La science prouve-t-elle par l'expérience ou par la démonstration ?
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«
Prouver c'est établir la vérité d'une proposition, son adéquation aux faits.
On peut donc penser qu'il faut s'adresser
à l'expérience pour prouver, puisque seule l'expérience met la proposition à l'épreuve des faits.
Le problème est qu'il
y a une infinité de faits dans la nature, et qu'il s'agit de sélectionner ceux qui peuvent avoir valeur de preuve pour
une théorie donnée.
Ainsi, l'héliocentrisme de Copernic prédit une variation dans la taille observable de Vénus au
cours de l'année.
Or si l'on observe cette taille à l'œil nu elle ne varie pas.
Mais si on l'observe au télescope elle
varie.
Mais comment savoir si l'on doit se fier à l'observation à l'œil nu ou à celle du télescope ? C'est en fait la
théorie de l'optique qui démontre que c'est l'observation au télescope qui doit être choisie, car l'œil humain ne
détecte pas les variations de taille d'une source lumineuse petite.
On voit donc que contrairement à ce que l'on
peut penser de prime abord, la science prouve davantage par démonstration que par l'expérience, au sens où
l'expérience ne peut venir qu'en seconde position pour tester une théorie qui aura elle-même produit les conditions
qui permettent de la tester.
Mais il peut y avoir en sciences des théories rivales, que l'on a du mal à départager.
L'expérience peut alors jouer un rôle important en montrant qu'il faut préférer une théorie à une autre.
Pourtant, si
théorie et expérience jouent toutes deux un rôle important en science, jouent-elles le même rôle (c'est-à-dire
remplissent-elles la même fonction) ?
I.
La science prouve d'abord par démonstration, en élaborant des théories dont elle exhibe la cohérence.
Un fait n'a pas en sciences de valeur en lui-même, car il n'explique pas les propriétés qu'il manifeste.
Ainsi si l'on
prend un plume et un kilo de plomb et qu'on les lâche d'un mètre de haut, le plomb touchera le sol avant la plume,
mais cela ne nous dit pas pourquoi.
C'est lorsque l'on a une théorie que le fait prend valeur de preuve.
Or la
physique a fait un bond décisif lorsqu'elle a utilisé les mathématiques pour modéliser l'expérience.
C'est à Galilée que
l'on doit cette avancée, car il postulait que la nature était écrite en langage mathématique.
On le voit bien dans le
Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, où Galilée reconstruit
mathématiquement le phénomène de la chute des graves (c'est-à-dire des corps lourds).
Galilée montre que la
vitesse de la chute des corps ne dépend pas de leur poids mais de leur temps de chute.
Cette vitesse est
inversement proportionnelle au carré de la distance parcourue durant la chute.
Si le kilo de plomb touche la terre
avant la plume, c'est uniquement dû à la résistance de l'air, et dans le vide ces corps tomberaient exactement à la
même vitesse.
Or sans la démonstration mathématique qui précède l'expérience, le fait n'est pas même observable.
C'est parce que Galilée a d'abord démontré mathématiquement sa théorie qu'il peut ensuite la tester sur des plans
inclinés où il fait rouler des billes de poids différents mais composées d'une même substance, ce qui élimine en
grande partie les différences dues à la résistance de l'air.
Il faut donc dire que la science prouve d'abord par
démonstration.
II.
L'expérience permet de trancher entre deux théories rivales.
C'est donc elle qui prouve la validité
d'une théorie.
Si l'expérience s'appuie toujours en sciences sur la démonstration théorique, il peut se faire néanmoins que
plusieurs théories prétendent rendre compte des phénomènes.
Le problème deviendra alors de savoir laquelle
préférer.
C'est alors l'expérience seule qui peut prouver la validité de l'une d'elle et infirmer l'autre.
Ainsi dans le
Novum organum II, Bacon présente ces expériences qui permettent de trancher entre deux hypothèses sous le nom
« d'instances de la croix », ou encore d'expériences cruciales.
L'expérience cruciale consiste à élaborer une
expérience dans laquelle sont confrontées des hypothèses incompatibles, si bien qu'une seule pourra être vérifiée,
et que si elle l'est, l'autre sera du même coup invalidé.
Ainsi pour expliquer le mouvement des marées on peut
établir deux hypothèses.
La première consiste à penser que le mouvement est causé par attraction (c'est-à-dire
par l'attraction exercée par la lune sur la masse des eaux).
La seconde consiste à penser que c'est par progression
que le mouvement est causé (le courant marin poussant les eaux dans une direction donnée).
Or pour trancher
entre ces deux hypothèses, il suffit de sonder les eaux pour en établir la courbure.
En effet si le mouvement est
causé par l'attraction de la lune, cela aura pour conséquence que les eaux seront soulevées par l'attraction, alors
que ce ne sera pas le cas si le mouvement est créé par un courant marin.
L'expérience a pour fonction d'aider à
décider, à trancher.
Or lorsqu'on réalise l'expérience, la première hypothèses et vérifié, et l'on peut donc conclure
avec certitude que c'est bien l'attraction de la lune qui cause les marées.
Dans cette perspective on peut dire que
la science prouve la validité de ses théories par l'expérience.
III.
L'expérience ne prouve pas la validité d'une théorie, elle montre simplement qu'il faut la préférer à une
autre dont on a prouvé la fausseté.
Nous avons jusqu'ici admis le présuppose selon lequel la science prouve la validité de ses théories (c'est-àdire prouve qu'une théorie est vraie).
Mais peut-on admettre ce présupposé sans examen critique ? Dans La logique
de la découverte scientifique, Popper se livre à une critique de cette thèse, en défendant la thèse selon laquelle la
science ne prouve pas la vérité mais la fausseté d'une théorie.
En effet Popper montre qu'il y a une asymétrie du
vrai et du faux, au sens où un seul contre exemple peut prouver qu'une théorie est fausse alors qu'un très grand
nombre d'expériences concluantes ne suffit pas à montrer qu'une théorie est vraie.
Par exemple si une théorie
scientifique dit que tous les cygnes sont blancs, le fait de constater que c'est vrai d'un très grand nombre de ces
animaux ne garantit en rien qu'il ne peut pas y avoir de cygnes noirs qui se montrent un jour à l'observateur.
Tous
les cygnes blancs observés ne suffisent donc pas à prouver la vérité de la théorie.
Mais un seul cygne noir en
montre la fausseté.
Ce que montre l'expérience en sciences n'est donc pas la vérité d'une théorie mais sa fausseté.
On ne peut donc pas montrer la vérité d'une théorie, et toute théorie est tenue pour valable aussi longtemps que
l'on n'a pas montré qu'elle était fausse.
Le rôle de l'expérience en sciences est donc essentiellement négatif, elle.
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