La recherche de la liberté peut-elle tout justifier ?
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«
Donner une définition simple et univoque de la liberté n'est possible qu'au prix d'une simplification inacceptable du concept de liberté.
En
effet, pour définir la liberté, il faut nécessairement faire référence à un terme qui s'oppose à elle.
Ainsi on peut définir la liberté par
opposition à l'esclavage : alors elle est la condition d'une personne qui n'est pas sous la dépendance d'une autre.
Elle s'oppose
également à la contrainte, puisqu'elle est le pouvoir de faire ce que l'on veut ; mais elle s'oppose également à l'oppression, en tant
qu'elle est le droit de faire tout ce que les lois permettent, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits d'autrui.
Enfin, elle s'oppose
au déterminisme, puisqu'elle est le pouvoir de la raison humaine de se déterminer en toute indépendance.
La formulation de la question implique que l'individu pour qui elle se pose est actuellement privé de la liberté (on est nécessairement
privé de ce que l'on recherche).
Justifier quelque chose consiste à prouver que cette chose n'est pas répréhensible.
Lorsque nous justifions notre conduite, par exemple,
nous tendons à prouver que nous avons agi conformément à ce qu'il convenait de faire, et qu'il ne pouvait être question de faire
autrement.
La recherche de la vérité semble faire partie de ces choses qui justifient tout : en effet, il est attaché à cette idée un prestige tel qu'elle
passe pour l'incarnation de ce que l'homme doit rechercher avant tout autre chose.
Elle a remplacé dans la pensée contemporaine la place
primordiale qu'Epicure accordait au bonheur dans la Lettre à Ménécée.
Nous nous demanderons donc si la liberté est une valeur absolue
susceptible de justifier tous les comportements.
I.
a.
La recherche de la liberté peut justifier tous les comportements car la liberté est une valeur absolue
En quoi la liberté est elle une valeur absolue ?
C'est en partie pour des raisons historiques que la liberté passe pour une valeur absolue.
En effet, depuis la Révolution Française et la
Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, tous les prestiges possibles et imaginables sont attachés à ce concept.
Il y a
bel et bien une valorisation historique de cette idée, qui, pour n'être pas neuve en Europe à cette époque comme le disait Saint Just du
bonheur, n'en laisse pas moins d'être inédite sous sa forme politique.
Mais la valorisation de la liberté s'explique pour des motifs
intrinsèques, et non pas seulement historiques : sa privation apparaît à juste titre comme un grand malheur dont l'individu ne peut que
souhaiter voir la fin.
b.
La recherche de la liberté justifie tous les comportements
C'est donc en vertu de cette valorisation absolue de la liberté qu'il semble que sa recherche soit capable de tout justifier.
En effet, dans la
mesure où rien ne peut compenser sa perte, aucun comportement susceptible de permettre son recouvrement ne semble devoir être
repoussé.
La littérature puis le cinéma n'ont cessé d'exalter les tentatives audacieuses d'individus pour recouvrer leur liberté : que l'on
pense au Comte de Monte Cristo d'Alexandre Dumas, ou au film Est/Ouest qui raconte les efforts d'un nageur pour échapper à la dictature
soviétique.
II.
a.
La recherche de la liberté à tous prix se heurte à des problèmes moraux
Les valeurs potentiellement concurrentes de la liberté et de la vie
Nous étudierons ici un cas concret : celui de Casanova s'enfuyant en 1769 de la prison des Plombs, à Venise.
Cet exemple nous permet
de voir l'opposition entre la valeur de la liberté et celle de la vie, car en recouvrant la première, Casanova coutait la seconde à son geôlier,
nommé Laurent.
Malgré la réussite de son entreprise qui fit de lui un personnage célèbre dans toute l'Europe, Casanova n'a cessé de
manifester une forme de mauvaise conscience de s'être enfui des Plombs au prix de la vie de son gardien.
Nous voyons donc que la
recherche de la liberté ne peut justifier tous les comportements, car l'un de ces derniers peut consister à prendre la vie d'autrui pour y
parvenir.
b.
La recherche de la liberté excessive n'est à même de rien justifier
Nous prendrons ici la liberté dans un autre sens, pour montrer que la recherche de cette dernière ne peut tout justifier.
En effet, par Liberté
nous pouvons également entendre la licence, c'est-à-dire une forme d'affranchissement pratique relativement à toutes normes morales
qui a pour but de permettre à l'individu de connaître des plaisirs variés.
La recherche de cette forme de liberté ne peut rien justifier parmi
les moyens qui servent à l'obtenir, dans la mesure où elle n'est pas une valeur, mais un simple dérèglement moral.
Par exemple, la
recherche de licence des personnages de Laclos dans Les liaisons dangereuses ne saurait rien justifier, car elle est elle-même injustifiable
moralement.
III.
a.
Limites aux justifications apportées par la recherche de la liberté
La recherche de la liberté : une chimère de l'esprit incapable de rien justifier
Nous envisagerons ici d'autres cas prouvant que la recherche de la liberté ne peut tout justifier.
Il se peut en effet que nous vidions
entièrement le concept de liberté de son sens en montrant qu'il n'est qu'une chimère.
Prenons l'exemple de la pensée de Spinoza : pour
lui, la liberté est une illusion dans la mesure où il conçoit un déterminisme universel.
Il n'y a pas de véritable liberté pour Spinoza,
puisque tous les êtres sont pris dans un réseau de relations causales qui les déterminent absolument.
Tout dans l'individu, que ce soit
ses actions ou ses pensées, est entièrement le fruit de cette détermination.
Par conséquent, si nous reconnaissons que le concept de
liberté est sans réelle signification, alors nous acceptons qu'il est impossible de tout justifier pour un concept vide.
b.
Le droit à la révolte de 1795 : la recherche de la liberté justifie tous les comportements dans un cadre juridique donné
Enfin, nous dirons que la recherche de la liberté peut tout justifier, à la condition que nous entendions par ce tout non la totalité des
comportements possibles, mais la totalité des comportements admis par la loi.
En effet, nous finirons en reconnaissant à la liberté sa
dignité de valeur absolue, mais en disant que la recherche de cette valeur ne peut justifier que des comportements légaux : la recherche
de la liberté justifiera par exemple la révolte dans le cadre de la constitution française de 1795, qui reconnaissait un tel droit, mais pas
dans la notre ; elle justifiera la plainte en justice, et pas le meurtre de celui qui nous prive de notre liberté.
Conclusion :
A première vue, il semble que la recherche de la liberté peut tout justifier car elle est, historiquement et intrinsèquement, une valeur
absolue.
Cependant, cette valeur peut se heurter dans la pratique à d'autres valeurs, comme celle de la vie ; et il faut bien distinguer la
liberté de la licence, qui est incapable de rien justifier puisqu'elle est elle-même injustifiable.
En définitive nous dirons que la recherche de
la liberté ne peut justifier que les comportements légaux adoptés pour la recouvrer..
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