La puissance de l'Etat est-elle condition de l'harmonie sociale ?
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«
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PREMIERE CORRECTION
Définition des termes du sujet
Le terme « puissance » peut s'entendre dans deux sens : une puissance est en effet ou bien un pouvoir, ou bien un
potentiel.
Dans le cadre politique du sujet, c'est le premier de ces deux sens qui semble le plus pertinent.
L'Etat est l'ensemble des institutions présidant au fonctionnement d'une communauté politique donnée.
Vivre dans un
Etat, c'est donc être soumis à ces institutions et y participer ; cet Etat peut être plus ou moins dirigiste, son influence
sur la vie de ses citoyens peut être plus ou moins importante.
L'expression « puissance de l'Etat » renvoie alors à un
Etat particulièrement fort, tant par l'influence qu'il exerce sur ses citoyens que par sa position par rapport à d'autres
Etats, par exemple.
Une condition est un élément à posséder pour accéder à telle ou telle chose ; plus précisément, les conditions peuvent
être de deux sortes, nécessaires et suffisantes.
Une condition suffisante est telle que, une fois remplie, l'état souhaité
est atteint sans qu'il faille apporter d'autres éléments.
Une condition nécessaire est, comme toute condition,
indispensable mais il faut y ajouter d'autres éléments pour que l'état souhaité soit atteint.
Si l'on transpose
cela à notre sujet, ou bien la puissance de l'Etat à elle seule garantit l'harmonie sociale, ou bien cette puissance est
l'un des éléments indispensables permettant d'atteindre l'harmonie sociale.
La notion d'harmonie est, au sens strict, musicale, mais, par extension, elle désigne un état dans lequel plusieurs
éléments concourent à produire un effet d'ensemble.
L'harmonie sociale serait alors un fonctionnement collectif
excellent, auquel participerait chaque élément de la société, les bénéfices allant à la fois à l'Etat comme institution et
à l'ensemble des individus concernés par le pouvoir de cet Etat.
Il faudra alors se demander si un Etat fort, régissant de manière importante les interactions entre les individus et la vie
de ces derniers, permet ou non une harmonie sociale, et, si c'est le cas, dans quelle mesure il est une condition à
l'avènement de cette harmonie.
Se demander si la puissance de l'Etat est la condition de l'harmonie sociale, c'est s'interroger à savoir si cette harmonie
nécessite un Etat fort c'est à dire un pouvoir qui la maintient.
En ce sens, un Etat faible ne pourrait la garantir.
Ce
constat nous conduirait aussi à noter que l'harmonie ne peut pas venir simplement des individus qui vivent ensemble.
Ici, vous pouvez penser aux analyses de Hobbes dans le Léviathan.
Il montre ainsi que seul un pouvoir absolu fort est
susceptible de maintenir un ordre, une cohésion en tenant les individus en respect.
Son analyse repose sur le constat
selon lequel les hommes sont avant tout animés par leurs désirs et que ces désirs conduisent à une lutte perpétuelle
de chacun contre chacun et de tous contre tous, ce qu'il nomme l'Etat de nature.
Vous pouvez également penser aux
analyses de Machiavel dans le Prince lorsqu'il montre que ce dernier doit avoir la ruse du renard et la force du lion.
Cette force est nécessaire pour que le prince soit non seulement aimé mais aussi respecté.
Remarquez que dans les
deux cas, cette affirmation d'un pouvoir fort repose sur un constat en ce qui concerne la nature humaine.
Toutefois,
vous pouvez vous demander s'il n'y a pas d'autres conditions.
De plus, demandez-vous si cette force décrite implique
nécessairement une harmonie.
En effet, ce que Hobbes s'attache à penser avant tout est une forme de coexistence
entre les individus.
Or, la coexistence est-elle l'harmonie ? Vous pouvez ici distinguer la coexistence de la concorde.
Pensez d'ailleurs que la place se situant à Paris et renvoyant aux événements de la révolution française s'appelle la
place de la concorde et non de la coexistence.
Dans ces conditions, la concorde ne suppose-t-elle pas avant tout la
constitution d'une unité volontaire de tous les individus ? Ici, vous pouvez penser aux analyses de Rousseau au
chapitre 5 du livre 1 Du contrat social lorsqu'il montre la nécessité première que le peuple se constitue en tant que
peuple.
