La reproduction des oeuvres d'art nuit-elle à l'art ?
Extrait du document
«
Introduction : Il semble bien facile aujourd'hui d'accéder, par tous les moyens mis à notre disposition, au moindre
tableau, à la moindre sculpture… ou encore, au moindre morceau de musique ou à un livre largement réédité.
Tout
ce que nous pourrions considérer comme œuvres d'art, production à finalité artistique, nous apparaît comme étant
très facile d'accès.
Bien entendu, nous n'accédons que rarement aux originaux.
Mais cela -a-t-il véritablement de
l'importance ? Apparemment, le plus essentiel pour une œuvre d'art est d'être connue.
En fait, plus elle est connue,
et plus elle est…reconnue comme œuvre.
Il semble donc difficile de concevoir l'art, de s'en faire une idée sans
passer par la reproduction qui nous met les oeuvres d'art à portée de main.
Pourtant, ne pourrions-nous pas
rétorquer que la reproduction n'arrive jamais à égaler l'original, qu'elle n'en est toujours qu'une pale copie ? Pire
encore, en invitant à confondre le pur produit de l'artiste avec ce qui n'en serait que l'imitation, la reproduction nous
dupe : elle nous fait passer le faux pour le vrai, le copié pour l'authentique.
La reproduction des œuvres d'art
pourrait donc détruire toute vérité de l'art.
Seulement, que peut bien vouloir signifier la vérité dans le domaine de
l'art ? Faut-il entendre que ce qui est vrai, c'est l'oeuvre telle que l'artiste la créée, telle qu'il la produit, et que tout
redoublement, toute re-production serait alors du domaine du faux.
Pourtant, l'artiste s'inspire toujours d'un modèle
lui aussi, modèle auprès duquel son œuvre pourrait paraître fausse et inauthentique.
Faut-il alors distinguer l'art et
les œuvres d'art au point où la reproduction de ces dernières ne nuirait en aucun cas à l'originalité du premier ?
I/ L'art est avant tout original
Si l'ensemble des œuvres d'art étaient des copies, pourrait-on encore parler au sens propre « d'œuvres
d'art » ? Il ne semble pas.
Tout l'art serait en fait renvoyé au rang d'imitation pure et simple.
Or, l'art a ceci
d'original qu'il se défie de toute perspective de pur et simple recopiage.
Ainsi, comme le précise Hegel au début de
son Esthétique, l'art n'imite en aucun cas la nature.
Il ne reproduit pas
fidèlement les objets naturels, comme s'il s'agissait d'objets authentiques qu'il
ne ferait que redoubler.
Il n'est pas cette reproduction des choses naturelles
où tout le geste de l'artiste serait complètement effacé.
Si tel était le cas
nous dit Hegel, l'art serait, d'une part, « superflu » (a quoi servirait de voir sur
un tableau ce que nous voyons vivant auprès de nous ?) et d'autre part
« présomptueux », car il prétendrait rivaliser avec la nature.
Or, tel n'est pas
là son but : c'est bien plutôt l'originalité et la subjectivité de l'auteur qui
apparaissent dans son œuvre.
Tout œuvre d'art se présente avant tout
comme produit de l'artiste, de son expression personnelle.
L'essence de l'art,
toute sa vérité, s'exprime donc par la singularité par l'auteur.
Ainsi, la
reproduction, qui consiste en un redoublement de ce mouvement artistique
par quelqu'un qui n'en est pas l'auteur, fait perdre tout son sens à l'œuvre
d'art en perdant l'originalité du créateur.
A quoi reviendrait alors le fait de
copier une œuvre d'art ? Ce serait la trahir.
Reproduire une œuvre d'art, c'est
toujours nuire à son authenticité.
Hegel rompt avec Kant, pour qui la beauté naturelle tient une large part.
La
contemplation de la belle nature accorde
mystérieusement l'imagination et l'entendement.
Hegel rejette la beauté
naturelle, car la beauté artistique étant un produit de l'esprit lui est nécessairement supérieure.
C'est pour nous et
non en soi et pour soi qu'un être naturel peut être beau.
L'imitation de la nature n'est donc pas de l'art, tout au plus
un exercice d'habileté, par lequel on imite le Créateur.
Il y a plus de plaisir à fabriquer des outils ou des machines
qu'à peindre un coucher de soleil.
La valeur de l'art est tout autre : c'est l'esprit à l'oeuvre, qui s'arrache de la
nature en la niant.
Au moyen de l'art, l'homme se sépare de la nature et se pose comme distinct.
L'art peut donc
faire l'objet d'une science, pense Hegel, il suffit d'en montrer la nécessité rationnelle dans l'histoire de l'humanité.
L'oeuvre d'art ne décrit pas une réalité donnée, elle n'est pas faite pour notre plaisir, mais l'art est en son essence
une intériorité qui cherche à s'exprimer, à se manifester ; c'est un contenu qui cherche une forme, un sens qui veut
se rendre matériel.
On ne peut le condamner pour son apparence, car il faut bien à la vérité une manière de se
montrer.
L'art étant historiquement la première incarnation de l'esprit, il se confond d'abord à la religion : la religion
grecque est l'art grec lui-même.
Ce sont Homère et Hésiode qui ont inventé les dieux grecs.
Cet âge d'or de l'art,
que Hegel définit comme "classique", sera dépassé par l'art romantique avec l'apparition du christianisme.
La religion
chrétienne est essentiellement anthropomorphique : le divin est le Christ, soit une pure individualité charnelle, qui a
souffert et qui est morte en croix.
Seul l'art peut ici donner une représentation charnelle de ce divin, dont le
passage historique a été fugitif, et si l'art est mort dans notre société moderne, c'est probablement pour la raison
que la spiritualité chrétienne ne suffit plus tout à fait aux besoins de l'esprit.
Le beau est une idée, soit l'unité d'un concept et de la réalité.
Le concept est l'âme tandis que la réalité en est
l'enveloppe charnelle.
Le beau est donc la manifestation sensible de cette unité ; il exprime une réconciliation.
Il est
naturel qu'il échappe à l'entendement qui sépare et qui divise, de même qu'à la volonté qui cherche à soumettre
l'objet à ses propres intérêts.
Tout ce qui est libre, indépendant, infini, conforme à la seule nécessité de son
concept, peut être dit beau.
De plus, un bel objet est vrai, puisqu'il est conforme à son être.
Cela implique qu'aucun
organisme vivant ne pourra être beau, parce que soumis au besoin, il n'a pas de véritable liberté.
Seule la beauté
artistique peut être accomplie : elle représente l'idéal.
L'idéal est soustrait de la vie quotidienne imparfaite et
inauthentique.
Il incarne l'universel dans l'individualité absolument libre et sereine : le symbole en est l'individualité
apollinienne, perfection d'harmonie et de forme, sérénité conquise sur la douleur.
En un sens, cette beauté idéale.
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