La raison est-elle seulement affaire de logique ?
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VOCABULAIRE:
SEULEMENT:
* Sans rien ou personne de plus que ceux qui sont indiqués : Il est resté deux jours seulement.
* À l'exclusion de toute autre chose : J'ai fait cela seulement pour lui rendre service.
* Marque l'opposition, la restriction : Je voudrais bien y aller, seulement je n'ai pas le temps.
LOGIQUE: a) Comme nom, science des lois de la pensée.
b) Comme adjectif, se dit d'un discours dans lequel les arguments
s'enchaînent de façon cohérente.
RAISON: Du latin ratio, « calcul », « faculté de calculer, de raisonner » (en grec logos).
* Au sens subjectif : mode de penser propre à l'homme (lui-même défini comme « animal raisonnable »).
* Par opposition à l'intuition : faculté de raisonner, c'est-à-dire de combiner des concepts et des jugements, de déduire des
conséquences.
* Par opposition à la passion ou à la folie : pouvoir de bien juger, de distinguer le vrai du faux, le bien du mal.
* Par opposition à la foi : la « lumière naturelle », naturellement présente en tout homme.
* Par opposition à l'expérience : faculté de fournir des principes a priori (c'est-à-dire indépendants de l'expérience)
* Au sens objectif : principe d'explication, cause (exemple : les raisons d'un phénomène).
* Argument destiné à légitimer un jugement ou une décision (exemple : donner ses raisons).
[Introduction]
Le vocabulaire non spécialisé distingue volontiers, à partir du substantif « raison », deux adjectifs que l'on ne peut confondre : d'une part
le rationnel, de l'autre le raisonnable.
D'un enfant, à partir d'un certain âge, on attend par exemple qu'il sache se montrer raisonnable,
mais cela ne signifie pas encore que sa pensée devrait être rigoureusement rationnelle.
Une telle distinction a-t-elle un sens durable, ou doit-on admettre qu'en fait, et pour peu qu'on s'intéresse à une raison ayant atteint sa
maturité, tout ce qui participe de la raison relève de la seule logique ?
[I.
Avantages de la logique]
La logique se présente comme un ensemble de règles qui garantissent la validité des déductions, ou des enchaînements de propositions.
Dès sa première formulation rigoureuse, dans la version qu'en donne Aristote, elle nous enseigne comment nous devons lier nos énoncés
pour qu'ils soient formellement vrais.
Ainsi, les règles du syllogisme constituent par exemple les modèles de déductions justes.
On sait toutefois que la vérité de la déduction
ne concerne pas le contenu des propositions : il est possible de construire des syllogismes parfaitement vrais, mais empiriquement
absurdes ou dénués de sens (seules les panthères ont les yeux bleus ; mon cousin a les yeux bleus ; donc mon cousin est une
panthère).
Si de tels enchaînements peuvent être amusants, on voit mal quel pourrait être leur intérêt pour qui s'intéresse au monde et
aux vérités que l'on peut élaborer à son propos.
Aussi la pensée grecque définit-elle déjà la raison de façon à y inclure d'autres potentialités que la seule exigence logique : le logos, qui
signifie initialement le fait de rassembler ou de mettre ensemble, désigne la pensée dans son activité de mesure, et aussi dans sa façon
d'obéir à ce qu'Aristote définit comme « juste mesure ».
Être rationnel, c'est ainsi refuser la « démesure » (l'hubris), celle qui nous ferait
nous prendre pour un dieu ou nous négliger jusqu'à tomber dans l'animalité — mais peut-être existe-t-il aussi, ou peut-il exister, une
démesure jusque dans la logique ? C'est bien ce qui semble se produire lorsque les raisonnements s'établissent à partir de propositions
premières qui n'ont guère d'intérêt, ou qui peuvent paraître étonnamment arbitraires.
Par exemple, les déductions qu'opère Platon sur les occupations, les statuts et les fonctions des catégories sociales dont l'équilibre doit
constituer la Cité juste (La République) sont sans doute logiques.
Elles n'en ont pas moins le défaut, à nos yeux, de prendre appui sur
des postulats qui sont devenus pour le moins discutables, puisque notre conception de la justice trouve difficile d'admettre une différence
initiale de « nature » entre les futurs membres d'une société humaine.
[II.
Logique, empirisme et morale]
En d'autres termes, la logique est sans doute la voie royale de la pensée lorsqu'il s'agit de calculer, mais la pesée ne se limite pas au
calcul.
Rien ne le montre mieux que les errances de la « science » avant la reconnaissance des apports de l'expérience.
Si la physique
d'Aristote (mais encore celle de Descartes) est fausse, alors que ses déductions sont sans doute impeccables, c'est parce qu'elle prend
son point de départ dans une réception passive des perceptions, comme si la nature se devait de nous révéler, de son propre mouvement
– pour ne pas évoquer sa propre volonté –, les lois de son organisation.
Au contraire, lorsque Galilée constate l'intérêt qu'il y a, pour l'esprit scientifique, à commencer par questionner la nature avec précision,
pour en obtenir des réponses qui seront également les plus précises possibles, la raison devient active.
Ce qui servira de programme pour
les sciences expérimentales, mais indique que la connaissance rationnelle ne peut se constituer que si elle tient compte simultanément
des données de l'expérience active et des exigences de la logique mathématique (lorsqu'on mathématise les observations obtenues).
Sans doute Galilée affirme-t-il que les mathématiques sont bien « le langage de la nature ».
Mais tout langage est constitué d'un
vocabulaire et d'une syntaxe : si les mathématiques fournissent la syntaxe, le vocabulaire, de son côté, doit avoir ses référents dans le
domaine empirique.
À considérer la science contemporaine, on doit d'abord constater que la mathématisation y a fait de tels progrès qu'elle permet
désormais, du moins dans certains secteurs, d'anticiper sur les données expérimentales (c'est le cas dans la « physique théorique »).
Il
n'en reste pas moins que le rationalisme ainsi à l'oeuvre est qualifié par Bachelard d'« appliqué » – ce qui désigne la nécessité d'un va-etvient et d'un enrichissement réciproque entre la théorie logico-mathématique et l'expérience de plus en plus complexe.
À cette complémentarité d'un point de vue logique et de ce qui lui est d'abord étranger dont on peut ainsi constater l'existence dans la
science, on peut ajouter une dimension complémentaire, qui concerne l'existence morale.
Celle-ci désigne un univers qui n'est plus
seulement celui de la nature extérieure à l'homme, mais qui concerne l'homme lui-même, dans ses relations avec tous les autres.
Wolff
prétend la ramener à l'application d'un strict principe d'identité : serait ainsi moral le comportement dont l'aboutissement ne contredit pas
le point de départ.
Mais Kant objecte qu'on repère ainsi un caractère de la conduite déjà morale, mais non sa condition de possibilité ou ce
qui la fonde.
En effet, le critère de Wolff devrait considérer comme moral l'individu qui, ayant déjà une mauvaise réputation, fait tout ce
qu'il peut pour la maintenir, sinon l'empirer...
La solution serait alors, pour Kant, de s'en tenir aux exigences de l'impératif catégorique :
que la maxime qui règle ma volonté puisse être considérée comme loi, et révèle ainsi sa portée universelle.
Où la logique retrouve ses
droits, dans l'exigence d'universalité – mais Kant remarque par ailleurs qu'au sens strict, il n'y a peut-être jamais eu un comportement
purement moral au monde...
ce qui semble indiquer que, tout en se préoccupant d'être rationnel, l'homme n'obéit pas à la seule logique..
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