Éléments pour le développement
* La désharmonie en dehors de la société et la nécessité de s'en remettre à la puissance de l'Etat pour y
remédier
Hobbes
« Enfin de ce que chaque particulier a soumis sa volonté à la volonté de celui qui possède la puissance souveraine
dans l'État, en sorte qu'il ne peut employer contre lui ses forces, il s'ensuit que le Souverain doit être injusticiable,
c'est-à-dire avoir impunité de tout ce qu'il entreprend.
Or tous les droits de la puissance Souveraine, à savoir de se
servir quand bon lui semble tant de l'épée de justice que de celle de la guerre, d'établir ou abolir les Lois, juger les
procès, punir les crimes, choisir tous les officiers et magistrats, font que la puissance Souveraine n'est pas moins
absolue dans l'État, après l'établissement de la République, que celle qu'un chacun avait auparavant de faire ou de ne
pas faire selon sa fantaisie et son plaisir.
Et voilà ce que quelques-uns, qui n'ont pas expérimenté les misères et le
déplorable état auquel les hommes sont réduits par une longue guerre, trouvent dur et si fâcheux, qu'ils ne peuvent
pas se résoudre à embrasser les conditions et faire les pactes, et les soumissions que nous avons démontré être
nécessaires pour avoir la paix.
C'est pourquoi il y en a qui se sont imaginé que l'on pouvait établir une République en
telle façon que la puissance Souveraine serait limitée et aurait les bornes qu'on s'accorderait de lui donner.
Et voici
comme ils en bâtissent l'idée.
Ils supposent que plusieurs personnes s'étant accordées sur quelques articles, à qui elles
donnent l'autorité de faire des Lois, elles arrêtent entre elles la façon dont elles veulent être gouvernées.
Cela étant,
disent-ils, qu'elles choisissent par un commun consentement, un homme ou un nombre de personnes qui aient le soin
de voir que ces articles soient mis en exécution.
[...] Mais, après l'élection du Monarque, si le peuple détient toujours
la puissance, alors c'est le peuple qui a l'autorité Souveraine, et le roi n'en est que le ministre, pour mettre cette
Souveraineté en exécution.
[...] Or il est à croire que quand quelqu'un reçoit quelque chose de l'autorité du peuple, il
ne le reçoit pas du peuple comme de ses sujets, mais du peuple comme de son Souverain.
Davantage, quoi qu'en
l'élection d'un roi le peuple lui mette entre les mains l'administration de l'autorité publique, néanmoins le peuple la peut
révoquer quand bon lui semble, ou lorsqu'il juge qu'il y a cause de le faire.
[...] Car la puissance Souveraine ne peut par
aucun pacte avec un sujet s'être obligée à lui continuer sa charge, laquelle il a reçue, comme un fardeau qui lui a été
mis sur les épaules, non pas pour son bien particulier, mais pour le bien du Souverain peuple.
Beaucoup des théories du contrat social prennent racine dans une vision pessimiste de l'état de nature de l'humanité,
état de dysharmonie et de violence de tous contre tous.
C'est le cas notamment chez Hobbes, pour qui l'instauration
de la puissance de l'Etat permet de lutter contre les penchants de l'animal humain.
Cela fonde chez lui un souci de
promouvoir un pouvoir inconditionnel de l'Etat rendant possible la vie politique et l'harmonie entre les hommes.
Seule
l'autorité politique permettrait de parvenir à cette fin.
* Les limites de la notion de puissance de l'Etat et le rôle des individus
Rousseau
« Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société.
Que des hommes épars
soient successivement asservis à un seul, en quelque nombre qu'ils puissent être, je ne vois là qu'un maître et des
esclaves, je n'y vois point un peuple et son chef : c'est, si l'on veut, une agrégation, mais non pas une association : il
n'y a là ni bien public ni corps politique.
Cet homme, eut-il asservi la moitié du monde, n'est toujours qu'un particulier ;
son intérêt, séparé de celui des autres, n'est toujours qu'un intérêt privé.
Si ce même homme vient à périr, son empire
après lui reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas de cendres, après que le feu l'a
consumé.
Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi.
Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un
roi.
Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique.
Avant donc d'examiner l'acte par lequel un
peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple.
Car cet acte étant nécessairement
antérieur à l'autre est le vrai fondement de la Société.
»
Cependant, la notion d'harmonie sociale renvoie à un état qui est plus et autre chose qu'un état de non-conflit : il
s'agit alors de penser quelque chose comme un bonheur commun, et la notion de puissance de l'Etat comme simple
exercice de la force pose alors problème, car elle semble soumettre les autoritairement les individus et instaurer une
harmonie forcée.
