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La recherche de la vérité en question

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« S'il n'est pas simple d'atteindre la vérité, c'est qu'il est d'abord difficile de vouloir la chercher.

Pourquoi ? Il y a à cela plusieurs raisons. 1.

Premièrement, si l'homme trouve un intérêt naturel et immédiat à agir sur le monde, la recherche du vrai exige quant à elle un effort désintéressé, ou, tout au moins, elle demande à l'esprit d'investir ailleurs que dans ses intérêts pratiques.

Savoir est pour la raison une fin, et pas seulement un moyen.

La vérité mérite d'être recherchée pour elle-même, et non seulement pour ses applications.

Or, c'est précisément cette attitude contemplative, ou spéculative (et non « active »), qui est difficile, car peu spontanée. Les Grecs ont vu dans la philosophie la réalisation de cette recherche désintéressée de la vérité.

Nous avons plutôt aujourd'hui tendance à considérer que c'est la science moderne, davantage que la spéculation philosophique, qui nous permettra d'atteindre la vérité.

Mais, scientifique ou philosophique, la recherche de la vérité est toujours d'abord une activité théorique qui demande au chercheur un détour difficile : suspendre notre engagement au monde, différer notre souci d'efficacité. Toutefois, si la recherche de la vérité est désintéressée, elle n'est pas pour cela inutile : c'est en commençant par se détourner des considérations d'utilité pratique qu'on pourra à la fin être à même de les mieux résoudre. 2.

La deuxième difficulté est que le vrai n'est pas toujours, ni même souvent, ce qu'il paraît être.

Il faut distinguer « vrai » et « vraisemblable ».

Ce dernier n'est peut-être qu'une apparence à laquelle il ne faut pas s'arrêter.

Bref, une quête de la vérité quelque peu rigoureuse exige toujours d'aller au-delà des apparences.

Car tels sont les deux sens du mot « apparence » : les choses qui nous apparaissent (qui apparaissent à nos sens) ne sont peut-être que des images, éloignées et trompeuses, de la vérité véritable. La recherche de la vérité est ainsi difficile car elle prescrit à l'intelligence une méthode, c'est-à-dire une discipline. Elle installe donc l'esprit dans l'effort en lui imposant de modifier ses habitudes intellectuelles, en mobilisant l'esprit critique et en traquant ce « vraisemblable », dont on se satisfait trop souvent à bon compte, justement parce qu'il ressemble au vrai, alors qu'il n'est peut-être qu'un préjugé, une idée trop vite pensée, mal analysée : une opinion. La recherche de la vérité commence alors par une activité véritablement destructrice : la remise en cause des opinions qui nous servent ordinairement, mais mal, de vérités. Les démarches de Platon et de Descartes sont ici exemplaires. Platon commence, dans ses Dialogues, par mettre en scène l' « ironie » de son maître Socrate, c'est-à-dire par faire voler en éclat le « bon sens », l'« évidence commune », l'opinion que chacun s'empresse de donner en réponse aux questions, empêchant par là-même le questionnement véritable de se produire, avec ses incertitudes, ses embarras, ses hésitations, qui sont pourtant le moteur véritable de la recherche de la vérité. Descartes, lui, commence par mettre systématiquement en doute tout ce qu'il a « reçu pour vrai », afin d'établir « quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » (Méditations métaphysiques, I).

Ce doute rigoureux, qui traite le vraisemblable comme le faux, ou veut voir sa vérité formellement établie, est ainsi méthodique, conçu pour mettre en évidence l'indubitable : « rejeter la terre mouvante et le sable [les opinions incertaines] pour trouver le roc et l'argile [la vérité certaine] » (Discours de la méthode, IIIe partie).

Il diffère en cela de la démarche des sceptiques, pour qui le doute est une fin en soi (ils « ne doutent que pour douter et affectent d'être toujours irrésolus », ibid.). 3.

Il existe une troisième difficulté à la recherche de la vérité.

Et elle est majeure.

La quête de la vérité est en effet souvent déçue.

L'esprit peut même plus facilement énoncer les raisons de douter que produire les preuves qui transforment ses croyances en certitudes.

Cela signifie que la recherche de la vérité ne peut guère éviter de rencontrer l'objection du scepticisme*. Elle ne peut donc éviter non plus d'y répondre honnêtement : quelles sont les limites, mais aussi les vertus du scepticisme ? Le scepticisme est fondé sur la suspension du jugement.

Il consiste non à « dire que ne...

pas », mais à « ne pas dire...

que » : non affirmer que la vérité est inaccessible, mais ne pas affirmer non plus qu'elle est atteinte, comme le fait le dogmatisme.

Le doute* est alors l'attitude sceptique par excellence : non pas, comme chez Descartes, un doute provisoire et méthodique, mais un doute définitivement suspensif. Une des origines du scepticisme grec est la thèse du sophiste Protagoras (Ve siècle av.

J.-C.), qui affirme que « l'homme est la mesure de toute chose ».

Autrement dit, il n'y a pas de vérité universelle : tout est relatif et « à chacun sa vérité ».

Platon avait déjà critiqué ce relativisme en montrant son impossibilité logique : affirmer que toute vérité est relative aux individus est contradictoire, parce que Protagoras l'affirme...

comme une vérité ! Si l'homme est la mesure de toute chose, si toutes les opinions se valent, et valent toutes comme vérité, pourquoi écouter Protagoras et suivre son enseignement ? L'affirmation « à chacun sa vérité » est contradictoire parce que si elle dit vrai, elle dément ce qu'elle énonce.

Ou bien il n'y a pas lieu de croire Protagoras, ou bien il dit vrai...

mais alors il se trompe ! Le scepticisme est-il pour autant définitivement réfuté ? Ce n'est pas si sûr.

On peut concevoir un scepticisme. »

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