La raison peut-elle nous inspirer la passion ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet:
l
La question du rapport entre la raison et les passions est une thématique classique de la philosophie.
Souvent ce rapport est entendu comme
opposition.
Nous subissons des passions qui sont des affections de l'âme, les passions nous poussent à accomplir des actions que nous ne voulions
pas commettre, elles s'opposent à la maîtrise de soi.
l La raison, au contraire, est une faculté de l'entendement par laquelle je peux calculer des moyens pour parvenir à une fin, produire des démonstrations,
ce qu'A ristote nomme des syllogismes.
Mais elle est aussi ce qui permet de distinguer le bien du mal, elle intervient dans tous les domaines dans
lesquels il y a véritablement connaissance.
l Dans l'usage que je fais de ma raison, il faut se demander ce qui en est le moteur.
Si je raisonne pour accéder à une vérité ou à la vérité, qu'est-ce qui
motive ma recherche? En effet, il est évident que, dans le cas où j'entends la raison comme le calcul des moyens en vue d'une fin, la fin est ce qui
motive la recherche.
Dans ce cas, c'est parce que je désire cette fin que j'entreprends la recherche des moyens.
Mais ce qui initie un raisonnement
est-ce la volonté ou une passion?
l On peut considérer aisément que la passion peut initier un raisonnement ; il me faut bien des motivations pour raisonner.
Néanmoins, les passions
peuvent aussi perturber un raisonnement.
Pour prendre de bonnes décisions, j'ai besoin de ne pas me laisser emporter par une passion momentanée
mais de la différer, c'est-à-dire de la remettre à plus tard.
Or souvent, la passion n'attend pas.
Problématique:
Si la passion peut inspirer la raison, être sa véritable motivation, elle peut aussi, de par sa nature, rendre difficile les conditions du déploiement de la
raison qui requièrent un certain calme.
Or, le sujet suggère qu'il serait possible que la raison, à son tour, inspire une passion.
Ainsi, loin d'opposer
passion et raison, le sujet nous invite à repenser leur concours.
Or quel type de passion la raison pourrait-elle inspirer? La raison, dans ce cadre,
peut-elle être perçue comme un simple calcul? Quel type d'emprise la raison peut-elle avoir sur nos passions?
1) La passion inspire la raison.
a)
C omme nous l'avons vu, toute activité rationnelle ne peut que reposer sur une passion.
Dans les activités les plus désintéressées, il
doit y avoir une passion qui les motive.
Cela ne signifie pour autant pas que l'homme est par nature égotiste, car une passion peut être
généreuse voire altruiste.
Toute passion n'est pas une passion de conquête, une passion qui fait d'autrui un rival.
b)
Nous avons pris, l'exemple de la recherche de la vérité.
Or, il est clair que si nous cherchons la vérité pour elle-même c'est parce qu'à
son égard nous éprouvons une véritable passion.
Le terme de philosophie signifie étymologiquement amour de la vérité.
La nécessité d'une
passion qui porte un homme à la recherche de la vérité est une constante de la philosophie, que ce soit chez Platon qui donne une grande
importance à l' eros (au désir) dans le dialogue du Phèdre, ou encore chez Descartes par l'étonnement philosophique.
La passion de la vérité
peut d'ailleurs être une passion de la raison, du logos non pas au sens de la faculté de l'entendement mais au sens d'un savoir.
Pourtant dans
ce cas, ce n'est pas tant la raison qui inspire la passion au sens où elle la produirait, que la passion de la vérité qui préexisterait (soit
universellement soit pour quelques uns qui ont un bon naturel) et qui susciterait l'usage de la raison
c)
Il faut distinguer la raison comme le fruit de la passion et la raison comme instrument d'une autre passion.
Dans ce dernier cas la
raison est un calcul des moyens en vue d'une fin qui lui est étrangère, un désir particulier.
Une passion est plus persistante que le désir, une
fois le désir satisfait, un autre désir peut surgir.
Il se peut aussi qu'un autre désir apparaisse alors que je n'ai pas satisfait le précédent car il
est si puissant qu'il l'éclipse.
La passion ne connaît pas cet enchaînement, et souvent le caractère discontinu des désirs successifs n'est que
la manifestation d'un désir persistant, d'une véritable passion.
Par exemple, si je suis inconstant en amour, que je désire telle ou telle
personne, tel le personnage de Dom Juan, je peux vouer une véritable passion à l'égard de la conquête.