Un des moyens de remédier à cette difficulté est de promouvoir le rôle du peuple dans l'instauration
de la puissance de l'Etat.
Alors la puissance de l'Etat n'est que l'un des éléments participant à l'avènement de
l'harmonie sociale.
Reste à déterminer s'il en reste toujours une condition.
* La puissance politique n'est pas la puissance de l'Etat
Hume
« Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui contemplent les choses humaines d'un oeil philosophique que de voir la
facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit et l'humble soumission avec laquelle les hommes
sacrifient leurs sentiments et leurs penchants à ceux de leurs chefs.
Quelle est la cause de cette merveille ? Ce n'est
pas la force : les sujets sont toujours plus forts.
Ce ne peut donc être que l'opinion.
C'est sur l'opinion que tout
gouvernement est fondé, le plus despotique et le plus militaire, aussi bien que le plus populaire et le plus libre.
Un sultan d'Egypte, un empereur de Rome peut forcer les actions de ces peuples innocents mais ce n'est qu'après
s'être affermi dans l'opinion de ses gardes : ils peuvent mener leurs sujets comme des bêtes brutes, mais il faut qu'ils
traitent comme des hommes, l'un ses mamelouks, l'autre sa cohorte prétorienne.
»
Platon
« Les gens de bien ne veulent gouverner ni pour les richesses ni pour les honneurs : ils ne veulent pas être traités de
mercenaires, en exigeant ouvertement le salaire de leur fonction, ni de voleurs en tirant eux-mêmes de leur charge des
profits secrets.
Ils ne sont pas non plus attirés par les honneurs ; car ils ne sont pas ambitieux.
Il faut donc qu'une
punition les contraigne à prendre part aux affaires ; aussi, risque-t-on, à prendre volontairement le pouvoir, sans
attendre la nécessité, d'encourir quelque honte.
Or la punition la plus grave, c'est d'être gouverné par un plus méchant
que soi, quand on se refuse à gouverner soi-même : c'est par crainte de cette punition, ce me semble, que les
honnêtes gens qu'on voit au pouvoir se chargent du gouvernement.
Alors ils se mêlent aux affaires, non pour leur
intérêt ni pour leur plaisir ; mais par nécessité et parce qu'ils ne peuvent les confier à des hommes plus dignes ou du
moins aussi dignes qu'eux-mêmes.
Supposez un Etat composé de gens de bien : on y ferait sans doute des brigues
pour échapper au pouvoir, comme on en fait à présent pour le saisir, et l'on y verrait bien que réellement le véritable
gouvernant n'est point fait pour chercher son propre intérêt, mais celui du sujet gouverné ; et tout homme sensé
préférerait être l'obligé d'un autre que de se donner la peine d'obliger autrui.
»
La dernière partie pourrait tourner autour de la question de la puissance propre à la communauté politique comprise
comme condition d'avènement de l'harmonie sociale.
Il faudra distinguer la puissance du pouvoir et de l'autorité de
l'Etat, et envisager la puissance de la communauté politique comme ne résidant pas seulement dans l'Etat, mais aussi
dans chacun de ses citoyens.
Autrement dit, l'accès à l'harmonie sociale serait en effet conditionné par une certaine
puissance de type politique, mais cette puissance ne serait pas le fait de l'Etat seul, mais d'un ensemble d'éléments
dont l'Etat ferait partie.
La notion de puissance de l'Etat se trouve ainsi à la fois promue et limitée au profit d'une
notion plus générale de la puissance politique, que le texte de Platon pourra aider à définir en ce qu'il propose une
réflexion sur une vertu proprement politique.
Conclusion
S'il semble assez aisé de poser que seule la puissance d'un Etat, par l'autorité qu'il exerce, rend possible l'accès à
l'harmonie sociale en ce qu'il édicte des règles strictes pour la vie en communauté, il apparaît que cette conception
d'une puissance politique autoritaire ne permet pas d'en appeler à juste titre à la notion d'harmonie, qui dépasse la
notion de non-conflit.
Il faut alors chercher à définir un autre type de puissance politique, plus général, concernant
tant les institutions politique que les individus en tant qu'ils sont des sujets politiques.
C'est cette puissance plus
générale que l'on pourra poser comme condition de l'harmonie sociale.
