La raison s'oppose-t-elle à l'expérience ?
Extrait du document
«
On oppose parfois la raison, comprise comme faculté théorique d'enchaîner droitement des idées afin de parvenir
au vrai, à l'expérience, qui renvoie aux connaissances pratiques acquises par les sens.
Il y aurait dans la première
une méthode et une universalité qui ne figureraient pas dans la seconde, immédiate et variable en fonction des
individus.
Mais peut-on se satisfaire d'une conception aussi rigide de la raison et d'une description aussi frivole de
l'expérience? Dans le cas contraire, comment envisager l'apport mutuel de ces deux modes de connaissance?
1.
L'EXPÉRIENCE N'EST JAMAIS SUFFISANTE.
A) L'expérience individuelle.
On appelle homme d'expérience celui qui a beaucoup vécu et se
serait instruit au contact de réalités diverses.
Ce que cet homme sait
d'expérience, ce qu'il sait pour l'avoir éprouvé, vaudrait plus que toute
théorie.
L'habitude, comme fruit de l'expérience, serait même comme l'affirme
Hume «le grand guide de la vie humaine».
Une telle conception oublie que
l'habitude n'engendre le plus souvent que des préjugés.
Or rien n'est plus
éblouissant qu'un préjugé.
Il arrive donc fort fréquemment que l'éclat de la
vérité ne soit que la patine du temps et que notre certitude ne soit pas le fait
de la raison mais simplement l'éloquence de nos désirs.
Sur le plan de l'action, les situations que nous rencontrons sont parfois si
singulières et complexes que les leçons du passé ne servent à rien sans la
capacité d'analyser rapidement les données du problème.
Sur le plan de la
spéculation, on peut même soutenir, avec Descartes, que les leçons de la
vie ne sont d'aucun secours.
Le voyageur égaré dans la forêt qui hésite sur
la direction à suivre doit prendre des décisions qui lui permettront de sortir
de son état de doute.
La loi de l'action est d'être raisonnable quand elle ne
peut être rationnelle.
Ce qui est raisonnable c'est de ne pas hésiter
perpétuellement sur la direction à prendre, même si un choix irrationnel met
fin à la délibération.
Aussi Descartes conseille-t-il au voyageur égaré de marcher le plus droit qu'il peut vers un même côté car arriver
quelque part est mieux que piétiner sur place.
En revanche, l'esprit en quête de vérité doit provoquer des raisons de
douter et se méfier de la séduction du probable car il peut arriver que ce qui nous paraît probable et même très
probable soit faux et que ce qui est vrai ne nous paraisse pas probable.
B) L'expérience historique.
On conseille souvent aux gouvernants, aux peuples de s'instruire par l'expérience de l'histoire.
Mais comme
le constate Hegel, la seule leçon de l'histoire est qu'il n'y a pas de leçons de l'histoire.
Les peuples et les
gouvernants «n'ont jamais rien appris de l'histoire» et « n'ont jamais agi d'après les leçons qu'on pourrait en tirer».
La raison en est que l'histoire ne se répète pas.
A chaque époque, les peuples, les gouvernants se trouvent dans
des circonstances si particulières, dans une situation si individualisée, que les leçons qu'on peut tirer du passé
apparaissent abstraites et inefficaces.
Hitler connaissait l'échec des campagnes napoléoniennes de 1812-1813 et
l'analyse donnée par Clausewitz de cet échec dans «De la guerre».
Mais il n'en a tenu aucun compte, espérant
réussir, grâce à la vitesse de ses engins blindés, là où Napoléon avait échoué.
A l'originalité de la situation, s'ajoute
souvent l'urgence de l'action.
Les peuples et les gouvernants doivent donc prendre leurs décisions d'après leur
propre jugement et ne peuvent décider autrement.
C) L'expérience immédiate comme obstacle..
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