La science peut-elle se passer de l'idée de finalisme ?
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«
Il semble y avoir une contradiction dans les termes quand on rapproche le mot positif qui caractérise habituellement la science et la notion de finalité qui
appartient habituellement à la métaphysique.
La science est positive dans la mesure où elle se limite aux faits.
Elle établit entre eux des relations de cause
à effet qui, lorsqu'elles sont constantes, prennent le nom de lois.
Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
La notion de finalité au contraire comporte l'intervention d'une volonté soit humaine, soit divine.
La suite des causes se trouve en quelque sorte interrompue
par un « commencement absolu ».
Un projet précède l'existence de la réalité et contribue à la rendre réelle.
En conséquence on ne voit pas bien comment la
finalité pourrait prendre un sens positif.
* * *
Ce n'est pas certes que telle finalité ne soit pas intervenue dans la science.
Cette dernière s'est peu à peu dégagée de la pensée empirique et pratique et
elle a dû lutter contre la pensée religieuse pour qui il était impie d'utiliser la raison et de chercher à connaître le monde.
Les explications théologiques
devaient suffire, on se souvient des obstacles rencontrés par Galilée par exemple, à propos de la théorie de la rotation de la terre.
Le système de Ptolémée
avait l'avantage de s'accorder aux croyances religieuses, de renvoyer aux principes d'autorité, et, par un biais, de retrouver les principes fondamentaux qui
faisaient la force de la société féodale.
Pendant longtemps le principe de finalité a régenté la science sans même qu'on se donnât la peine de déguiser son
sens métaphysique.
Un lecteur contemporain est toujours étonné quand il ouvre un ouvrage de Descartes par les extraordinaires formules de soumission
aux dogmes ecclésiastiques qui servent de préface à ses traités scientifiques.
Lorsque le progrès de la science a été suffisant pour qu'on révoque en doute ce principe dans plusieurs domaines à la fois, la pensée métaphysique et
religieuse a dû prendre des précautions pour l'introduire dans des explications scientifiques.
On a essayé de lui donner un sens positif, de concilier la foi et
la raison, le dogme et l'expérience.
Par exemple, en biologie et plus particulièrement dans le domaine de l'évolution.
La position du vitalisme n'est rien
d'autre qu'un essai pour donner une valeur positive au concept de finalité.
Sans doute on ne peut contrarier indéfiniment le courant expérimental qui se
développe avec des praticiens comme A.
Paré ou Descartes, mais toutes les explications positives devront trouver place dans un ensemble dominé par une
entité comme le principe vital.
On utilise pour convaincre le savant un raisonnement passablement spécieux, qui d'ailleurs se trouve souvent repris par la
suite.
En vain la science progresse et démonte des mécanismes compliqués de la nature.
Ces mécanismes compliqués, si l'homme peut les connaître, il ne
peut certes pas les créer de toutes pièces.
Pour critiquer la science et la renvoyer à la finalité, on reproche en somme à l'homme de ne pas être Dieu, c'està-dire de ne pouvoir reconstruire ce que déjà il parvient à connaître.
Le vitalisme a été sévèrement critiqué par Claude Bernard qui y voit la négation même de l'esprit scientifique.
Pour lui la science ne doit point se proposer
de rechercher les « causes en soi ».
Le but de la médecine par exemple c'est, dit-il, dans le ce Préambule » de « l'Introduction à l'étude de la médecine
expérimentale » de « conserver la santé et de guérir les maladies ».
Mais cette position est celle d'un savant et pendant tout le XIXe siècle et même jusqu'à
nos jours les positions agnostiques et en particulier le vitalisme tendent de se réintroduire dans les sciences les plus positives.
Un exemple intéressant est
fourni par le philosophe E.
Boutroux dans son ouvrage sur « la contingence des lois de la nature ».
De formation Kantienne, Boutroux prolonge l'influence de
la position critique.
Toutefois il ne peut nier les progrès de la science : chacune dans son domaine est parvenue à des résultats positifs et à dégager des
lois rigoureuses.
Partout règne la causalité.
Comment réintroduire la contingence ?
Cette « laxité » des lois de la nature, Boutroux veut la découvrir entre les règnes naturels, c'est-à-dire en passant du domaine des mathématiques par
exemple à celui de la physique, ou de la physique à la biologie.