SECONDE CORRECTION
Les hommes ne sont pas naturellement enclins à vivre en harmonie.
Seule la puissance de l'État peut les
contraindre à renoncer à faire usage de violence afin de servir des intérêts et des passions égoïstes.
La violence est à l'origine l'État
Qu'il s'agisse de Bodin, de Machiavel, de Hobbes, de Hume, tous voient à l'origine de l'État une violence qui a pour but
de mettre un terme à une autre violence; laquelle s'est propagée parmi les hommes à la manière d'une épidémie.
Sans
cette autorité suprême que constitue l'Etat, l'être humain semble bien incapable de vivre en paix avec ses semblables.
En dehors de l'Etat, les hommes jouissent d'une liberté absolue.
Mais chacun disposant de la même liberté absolue,
tous sont exposés à subir des autres ce qui leur plaît.
La constitution d'une société civile et d'un État oblige à une
nécessaire limitation de la liberté : il n'en reste que ce qu'il faut pour vivre bien et vivre en paix.
Chacun perd de sa
liberté cette part qui pouvait le rendre redoutable pour autrui.
Dans l'état de nature, chacun jouissait d'un droit illimité
sur toutes choses, mais tous disposant du même droit, nul n'était assuré de ne rien posséder durablement.
L'État
garantira la sécurité d'un droit de propriété limité.
Enfin, dans l'état de nature, chacun était exposé à la menace
d'autrui : il pouvait être à tout instant dépouillé de ses biens et tué.
Dans une société civile, seul le pouvoir de l'État
s'arroge ce droit.
Un Etat capable de protéger tous les citoyens de la violence des uns et des autres, de garantir la
sécurité de leurs corps et de leurs biens, de leur assurer la jouissance des fruits de leur travail, de faire régner la paix,
la civilité, le savoir et la sociabilité ne peut être que despotique.
Pour sortir les hommes de l'empire des passions, de la
guerre, de la crainte, de la pauvreté, de la solitude, de l'ignorance et de la férocité, l'État est une puissance absolue,
instituée en vue de la paix et de la sécurité.
"Quiconque a droit à la fin, a droit aux moyens." Chaque homme ou
assemblée investis de la souveraineté sont juges absolus de tous les moyens nécessaires pour protéger ou garantir
cette fin.
"Une doctrine incompatible avec la paix ne peut pas davantage être vraie, que la paix et la concorde ne
peuvent être contraires à la loi de nature." La seule manière d'ériger un État est que tous confient leur pouvoir et leur
force à un seul souverain (homme ou assemblée).
Toutes les volontés doivent être réduites à une seule volonté.
L'État
n'est pas un consensus ou une concorde, mais une unité réelle de tous en une seule et même personne.
L'État est garant du maintien de la justice et de l'harmonie de tous
La principale origine, pour ne pas dire la seule, des troubles sociaux est l'injustice.
Plus un État est juste et puissant,
plus il est apte à empêcher qu'un individu, qu'une entreprise, que des groupes financiers, pour de vils motifs
mercantiles, ne transgressent ou ne contournent les lois et ainsi n'engendrent des situations toujours plus iniques.
Sans l'autorité suprême de l'État, l'être humain semble bien incapable de vivre en paix avec ses semblables.
Tant il est
vrai que l'état de nature (ou pré-politique) se caractérise par : La guerre de chacun contre chacun (Hobbes).
Hobbes est considéré, avec Machiavel, comme le fondateur de la
politique moderne.
Contemporain de la Révolution anglaise du XVII ièmesiècle,
Hobbes sera frappé de la violence de la guerre civile et des conséquences
désastreuses de la vacance du pouvoir.
Au chapitre XII du « Léviathan », il
écrit : « Il apparaît clairement par là, qu'aussi longtemps que les hommes vivent
sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette
condition que l'on nomme guerre, et que cette guerre est guerre de chacun
contre chacun.
»
L'expérience inédite qu'est la Révolution va amener Hobbes à se faire le
théoricien d'un pouvoir fort, de l'absolutisme.
Hobbes appartient au courant dit du « droit naturel » qui rompt avec les
conceptions politiques traditionnelles.
L ‘héritage antique affirmait avec Aristote
que « l'homme est un animal politique » et assurait la prééminence de la
communauté sur l'individu.
L'héritage chrétien, le droit divin, interdisaient toute
contestation de l'autorité politique, laquelle était censée venir de Dieu.
