LA SCIENCE DEVANT LES IDÉES DE DESTIN ET DE HASARD ?
Extrait du document
«
Invoquer le « destin », le « hasard », c'est, semble-t-il, se référer à une mentalité superstitieuse que le rationalisme
scientifique s'efforce de détruire.
Ces deux principes qu'on attribue communément à la pensée primitive et magique
paraissent d'ailleurs s'exclure.
L'idée de destin n'est-elle pas celle d'une fatalité implacable ? Croire « au hasard »
c'est penser, tout au contraire, que les événements sont désordonnés, imprévisibles, que tout ce qui arrive est
fortuit, accidentel.
Selon Kant, la pensée rationnelle exclut également hasard et destin : « Non datur casus, non
datur fatum ».
Pourquoi la pensée scientifique rejette-t-elle à la fois ces deux notions dont l'une semble la négation
de l'autre ?
Le destin, où M.
Lalande, en son Vocabulaire, voit « la personnification de la fatalité », apparaît comme « une
puissance par laquelle certains événements seraient fixés d'avance quoi qu'il pût arriver et quoi que les êtres doués
d'intelligence puissent faire en vue de les éviter n.
C'est le destin qui condamne oedipe à tuer son père et à épouser
sa mère c'est le destin qui chez les peuples primitifs est invoqué pour expliquer les morts, les maladies, les
désastres.
Le destin est lié à l'idée d'événements inévitables et le plus souvent malheureux.
Ce dernier trait
s'explique sans doute parce que l'homme considère le bonheur comme tout naturel, comme quelque chose qui lui est
dû.
Au contraire le malheur nous révolte et réclame une explication ; nous tendons alors spontanément à «
objectiver u sous la forme d'une entité notre impuissance à éviter les désastres.
D'où cette croyance, à une fatalité
aveugle, à la « Moira » sans visage qui chez les anciens Grecs était plus puissante que les Dieux.
La science rejette-t-elle l'idée de destin ? Ne lui donne-t-elle pas tout au contraire une force et une rationalité
qu'elle n'avait pas en prenant le « déterminisme » pour principe fondamental ? Le mot même de déterminisme,
emprunté à la scolastique, désignait autrefois la doctrine qui refuse la liberté humaine, Dieu ayant prévu nos actes
de toute éternité.
L'idée de loi naturelle, reliant nécessairement les phénomènes, semble introduire le destin dans la
vision scientifique du monde.
Lucrèce lui-même parlait des « foedera nature », des « pactes » auxquels semblent
obéir les phénomènes et Empédocle invoquait un « grand serment ».
En fait une telle interprétation serait un contresens radical.
L'idée de déterminisme est l'idée d'une relation
nécessaire entre divers phénomènes tandis que l'idée de destin implique la croyance qu'il y a des événements
inévitables.
Il est aisé de montrer que la nécessité de la relation et la nécessité de l'événement sont non seulement
distinctes mais encore contradictoires.
Le principe du déterminisme consiste seulement à dire que l'apparition d'un phénomène est strictement déterminée
par des conditions d'existence bien définies.
Le phénomène ne se produit que si elles sont réalisées, mais alors il se
produit nécessairement.
Si ce corps est chauffé il ne pourra pas ne pas se dilater.
Cette nécessité « hypothétique »
de la relation exclut donc la fatalité « catégorique u de l'événement, car je peux éviter que le corps se dilate en ne
le chauffant pas ! Ce n'est plus l'événement qui est nécessaire mais la relation entre deux événements.
Le fatalisme
exclut toute technique puisque l'inévitable se produira quels que soient les antécédents.
Ainsi, d'après la fable de La
Fontaine (VIII 16), le vieil Eschyle ayant appris d'un devin qu'il mourrait par la chute d'une maison,
Aussitôt il quitta la ville,
Mit son lit en plein champs, loin des toits, sous les cieux.
Un aigle qui portait en l'air une tortue
Passa par là, vit l'homme, et sur sa tête nue
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Étant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie afin de la casser...
Le « destin » se joue des précautions mêmes qu'on prend pour l'écarter...
Tout au contraire, le déterminisme, clef
de voûte de toute technique, est l'instrument de la liberté.
La raison humaine poursuit ses fins par la « médiation n
des lois naturelles.
Ainsi le marin qui louvoie, nous dit Alain, oriente sa voile, appuie sur le gouvernail, avance «
contre le vent par la force même du vent u.
Le déterminisme, principe scientifique, repose sur la connaissance
expérimentale de lois mécaniques dont la liberté humaine peut se servir, convertissant les obstacles en moyens ; le
mythe du destin est au fond celui d'une Volonté plus puissante que celle des hommes, c'est un mythe animiste.
Le hasard semble tout au contraire la négation et du déterminisme et du destin, car il exclut toute nécessité.
Le
hasard, au sens fort, c'est la contingence.
Un fait contingent défie toute loi ; ce serait un fait qui, les mêmes
antécédents étant donnés, pourrait aussi bien être ou ne pas être ; mais quand je parle de hasard il est clair qu'il
n'y a pas d'ordinaire contingence.
Par exemple j'ai gagné un lot important à la Loterie nationale.
C'est un « hasard ».
Cela ne veut pourtant pas dire que la grande roue en formant le soir du tirage les numéros gagnants ait cessé
d'obéir aux lois de la nature.
La roue s'est arrêtée de tourner en fonction de l'impulsion mécanique reçue, des
frottements, etc.
J'ai gagné par hasard.
Cela veut simplement dire que personne n'était capable de prévoir ce
résultat ; le hasard n'est pas ici une lacune au déterminisme, une absence de lois ; il manifeste au contraire la trop
grande abondance des lois, leur complexité trop enchevêtrée par rapport à nos possibilités de prévision.
Je jette en
l'air une pièce de monnaie, je ne peux pas deviner si elle va tomber sur « pile » ou sur « face » et quel que soit le
résultat, je dirai que c'est un hasard.
En fait le résultat est fonction d'une foule de conditions déterminantes :
position initiale de la pièce de monnaie, position de la pièce à l'arrivée, nature du lieu où elle tombe, etc...
En fait il y a là un déterminisme masqué que je peux mettre en lumière en révélant ce qu'on appelle — assez
paradoxalement, mais justement — «lois du hasard ».
Si j'avais jeté dix mille fois la pièce, j'aurais constaté que le «
côté face » serait sorti à peu près 5 000 fois et le « côté pile » à peu près 5 000 fois.
En effet, sur un grand nombre.
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