Une autre tentative plus récente de réintroduire la contingence et.
la finalité, est née du progrès même de la science physique.
Le microscope électronique
d'une part, des phénomènes physiques comme l'effet Compton et le mouvement brownien d'autre part, ont permis, vers la fin du XIXe siècle de conclure que
nos lois physiques ne sont vraies que grosso modo, dans leur ensemble et pour tout dire sont des lois statistiques.
On en a profité pour conclure à l'échec
de la causalité et pour parler du « choix » que ferait sans cesse la nature, choix évidemment dicté par une finalité qui nous dépasse.
* * *
Cependant le progrès de la science, et en particulier de la biologie n'autorise point ces conclusions qui sont pour le moins prématurées.
Toutes les conditions pour créer une certaine confusion se trouvent réunies en biologie.
L'objet de cette science est le plus complexe de tous, c'est la
matière vivante où rien ne semble exister séparément, où tout influe sur tout.
Ainsi comme Bergson l'a montré dans une brillante analyse, l'étude de l'oeil
dégage une série d'éléments qu'il serait inopportun de considérer séparément, car ils ne peuvent s'expliquer que par une idée d'ensemble qui est la fonction
de l'oeil, la vue.
Mais le mot finalité, en biologie, a-t-il le même sens qu'en métaphysique ? Le logicien Goblot a fait remarquer qu'il vaudrait mieux employer l'expression de
« convenance complexe ».
En effet, il y a entre les éléments qui composent la matière vivante des milliards de combinaisons possibles.
Celle qui permet aux
éléments constitutifs de l'oeil de voir n'est qu'une de ces combinaisons, mais c'est la bonne et elle a des chances de durer parce que l'animal qui en
dispose, grâce précisément à la vue, peut se nourrir, se défendre et durer.
Ainsi selon la vigoureuse expression de Diderot dans la « lettre sur les aveugles
», tout se passe comme si dans la nature les dés pouvaient être a pipés ».
11 y a encore finalité puisqu'il y a accord complexe des éléments en vue d'un but.
Mais c'es|; une finalité qui n'est plus a priori, comme dans la pensée métaphysique, mais a posteriori : en effet, dans le cycle de l'évolution, l'animal qui ne
dispose pas d'organes lui permettant de survivre est rapidement éliminé.
Il ne s'agit pas là d'un retour à une position matérialiste naïve expliquant les phénomènes vivants par des lois physiques et chimiques simples ; bien au
contraire, cette attitude philosophique s'efforce de cerner la réalité vivante dans son évolution, dans son histoire.
Sur la question de l'évolution, elle étudie
les espèces disparues non seulement à partir des ossements qu'on peut découvrir mais aussi de la possibilité pour l'homme dans certaines conditions de
créer des espèces nouvelles.
Ce qu'il y a de plus important, c'est d'éliminer tous les souvenirs du vitalisme et les entités métaphysiques dont ils
embarrassent la recherche scientifique.
Ainsi se trouve éliminé l'argument qui déclare notre science impuissante.
D'abord il faut répondre que l'homme peut déjà pratiquer la synthèse de
substances organiques complexes.
La première de toutes, celles de l'urée a pu être réussie dès 1828.
Mais enfin et surtout il faut bien poser que le monde est complexe et que le voir dans sa complexité n'est pas un signe de faiblesse, mais au contraire de
force.
La science de l'homme ne se propose point de recommencer le monde, ce qui de toutes façons serait une lourde tâche et qui pour le moment ne servirait à
rien.
Le but de la science reste de se rendre comme maître et possesseur de la nature.
Or ce but, personne ne saurait le nier, est atteint de plus en plus.
* **
Il faut en prendre son parti.
La finalité métaphysique se trouve peu à peu exclue des explications scientifiques.
Toutefois le monde se découvrant de plus en plus complexe devant l'investigation de l'homme, celui-ci a été amené à préciser le concept mécanique de la
causalité.
La matière vivante ne connaît pas le même type de causalité que la matière inanimée.
Le fait vivant garde son caractère d'organisation, de
cohérence et de réaction adaptée.
Dans la mesure où ses traits distinctifs peuvent être résumés par le mot finalité, la causalité peut et doit comprendre
aussi la finalité.
Mais dans ces conditions, la finalité doit perdre ce halo de mystère que la pensée métaphysique lui avait conférée.
Elle doit avoir un usage positif, un usage
scientifique..
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