La raison a-t-elle toujours raison ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
On entend par raison une des facultés qui caractérisent l'être humain.
Il s'agit d'une faculté d'intelligence, de
raisonnement, que l'on peut considérer comme la faculté maîtresse de l'homme et que la philosophie a abondamment
célébrée.
Le sujet joue ici sur l'expression « avoir raison », qui signifie couramment être dans le vrai, ne pas se tromper –
la connaissance commune a en effet tendance à assimiler ce qui est conforme à la raison avec ce qui vrai ou correct.
C'est
cette connaissance commune qu'il va falloir ici interroger et éventuellement remettre en cause – l'adverbe « toujours »
portant le soupçon sur l'extension des capacités de la raison, puisque avoir « toujours » raison c'est avoir raison dans tous
les cas, tous les domaines et en tout temps.
La raison a-t-elle des limites quant à son adéquation à la vérité ? Y a-t-il en l'homme des instances qui pourraient avoir
davantage « raison » que la raison ? Si oui, pourquoi et lesquelles ? Si non, qu'est-ce qui fait de la raison l'instance
maîtresse ?
On peut être partage entre l'idée d'une toute-puissance de la raison, toute-puissance qu'on lui accorde en raison de sa
fiabilité, de sa constance, de la garantie qu'elle donne de pouvoir s'en remettre à une méthode sans rien laisser au hasard
ou à l'intuition, et entre l'idée d'une incapacité de la raison à saisir certaines choses – que l'on pense par exemple au cliché
courant de l' « esprit trop cartésien », ou à l'opposition bergsonienne entre intelligence et intuition.
Il y a alors trois manières de répondre au sujet : ou bien l'on adopte une position extrême en disant que la raison, bien
qu'elle garantisse une certaine fiabilité et une certaine constance des données qu'elle permet d'acquérir, n'est qu'un pisaller, qu'elle n'est que la manière humaine d'appréhender le monde mais qu'elle est inférieure à d'autres modes de
connaissance, que l'on pourrait par exemple, dans une perspective théologique, appréhender par la foi (interroger par
exemple la notion de Révélation) ; ou bien l'on distingue plusieurs domaines d'investigation et l'on attribue à la raison des
domaines dans lesquels elle a en effet « toujours raison » (on pourra donner l'exemple des méthodes scientifiques, qui se
doivent de toujours s'en remettre à la raison, en les opposant à l'exemple de l'appréhension rousseauiste des passions ou
de la distinction bergsonienne entre intelligence et intuition) ; ou bien l'on accorde une toute-puissance totale et
permanente à la raison, en la prenant comme la seule instance qui puisse garantir à l'homme la justesse de ses positions
– on pourra alors se référer à des rationalismes matérialistes, tels que le stoïcisme.
Problématique
La raison tient une place culturelle primordiale dans la société occidentale.
En effet, avec les Lumières, au XVIIIe siècle,
prenant historiquement le pas sur le religieux, la raison a permit aux sciences d'évoluer rapidement et aux sociétés de
sortir de que l'on appelle aujourd'hui leur « obscurantisme » médiéval.
C'est pourquoi beaucoup de gens sont attachés
sentimentalement à la raison, considérant le rationnel infaillible et l'élisant dans le même mouvement principe d'action et
de pensée prioritaire, conformément à l'injonction de Sénèque : « Si tu veux te soumettre toutes choses, soumets-toi à la
raison.
».
Au XVIIIe siècle, elle fut considérée comme garante de la vérité d'une idée, opinion qui est toujours répandue
puisqu'on prétend aujourd'hui dire la vérité lorsqu'on dit « avoir raison » ; le terme est révélateur de l'opinion commune
concernant la raison : pour beaucoup, elle est garante de vérité.
Qu'est-ce que la raison ? Le substantif raison est issu du
latin « ratio » qui est l'équivalent latin (appauvri) du terme grec « logos ».
La raison humaine est une faculté qui permet de
comprendre le « ratio », le lien, le rapport entre les choses et d'élaborer des raisonnements logiques à partir
d'informations et de règles.
Elle est la garante du sens et de la cohérence de la pensée, même si, travaillant à partir
d'informations médiates, ses résultats peuvent se révéler faux.
Dans un tel cas, le raisonnement est valide mais la
conclusion, fausse.
Paradoxalement, l'idée qu'un principe de cohérence garantisse la véracité de quelque chose ne semble
avoir aucun fondement logique.
La raison a-t-elle toujours raison ? Comment penser le rapport entre raison et vérité ?
I.
La raison libère des passions qui peuvent être un obstacle à la recherche d'une vérité.
La passion illusionne mais la
raison permet de surmonter ces illusions grâce à la force de persuasion de ses enchaînements déductifs.
C'est pourquoi il
est préférable de toujours se fier, de préférence, à sa raison.
Baruch Spinoza écrit en ce sens : « En réalité, être captif de
son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire esclavage, et la liberté n'est qu'à celui
qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison.
»
II.
Un raisonnement valide et des prémisses erronées peuvent conduire à une conclusion fausse.
La raison est une forme
qui a besoin d'une matière, d'un contenu pour pouvoir travailler.
Or, ce contenu provient de l'expérience et l'expérience
peut être trompeuse.
C'est pourquoi la raison n'est pas absolument garante de la véracité d'une idée.
La seule manière de
ne pas se fourvoyer est de partir de prémisses indubitables, comme l'est le « cogito ergo sum », « je pense, je suis »
cartésien, connu grâce à l'intuition.
Wilhelm Leibniz donne une nouvelle définition du substantif « raison », certes
inappropriée à l'usage que l'on en fait aujourd'hui, mais qui va dans le sens de l'idée précédemment évoquée : « J'entends
par raison non pas la faculté de raisonner, qui peut être bien et mal employée, mais l'enchaînement des vérités qui ne
peut produire que des vérités, et une vérité ne saurait être contraire à une autre.
»
III.
Toute conclusion de raisonnement est douteuse en ce qui concerne sa véracité.
L'absolument indubitable se limite au «
cogito » et donc toute autre pensée est douteuse.
Le crédit que l'on apportera à toute proposition sera fonction de la
force de notre croyance en celle-ci.
En effet, nous croyons très fort, pour emprunter son exemple au philosophe analytique
David Hume, que « le soleil se lèvera demain matin » parce que nous avons l'habitude de voir le soleil se lever chaque
matin, et cela depuis notre plus jeune age.
Mais rien ne nous garanti absolument que le soleil se lèvera demain matin.
Nous y croyons très fort, mais ce n'est pas indubitable comme l'est le « cogito ergo sum ».
Une choses n'est donc pas vraie
parce qu'elle est rationnellement valide, mais elle est vraie parce que nous croyons qu'elle est vraie.
C'est pourquoi
Friedrich Nietzsche a pu aller jusqu'à dire que « L'absurdité d'une chose n'est pas une raison contre son existence, c'en est
plutôt une condition.
».
»
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