La Réforme religieuse de Martin Luther au XVI ième ébranle la tradition
catholique et rejette le pouvoir qu'exerçait le pape non seulement sur les
Eglises, mais aussi sur les Etats.
La philosophie de Descartes fait du passé
table rase et place la conscience, l'homme conçu comme volonté autonome, au centre de l'univers.
Hobbes est en un sens l'héritier politique de cette double fracture religieuse et métaphysique.
La Révolution
anglaise, qui l'obligera à se réfugier à la cour de Louis XIV, l'assure que les fondements traditionnels de la politique
sont vermoulus, et qu'il faut accomplir en politique ce que Descartes a accompli en métaphysique : une contestation
radicale de la tradition et de l'histoire, et une nouvelle fondation, rationnelle, cette fois, de l'Etat : «De toute manière,
un argument tiré de la pratique des hommes est sans valeur […] En effet, même si en tous les endroits du monde les
hommes établissaient sur le sable les fondements de leurs maisons, on ne pourrait inférer de là qu'il doit en être ainsi.
L'art d ‘établir et de maintenir les républiques repose, comme l'arithmétique et la géométrie, sur des règles déterminées,
et non comme le jeu de paume, sur la seule pratique.
»
L'expérience cruciale de la guerre civile, la montée de l'individualisme, la rupture des anciennes solidarités
sociales, invitent Hobbes à penser qu'en dehors d'un pouvoir commun fort, les hommes vivent en rivalité, défiants les
uns vis-à-vis des autres, dans un état de suspicion, sinon de guerre.
Cherchant les fondements d'une autorité légitime, et les causes de la vie sociale, Hobbesreconstitue ce que
l'on nomme l'état de nature.
L'état de nature est un état fictif, correspondant à ce que vivraient les hommes si chacun
jouissait de sa liberté naturelle.
Hobbes en effet accepte l'idée que les hommes sont naturellement libres, c'est-à-dire
pourvus d'une volonté autonome dont ils ont le droit d'user.
La question est alors de savoir pourquoi, étant donné qu'ils
sont libres, les hommes acceptent un pouvoir commun.
Si j'ai le droit naturel de décider pour moi-même de mes
actions, pourquoi est-ce que j'accepte de me soumettre à la loi ? Pour quel motif est-ce que je donne aux lois une
partie au moins de ce droit naturel que j'ai de décider de mes actes ?
Rechercher ces motifs demande de reconstruire par la pensée l'état de nature, pour comprendre ce que seraient
les hommes sans un pouvoir commun, et examiner pourquoi et comment ils en sortent.
Hobbes considère que les hommes sont égaux.
C'est-à-dire que les différences de force ou de ruse ne sont
pas si grandes que l'un d'entre nous puisse s'approprier une chose et en exclure les autres :
Hobbes emploie pour le montrer un argument très étrange ; tout homme a toujours assez de force pour en tuer un
autre.
Les hommes sont donc égaux en aptitude et en droit : chacun a un droit égal sur toute chose : « De cette
égalité des aptitudes découle une égalité dans l'espoir d'atteindre nos fins.
C'est pourquoi, si deux hommes désirent la
même chose alors qu'il ne leur est pas possible d'en jouir tous les deux, ils deviennent ennemis ; et dans leur poursuite
de cette fin (qui est, principalement, leur propre conservation, mais parfois seulement leur plaisir), chacun s'efforce de
détruire et dominer l'autre.
»
Le simple désir de se maintenir en vie, mais aussi parfois l'agrément, nous rend naturellement ennemis, rivaux, défiants.
Je ne suis jamais assuré, dans l'état de nature, qu'un autre ne cherchera pas à s'emparer des biens nécessaires à ma
vie, du terrain que j'ai cultivé, etc.
Les hommes sont donc méfiants et cette rivalité naît la recherche de la domination,
l'offensive : la meilleure défense, c'est l'attaque.
Il faut se mettre à l'abri en dominant les autres.
La recherche du
profit, de la sécurité, voire de la réputation nous font prendre les armes.
Or, en l'absence d'un pouvoir commun, l'égalité des hommes fait que ce combat ne peut connaître ni vainqueur, ni
vaincu définitif, qu'à chaque moment chacun craint pour sa vie, que l'état de nature est un état misérable d'insécurité
et de peur de la mort violente.
Cet état catastrophique, où nulle activité agricole, industrielle ou sociale n'est
possible, où chacun craint
constamment pour sa vie, correspond à l'expérience de la guerre civile.