C'est pourquoi la passion est rarement
la passion de quelqu'un ou de quelque chose de particulier dont l'acquisition en signerait la fin, mais de choses qui ne peuvent avoir de fin
comme par exemple la passion de l'argent ou la passion du jeu.
•d)
Il est facile de concevoir que la raison puisse être mise au service de la passion de l'argent.
Je peux par le calcul maximiser les moyens
qui me garantiront de la fin que je cherche (ici accumuler de l'argent).
P ourtant la passion de l'argent peut me porter à oublier que l'argent n'est
lui-même qu'un moyen, et ainsi mettre en péril ma santé, des liens familiaux ou d'amitiés et par conséquent m'éloigner du bonheur.
De ce type
de comportement, on peut dire qu'il n'est pas raisonnable, la primauté d'une passion sur toutes les autres conduit à un dérèglement de
l'ensemble.
Il s'agit donc curieusement d'un comportement irrationnel qui peut être normal dans une société, et qui s'appuie sur un usage de la
raison, une sorte de folie normale très bien réglée.
2)
Comment la raison pourrait-elle inspirer une passion?
a)
Une conception classique fait porter la passion sur la fin des actions et la raison sur les moyens.
O r, d'après ce dernier exemple,
quelqu'un de rationnel du point de vue des moyens peut être irrationnel quant à sa fin.
Mais en réalité il n'y a pas à proprement parler de
contradiction, puisque le passionné d'argent est dit irrationnel car il a fait un mauvais calcul, en admettant qu'il cherche le bonheur.
Le bonheur
est toujours considéré comme la fin légitime, ce qui est toujours visé en dernière instance.
Il faut, pour envisager la possibilité d'une action de
la raison sur les passions, distinguer la délibération sur les moyens de fins particulières, qui sont autant de séquences dans lesquelles la
raison est au service d'une fin, de l'intervention rationnelle qui permet de corriger la prétention d'un moyen (l'argent) pour aboutir à la fin
recherchée par tous (le bonheur) et qu'il faut définir.
Dans ce deuxième usage la raison peut apparaître comme ce qui ordonne des passions
particulières de telle manière qu'elles servent ce qui est à lui-même sa propre fin c'est-à-dire le bonheur.
Pourtant dans ce second cas ce
n'est pas la raison qui inspire la passion mais la raison au service d'une passion plus haute qui ordonne et hiérarchise les autres passions.
b)
Dans un autre sens encore, l'usage de la raison peut nous faire découvrir des principes éthiques qui s'opposent à nos passions.
Les lois
morales kantiennes ne sont pas soutenues par une passion, mais par la volonté intervenant dans le cadre d'un devoir.
Il est cependant
difficilement compréhensible d'envisager une telle possibilité sans une certaine passion du devoir, voire une passion de l'ordre.
Ainsi, il existe
très certainement une passion de la raison, une passion de tout ce qui est rationnel si vive, si puissante, qu'elle prétend pouvoir investir le
monde entier et tout expliquer.
La passion de la raison n'est pas toujours la passion de la vérité, mais la passion d'un certain ordre à ce point si
puissant que nous nions d'autres expériences qui peuvent la contredire.
c)
M ais à cette raison dogmatique peut être opposée la raison critique, la raison qui remet en question.
Or, celui qui oppose, contredit ne
cherche pas toujours la vérité mais peut chercher la gloire, la victoire dans le discours.
Les sophistes présentés par P laton en sont un bon
exemple.
La passion de la raison, que ce soit d'un ordre ou d'un débat rationnel, peut nous éloigner de la vérité car elle prend le pas sur la
passion de la vérité.
Conclusion:
La raison peut intervenir sur les passions à condition d'admettre une passion plus haute, plus noble.
La passion de la raison peut être un autre excès
et s'écarter de la passion de la vérité, ou du bonheur suivant que l'on envisage que la fin universelle est le bonheur ou la vérité ou encore la contemplation
de la vérité comme bonheur véritable.
Elle est toujours, en tant qu'excès, la passion du rationnel sans l'activité critique ou la passion de la critique sans sa
fin ultime qui est dans un savoir positif.
Dans le premier cas, la raison est figée dans le second elle semble, comme la passion de l'argent, être sans fin.
O r
cela est une constante des passions que de nous induire en erreur, seule la passion qui est à elle-même sa propre fin doit être visée et ne jamais être
perdue de vue..
»
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