La présence d'autrui nous évite-t-elle la solitude ?
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«
Introduction
Peut-on dire d'un individu qu'il est seul au milieu de la foule? Cette image est à la fois contradictoire et familière : le sentiment de
solitude est parfois d'autant plus aigu que sont nombreux ceux qui nous côtoient sans s'intéresser à nous.
Si la proximité d'autrui ne
suffit pas à nous éviter la solitude, comment définir la présence qui nous en délivrerait?
Nous verrons tout d'abord dans quelle mesure la présence d'autrui est une compagnie qui précède l'expérience de la solitude, puis nous
nous demanderons en quoi cette présence peut être limitée ou hostile; nous montrerons enfin comment l'alternance de la présence
d'autrui et de l'expérience de la solitude jalonne la formation de la personnalité.
I.
La compagnie d'autrui.
Pour le sens commun, il semble évident que la présence d'autrui est la négation même de la solitude : nous sommes seuls lorsque
personne n'est là.
Précisons cette intuition.
• La présence d'autrui est première.
Si la solitude nous semble douloureuse, c'est parce qu'elle interrompt des relations avec d'autres personnes : la solitude n'est pas un état
premier que la présence d'autrui viendrait combler, l'état le plus « naturel » pour nous c'est le contact permanent avec autrui.
• Autrui est présent par le dialogue.
Ce contact se concrétise par des signes : la présence d'autrui se manifeste à travers l'échange, le dialogue.
Elle m'évite la solitude car il
m'est toujours possible de lui parler, même si je ne le connais pas.
Dans le train, mon voisin peut devenir un « compagnon de voyage » si
j'engage un dialogue avec lui.
• Mais cette présence se révèle fragile.
Le seul fait de la présence physique d'autrui non loin de moi semble donc m'éviter la solitude.
Et pourtant cette dernière peut apparaître
brusquement si la communication échoue ou si elle se révèle trop superficielle.
Il ne suffit pas de s'adresser à autrui pour ne pas se sentir
seul : la présence réelle est affaire de réciprocité.
II.
La solitude malgré autrui.
On trouve dans de nombreuses langues une nuance entre « seul » et solitaire » (alone/lonely, allein/einsam, etc.) : c'est bien qu'il y a
une expérience de la solitude autre que la simple absence d'autres hommes dans l'espace qui m'entoure.
La présence physique d'autrui
ne garantit en rien une relation authentique.
• Les limites du dialogue.
Le dialogue avec autrui peut déboucher sur l'expérience de la solitude s'il est interrompu par un désaccord qui semble briser la relation,
nous rendre étrangers l'un à l'autre.
Parfois aussi, sans qu'il y ait conflit, la timidité, la réserve, des arrière-pensées ou le manque de
discernement appauvrissent le dialogue qui installe l'indifférence et non une relation véritable.
• La rupture entre les consciences.
La présence d'autrui peut également être une présence hostile et agressive : Sartre, dans Huis clos,
suggère par la célèbre formule « L'enfer, c'est les autres » que le regard d'autrui, lorsqu'il me méprise
ou me condamne sans pitié, peut m'enfermer comme en une prison dans une image atrophiée et
déshumanisée de moi-même.
Si Sartre nous fait sentir toute cette « part du diable » qu'il peut y avoir dans nos rapports avec autrui –
qui, comme sa pièce de théâtre « Huis clos » tend à montrer, sont souvent « tordus » - notons
cependant que la vision sartrienne n'est pas entièrement négative.
Sartre, à la suite de Hegel,
reconnaît que j'ai besoin de la médiation d'autrui pour obtenir quelque vérité sur moi.
Des sentiments
comme la honte ou la pudeur ne me découvrent-ils pas des aspects essentiels de mon être que
j'ignorais sans autrui ? Avoir honte, n'est-ce pas reconnaître que je suis tel qu'autrui me voit ? Que
cette image qu'autrui me tend de moi-même n'est pas une vaine image ? Autrui est, ainsi, un
médiateur indispensable entre moi & moi-même.
Il me fait passer d'une « conscience nonpositionnelle de soi » à « une conscience réflexive ».
Autrement dit il me fait accéder à une véritable
conscience de moi-même.
D'où la formule : « Je suis un être Pour-soi, qui n'est Pour-soi que par un
autre.
»
Enfin si la relation à autrui est conflictuelle, c'est parce que le projet originel de tout être humain, c'est
d'être cause de soi, de coïncider totalement avec lui-même, tel Dieu.
Or, ce projet d'être Dieu est,
comme le dit Sartre, une passion inutile.
La peinture du vécu concret de l'altérité dans « L'être & le
néant » ne peut, sans doute, se comprendre qu'en référence à ce projet de l'homme.
Si l'homme
pouvait renoncer à cela, peut-être pourrait-il alors accéder à une vie plus authentique en assumant sa
liberté et en reconnaissant la liberté d'autrui comme autre.
La rupture et l'isolement réciproque interviennent quand chacun considère l'autre comme seulement autre,
c'est-à-dire lorsqu'il n'y a plus de reconnaissance mutuelle.
• La solitude du moi.
Un tempérament plus optimiste pourrait affirmer que le plus souvent le dialogue avec autrui est plus constructif que destructeur; mais le
conseil et la sollicitude d'un ami font parfois ressortir de façon plus criante encore la solitude irréductible qui est la mienne en tant que
sujet conscient qui doit conduire son existence : en fin de compte c'est toujours moi et moi seul qui décide de faire ou de ne pas faire
telle ou telle chose.
Nul ne peut vivre ma situation, en tant que sujet je dois assumer un parcours unique..
»
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