A ceux qui refusent d'admettre que « L'homme
est un loup pour l'homme », Hobbes répond et par l'exemple de la guerre civile, et par celui des rapports entre Etats ;
et surtout par celui de notre propre attitude, peu confiante, quand nous quittons notre domicile ou partons en voyage.
Il s'ensuit que le premier souci des hommes, vivant en société, est d'éviter la violence.
Le ressort de l'Etat, le
fondement du pouvoir, est l'angoisse sécuritaire.
Or, comme l'état de guerre provient de deux causes, l'égalité des hommes et la divergence de leurs appétits, la
solution réside dans la création d'un pouvoir fort, capable d'inspirer l'effroi, et qui unifie les volontés.
Une république
bien fondée repose implicitement sur un contrat de soumission.
Chaque citoyen promet aux autres d'obéir à la même
instance (monarque ou assemblée) qui leur ordonne que faire, c'est-à-dire qui représente leur volonté.
L'angoisse
sécuritaire, la hantise de se maintenir en vie ne trouvent de remèdes que dans l'érection d'un pouvoir fort, d'une
autorité absolue qui s'exerce sur les hommes qu'elle est censée représenter.
Nous sommes en présence d'un modèle
organiciste de l'Etat (où chaque partie est solidaire des autres), où le pouvoir est supposé incarner le corps du peuple,
former une personne.
Les hommes sot censés naturellement être autant de volontés autonomes, motivées par la recherche égoïste du profit
personnel.
Accepter cette anthropologie, faire sienne l'angoisse sécuritaire conduit nécessairement à adopter la
solution de Hobbes, qui a le mérite de la rigueur : un pacte de soumission.
Chacun accepte qu'une instance unique,
qui n'est pas liée au peuple, qui n'est engagée à rien, soit censée le représenter.
Il est impossible de se passer de l'État pour établir l'harmonie sociale
L'État est la seule instance permettant aux hommes de vivre harmonieusement.
Concrètement, il faut bien reconnaître
que la politique est toujours affaire de puissance.
Dès que le pouvoir s'affaiblit, le naturel égoïste de l'homme reprend le
dessus.
Ce qui amènera Hobbes à penser de manière absolutiste l'essence de l'Etat.
« Absolu » qualifie un caractère de
la souveraineté.
Ce mot du vocabulaire juridique de la politique signifie « sans liens », sans partage mais non « sans
bornes ».
Aussi, l'Etat-Léviathan ou la force politique détiendrait un pouvoir absolu et illimité en échange de l'harmonie
de la paix civile apportée aux individus.
Il est impossible de se passer de l'État
La République de Platon, Le Prince de Machiavel, Le Contrat social de Rousseau sont autant d'ouvrages montrant que
l'État est la seule instance permettant aux hommes de vivre harmonieusement.
Concrètement, il faut bien reconnaître
que la politique est toujours affaire de puissance.
Dès que le pouvoir s'affaiblit, le naturel égoïste de l'homme reprend le
dessus.
Ainsi, pour Machiavel, la politique est une manière réaliste d'envisager la possibilité de conserver l'État ; elle ne se
réduit pas aux stratagèmes cyniques auxquels on l'associe parfois.
Il est nécessaire de faire passer l'intérêt général
avant les intérêts particuliers.
La politique n'a donc guère de rapports avec la morale privée.
Pour fonder un État, il est
ainsi nécessaire de penser que les hommes sont méchants, et qu'ils n'agiront honnêtement que s'ils y sont contraints.
Il est impossible de référer les règles de la pensée politique à une morale naturelle ou à un ordre religieux transcendant.
La question essentielle de la philosophie politique n'est donc plus de savoir quel est, du point de vue de la morale, le
meilleur régime politique possible.
La république parfaite est celle qui permettra d'assurer la stabilité de l'État,
nécessaire à l'exercice de la liberté.
On peut donc affirmer que le principe de toute politique n'est pas la morale mais la
liberté.
Là où il y a contrainte, il ne peut y avoir harmonie.
Historiquement, l'État n'a jamais rien défendu d'autre que
les intérêts d'une classe.
Un État puissant est une perpétuelle menace pour la liberté.
L'harmonie sociale relève de la morale
Il y a une grande différence entre se contraindre soi-même afin d'agir de façon morale, et se soumettre à des lois
extérieures que l'État impose parce qu'il a le monopole de la force et de la violence légale.
