aux tracés anciens.

O n comprend aussi qu'on puisse réclamer la liberté et tout faire pour continuer d'obéir.. »

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