La science n'est pas seulement une connaissance; elle est aussi une éducation ?
Extrait du document
«
I — INTRODUCTION.
Les Anciens doutaient de la puissance moralisatrice de la science.
A la manière de Rabelais, ils pensaient : « Science sans conscience
n'est que ruine de l'âme.
» Pour Auguste Comte, toute recherche gratuite et désintéressée est un non-sens.
Il pense, au contraire, que
la connaissance scientifique doit être au service de la société et que les recherches qui n'ont d'autres buts qu'elles-mêmes ne sont que
perte de temps et luxe inutile.
Le positivisme développe une conception pratique voire pragmatique de la connaissance scientifique.
Le monde d'aujourd'hui considère la science, non seulement comme une connaissance, mais aussi comme un moyen d'éducation.
Dans
cette perspective, Émile Boutroux écrit : « La science n'est pas seulement une connaissance ; elle est aussi une éducation.
»
II.
— EXPLICATION.
Ce jugement est extrait d'une conférence prononcée par E.
Boutroux, intitulée : Religion et Raison.
Pris à la lettre, il peut se traduire ainsi : la science ne se contente pas d'instruire, elle éduque aussi.
Elle est d'abord connaissance et,
en second lieu, elle peut être considérée comme éducation.
Elle est moyen d'éducation et particulièrement, d'éducation morale.
Il n'est pas sans intérêt de préciser que Boutroux, auteur de l'ouvrage : De la Contingence des Lois de la Nature, s'est dressé avec
vigueur contre le scientisme en vogue à la fin du XIXe siècle.
Pour les scientistes, la raison a une valeur illimitée et la science qu'elle
élabore, une valeur absolue.
Selon Boutroux, au contraire, la raison évolue : elle vit, se nourrit de réalités, s'adapte et se développe.
Il est partisan de la mobilité
des théories scientifiques.
A) La science est une connaissance.
Elle a pour objet de faire connaître et de faire comprendre.
Elle explique les phénomènes, enseigne la raison des choses, fournit
l'explication des pourquoi et des comment.
Son but est, dit-on, « d'expliquer du visible compliqué par l'invisible simple ».
Elle traduit tout ce qui est qualité par une quantité.
Elle établit des classifications et des définitions de types généraux puis en dégage
des faits particuliers et variables, des relations constantes et générales qu'on appelle des lois.
Elle unifie celles-ci en systèmes ou
théories.
Elle permet de prévoir et d'agir à coup sûr.
« Science, d'où prévoyance ; prévoyance, d'où action », dit A.
Comte.
Par la
technique, elle permet une meilleure connaissance de la nature et accroît surtout le pouvoir de l'homme sur cette dernière.
La connaissance scientifique est précise, générale et rationnelle.
Elle a pour rôle premier de satisfaire la curiosité humaine.
La science
se présente comme une connaissance objective, c'est-à-dire indépendante des façons individuelles ou accidentelles de penser.
Une loi
physique vérifiée, un théorème de géométrie démontré, sont universellement acceptés.
La science réalise « la convergence mentale »
et « l'assimilation des esprits entre eux ».
Selon G.
Bachelard, le travail scientifique est une connaissance qui se rectifie sans cesse, qui
fait donc apprendre sans arrêt...
Elle instruit, forme et cultive l'esprit.
B) La science est-elle une éducation ?
Distinguons la science comme moyen éducatif, puis comme fin.
a) La science, moyen éducatif.
La plupart des gens instruits ont acquis leurs connaissances, non par amour de la science, mais plutôt pour parvenir, grâce à leur
savoir, à la conquête de diplômes.
Ce genre de science ne présente guère, il faut l'avouer, de valeur éducative.
Il n'augmente eu rien
la valeur morale de l'homme.
Quand il se rapporte aux sciences morales, il peut aider à se faire une meilleure conception de la vie, à
prendre une conscience plus nette du devoir, mais n'élargit pas pour autant la valeur morale intrinsèque de l'homme.
La connaissance
du devoir rie suffit pas à rendre meilleur si elle ne se traduit pas en actes.
Cependant, il faut reconnaître que si le savoir lui-même est moralement neutre, les exercices par lesquels il s'acquiert ont une valeur
éducative indiscutable.
Ils apprennent à s'adonner à une tâche suivie.
Ils enseignent l'effort, la patience, la persévérance, la joie de
connaître, le bonheur de la découverte.
On y acquiert la tonifiante expérience de la joie qui accompagne le sentiment du travail bien
fait qui sera peut-être, un jour, utile à l'humanité.
En bref, le travail demeure toujours éducatif, qu'il soit considéré au stade de l'écolier,
de l'apprenti, de l'ouvrier ou du « maître des métaux » de G.
Duhamel.
b) La science, fin éducative.
Bien autre apparaît la science désirée comme fin.
Considérons le cas du savant qui, parvenu aux résultats aspirés, continue ses recherches pour mieux comprendre et approfondir ses
connaissances.
D'abord, la méthode de travail à laquelle il s'astreint en tant que chercheur, comporte des exigences hautement éducatives.
Goblot
soutient que l'esprit scientifique est surtout composé de qualités morales comme la constance dans l'effort, la probité, le
désintéressement.
La première constitue une forme élevée du courage pouvant aller jusqu'au stoïcisme.
La seconde peut être considérée comme une
forme supérieure de la justice.
Nicole écrit : « Il y a un manque de probité à forcer un peu la note pour se donner l'avantage d'avoir
raison.
»
La troisième n'est pas l'indifférence, mais plutôt la passion de savoir et de comprendre qui surmonte les ambitions personnelles
commandant la vie de la plupart des hommes.
« Le savant aime trop son rêve pour appartenir à d'autres tyrans que ce rêve », dit
encore Nicole.
Celui qui n'est rivé au travail scientifique que par son ambition et sa vanité a l'âme d'un mercenaire ou d'un arriviste.
Il
n'a point l'âme d'un vrai savant, puisqu'il aime la science, non pour elle-même, mais pour les avantages qu'il espère en tirer.
Le véritable esprit scientifique est fait de jugements de valeur et de sentiments élevés, propres à celui qui s'est complètement mis au
service de la science.
Il implique une totale maîtrise de soi pour vivre selon l'esprit.
La science voue le savant au service d'un idéal
désintéressé.
Elle lui impose la constance dans le labeur.
Elle développe la loyauté et la rectitude d'esprit.
Elle forme à une discipline
rigoureuse.
Plus que tout autre, le travail scientifique fait appel à ce qui, dans l'homme, est spécifiquement humain.
Il grandit et
humanise.
Les cas d'A.
Thierry et de Curie l'illustrent bien.
Ainsi comprise, la science devient une large philosophie ouverte à tout ce
qui est humain..
»
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