L'harmonie entre les êtres
humains ne peut pas résulter du pouvoir de coercition dont dispose l'État, mais du pouvoir de persuasion dont dispose
la raison de chacun.
Sans antagonisme de classes, il n'y aurait pas d'État
L'invention de l'État est relativement récente.
Les sociétés archaïques ignorent cette institution qui, officiellement, est
censée régler de façon harmonieuse les rapports entre les hommes, et qui, de fait, défend les intérêts d'une classe
sociale aux dépends de tous les autres membres de la société.
Plus l'État est puissant, plus il est enclin à opprimer les
classes dominées.
Marx montrera que l'Etat défend la classe sociale dominante.
« Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait,
élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le
pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir public organisé
aux fins d'asservissement social d'un appareil de domination d'une classe.
Après
chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère
purement répressif du pouvoir d'État apparaît de façon de plus en plus ouverte»
[La Guerre civile en France, p.
60-61].
La conception marxiste de l'État est ici
résumée dans son principe essentiel : l'État capitaliste est l'appareil de
domination de la classe ouvrière par la bourgeoisie, y compris par la violence
comme ce fut le cas, par exemple, durant les journées de juin 1848.
Durant
celles-ci, la république bourgeoise avait montré le despotisme absolu d'une
classe sur les autres classes.
Ainsi, l'État n'est pas extérieur ou au-dessus de la société.
« Il est bien plutôt
un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est
l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec ellemême, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à
conjurer.
Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques
opposés, ne se consument pas — elles et la société — en une lutte stérile, le
besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société,
doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'"ordre" ; et ce pouvoir,
né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus
étranger, c'est l'État» [L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État,
p.
156].
Si l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes des classes, pour les mêmes raisons,
l'État ou les différents États qui se sont succédé dans l'histoire ont toujours été ceux de la domination d'une classe sur
les autres, dans le but de maintenir — souvent par la violence [Anti-Dühring, p.
208 sq.] — l'ordre social.
D'où l'idée
d'une disparition de l'État dans une société sans classe, le communisme, avec quelques difficultés sur les moyens d'y
parvenir.
RAPPEL: Le communisme chez Marx
Des quelques rares pages laissées par Marx, il apparaît que le communisme désigne le régime social et économique de
la fin de l'Histoire lorsque la propriété privée des moyens de production et donc la lutte des classes qui en est le
corollaire auront disparu.
Sur le plan social, le communisme se définit comme un socialisme radical.
Alors que la devise
du socialisme est "A chacun selon son travail", celle du communisme est "A chacun selon ses besoins".
Sans liberté, nulle harmonie possible
"Tant que l'État existe, écrit Lénine, pas de liberté; quand régnera la liberté, il n'y aura plus d'État" (L'Etat et la
Révolution).
Actuellement, c'est l'État le plus puissant au monde, à savoir les USA, qui a «démocratiquement» interdit
sur son territoire l'existence d'un parti communiste et qui est confronté à des problèmes de violences sociales qu'il est
incapable de résoudre.
Si l'État est fort, écrit Valéry dans Monsieur Teste, il nous écrase.
S'il est faible, nous périssons.» Les hommes ne sont
pas encore suffisamment sages, n'ont pas encore assez compris les leçons de la philosophie, pour que l'on puisse
décréter, du jour au lendemain, l'abolition de l'Etat, lequel joue un rôle essentiel dans la mesure où sa puissance est
seule capable de mettre un terme à une violence qui à tout moment peut mettre en péril une société donnée.
Cela
étant dit, une véritable harmonie, durable, qui ne repose pas sur la contrainte, qui ne contrarie pas l'usage de la
liberté, est une harmonie que seule la morale peut créer.
La politique, dans son principe, est coercition nécessaire.
La
morale, en pratique, offre à tout homme la liberté d'être ce qu'il est sans jamais nier ce qu'autrui est lui-même.
Voilà la
seule condition présidant concrètement à une possible harmonie sociale, économique, planétaire.
copyright - devoir-de-philosophie.com.
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- Le pouvoir de l'état est-il la condition de l'harmonie sociale ?
- L'Etat doit-il affirmer des limites à sa puissance ?
- l'Etat doit il reconnaître des limites à sa puissance ?
- L'inégalité sociale est-elle une condition de la justice ?
- Chapitre 11. Axe 1. Comment définir et mesurer la mobilité sociale ?