La question de la légitimité du pouvoir a-t-elle un sens ?
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RAPPEL DE COURS: ETAT & LEGITIMITE
La prétention de l'État à la rationalité est-elle justifiée ? L'expérience spontanée du
pouvoir semble nous instruire du contraire : le pouvoir est arbitraire, il n'est que le
fait institutionnalisé de la force.
C'est ainsi d'ailleurs que Machiavel, au xvie siècle,
théorise l'État.
Dans son livre Le Prince, il affirme que le but de l'homme politique
est de conquérir le pouvoir et de le conserver.
La politique et la morale sont donc
radicalement séparées.
Le point d e vue technique s e substitue au point de vue
moral : ce sont les nécessités du politique, c'est-à-dire de la conservation de l'État,
qui commandent, et non des impératifs de justice.
Machiavel refuse ainsi l'idée
d'un fondement rationnel de l'État, mais son analyse n'en reste pas moins une
entreprise impitoyablement lucide d e rationalisation du pouvoir réduit à des
mécanismes de conquête et de conservation.
Il faut donc distinguer la rationalité
technique et fonctionnelle de l'État et sa raisonnabilité morale.
Si Machiavel refuse
la seconde, il promeut au contraire la première, en faisant de l'État une institution
purement humaine, ni divine ni magique.
Mais peut-on comme Machiavel refuser
de poser la question de la raisonnabilité morale de l'État ? Lui-même d'ailleurs ne
va pas au bout d'un tel refus, puisque c'est bien au nom d'un intérêt supérieur de
l'État que toutes les techniques d e conservation du pouvoir peuvent être
envisagées, qu'elles soient ou non admises par la morale.
Si l'État a des fins
supérieures qui justifient tous les moyens, il faut alors inévitablement examiner ce
qui rend ces fins légitimes, c'est-à-dire ce qui fonde l'autorité politique.
Le pouvoir, en tant que faculté d'exercer une autorité sur un ou plusieurs individus semble, d'emblée s'ériger comme barrière face à la
justice ou au maintien des libertés individuelles.
Or, le pouvoir n'est-il qu'un danger pour l'Etat dans la mesure où il tend à se confondre
avec l'abus de pouvoir, ou peut-il au contraire, dès lors qu'il s'exerce dans un cadre réglementé, revêtir l'aspect d'un élément régulateur
essentiel à la viabilité d'une société ?
En effet, si la notion de pouvoir apparaît comme indissociable de celle de subordination, est-elle pour autant systématiquement synonyme
de contrainte ou de force ? Autrement dit, doit-on considérer, à l'instar de Montesquieu, que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser », ce qui remettrait en question la sauvegarde des libertés individuelles, ou doit-on au contraire concevoir ce pouvoir comme le
point d'encrage fondamental de la société, et finalement comme l'unique garant de ces libertés ?
I/ Kant : la légitimité du pouvoir remise en cause par la nature même de l'homme.
Si l'homme est, comme l'affirme Aristote, un « animal politique », doué de facultés morales lui permettant notamment de distinguer ce
qui est juste et ce qui est injuste (Politique), il n'en reste pas moins, selon Kant, un être égoïste qui « du moment où il vit parmi d'autres
individus de son espèce, a besoin d'un maître » qui l'élève à l'universalité.(Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique)
C'est donc toute la complexité de l'homme dans sa dimension sociale qui apparaît à travers ce paradoxe.
En effet, si l'homme a besoin
de vivre en société et qui plus est, dans une société juste, il n'en reste pas moins un individu soucieux de ses propres intérêts.
Or, pour
ne pas abuser de ses libertés individuelles, il doit donc se soumettre à l'autorité d'un « maître ».
Autrement dit, se soumettre à une
personne exerçant sur lui une domination, et qui lui permette d'accéder à des règles universelles, c'est à dire valables pour tous : les lois.
Mais parce que le maître est lui-même un homme, il a lui aussi besoin d'un maître.
Dès lors, la légitimité du pouvoir, bien que théoriquement indispensable à la viabilité d'une société, semble bien difficile à réaliser « en
pratique » et ce, semble-t-il, du fait de la nature même de l'homme.
II/ Montesquieu : l'illégitimité du pouvoir incarnée dans le despotisme
Les lois, censées garantir la sécurité et la liberté des individus au sein d'une société sont voulues par les membres qui la composent et ne
sauraient servir les intérêts d'un seul au détriment de tous les autres.
En effet, en tant qu'expressions de la raison, les lois ont pour but
de refléter l'universalité de cette dernière.
Si tel n'est pas le cas, le pouvoir peut aisément glisser entre les mains d'un seul homme.
Dès
lors, la souveraineté absolue n'appartient plus à l'ensemble des citoyens qui composent la société mais à « un seul, sans loi et sans
règles, [qui] entraîne tout par sa volonté et par ses caprices.
» Montesquieu, L'Esprit des lois
Ce type de pouvoir est illégal, dans le sens où il ne s'exerce en vertu d'aucune loi et illégitime, puisque non conforme au respect des
droits naturels des hommes et de la morale.
III/ Rousseau : la morale est indissociable de la politique.
Au delà du droit positif incarné par les lois se pose donc la question du droit naturel , c'est à dire du fondement moral du pouvoir.
Et c'est, semble-t-il, ce fondement moral du pouvoir que Rousseau désigne sous le terme de « volonté générale », laquelle n'est pas la
volonté de tous ou de la majorité, mais celle qui a pour seul objet l'intérêt commun.
Ainsi « la volonté générale peut seule diriger les
forces de l'Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun[…] » (Du contrat social)
En effet, cette volonté générale doit constituer une obligation morale, le point d'encrage de la constitution des lois mais aussi de leur
respect.
Elle seule constitue le pouvoir souverain, c'est à dire le corps politique constitué par tous les citoyens.
Elle seule est en mesure
de conférer à ce dernier sa légitimité.
Conclusion
-
L'homme, en tant qu'animal égoïste, penche donc naturellement, selon Kant, vers la sauvegarde de ses intérêts personnels ; c'est
pourquoi, il semble nécessaire de le subordonner à l'autorité d'un maître capable de l'obliger à se soumettre aux lois.
Néanmoins, cette
autorité étant nécessairement exercée par un autre homme, le problème semble se répéter.
La légitimité du pouvoir étant avérée, il
semble que ce soit son application dans les faits qui soit dès lors compromise.
S'il est détenu par un seul individu davantage soucieux de sa propre volonté que de l'intérêt général, le pouvoir devient injuste.
Le
pouvoir doit donc s'appuyer sur des règles communes s'appuyant sur les principes de la Morale.
La légitimité du pouvoir parvient à prendre forme à travers la notion rousseauiste d e « volonté générale », en tant qu'obligation
morale, unique garant d'un fondement légitime du pouvoir.
Car pour Rousseau, morale et politique sont inséparables..
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