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LA POSTERITE DU CARTÉSIANISME : ENTRE FIDÉLITÉ ET REFONDATION

Publié le 12/03/2022

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Du vivant de Descartes, on présente souvent Marin Mersenne comme la figure essentielle de ce premier cercle des cartésiens. Religieux de l’ordre des Minimes, on le connaît en effet surtout comme l’un des correspondants les plus importants du philosophe. Mais lorsque Descartes commence à correspondre avec lui, l’autorité c’est Mersenne et non lui. Et Descartes s’adresse justement à lui parce que Mersenne se trouve au centre d’un réseau intellectuel européen qui compte tous les grands penseurs et scientifiques de la première moitié du XVIIe siècle (qu’il s’agisse de Hobbes, Huygens, Gassendi ou Pascal), réseau dans lequel il cherche à s’insérer. Mersenne n’est donc pas un disciple de Descartes : il est plus âgé que ce dernier de huit ans et il développe une pensée personnelle, même s’il sera influencé par le cartésianisme. Descartes n’est donc d’abord que l’un des correspondants de Mersenne, avant que les rôles ne s’inversent et que Mersenne ne devienne que l’un des correspondants de Descartes, si l’on peut dire. Il faut donc redonner à Mersenne une place propre dans l’histoire de la philosophie du XVIIe siècle, en le faisant sortir de l’ombre de Descartes. Sa réflexion a ceci d’intéressant qu’elle marque parfaitement le passage des pensées du xvie siècle, imprégnées d’occultisme et de magie, à la philosophie de type mécaniste et rationaliste propre au XVIIe siècle. Mersenne est celui qui a permis cette évolution décisive en France. Se battant contre la philosophie des qualités et des formes substantielles, il prône une philosophie rationnelle qui s’inspire des méthodes et des découvertes de la science moderne autour de Kepler et de Galilée. Son style et sa méthode empruntent cependant beaucoup au siècle précédent : il est foisonnant et utilise des procédés scolastiques. Il ne relève absolument pas de la simplicité méthodologique cartésienne. La finalité de son entreprise philosophique et scientifique vise tout à la fois à concilier la foi et la raison, en élaborant des explications rationnelles pour comprendre la nature mais également la religion chrétienne. Il entend découvrir des régularités naturelles qui permettent de dégager des lois mécanistes universellement vraies, loin de la nature magique et mystérieuse d’un Paracelse ou d’un Giordano Bruno. Cette volonté de comprendre est étroitement mêlée à celle de défendre la religion. Et l’originalité du projet de Mersenne consiste dans son obsession d’assurer la conformité entre la religion chrétienne et la science nouvelle. Il en vient ainsi à raisonner sur les vérités de la foi, confondant donc totalement le philosophique et le théologique, loin de la séparation traditionnelle entre les deux domaines. On peut donner des exemples presque cocasses de ce projet si particulier. Mersenne se lance ainsi dans le calcul du tonnage de l’arche de Noé, à partir des indications (d’ailleurs relativement précises I) de l’Ancien Testament. Il s’interroge également sur la question de savoir si les murs de Jéricho sont tombés du fait d’un geste miraculeux de Dieu ou par un jeu physique de résonance. On voit l’originalité de sa démarche, et Robert Lenoble, dans son travail sur Mersenne, parle, pour caractériser sa pensée, d’une « apologétique scientifique » qui s’illustre notamment dans cette « mathématique théologique » dont on vient de donner deux exemples.

Mersenne est donc un grand scientifique, qui a multiplié les expériences (de la conception d’un orgue à celle d’un sous-marin) et les recherches (de l’hydraulique à l’optique) tout au long de sa vie. Il s’intéresse à tous les domaines, qu’il s’agisse de la balistique ou de l’acoustique. Il est également un apologiste de la foi catholique, qui veut justifier la création divine en montrant la rationalité du monde d’ici-bas. Dès lors, sa thèse fondamentale consiste à faire de la science une manière de rendre hommage à la création divine, en montrant la cohérence de ses ressorts et des lois qui l' organisent. Ainsi, réduire Mersenne au rôle d’ami de Descartes relève d’une analyse trop partielle. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait un cartésien, soutenant notamment souvent certaines thèses atomistes de Gassendi contre Descartes en physique. Relèverait également d’une perspective tronquée l’idée de le présenter seulement comme un intellectuel peu inventif, dont la place serait celle d’un relais entre les différents savants et philosophes de son temps. On l’a parfois appelé le « secrétaire de l’Europe savante » ; il est bien plus que cela. Outre sa correspondance philosophique et scientifique considérable, il a écrit des ouvrages importants, au premier rang desquels La Vérité des sciences (1625) et les Questions inouïes (1634). Mersenne a rendu Descartes célèbre en diffusant sa philosophie nouvelle dans les cercles intellectuels de France et d’Europe. Mais il n’est donc pas un cartésien au sens strict. Il entretenait d’ailleurs d’amicales relations avec Hobbes et Gassendi, adversaires déclarés de Descartes. Il mérite bien une place à part parmi les cartésiens : il a directement contribué au succès de cette philosophie, il était un fervent ami de Descartes (dont il a relu la plupart des œuvres avant leur impression), mais il est un philosophe en tant que tel et non un « petit cartésien ». Mersenne est moins une figure du cartésianisme, comme on l’annonçait au départ, qu’un relais de la pensée de Descartes. Non un adepte de la secte donc, mais seulement un sympathisant original.

La deuxième figure importante de ce premier cercle des amis de Descartes est Claude Clerselier (1614-1684). Avocat au parlement, issu d’une famille noble, il consacre toutes ses forces au triomphe de la philosophie nouvelle. Il participe à la traduction de certaines des œuvres de Descartes, notamment celle des Objections et Réponses aux Méditations métaphysiques. Il relit et corrige les traductions effectuées par d’autres, comme celle de l’abbé Picot concernant les Principes de la philosophie. Il se charge de la publication des lettres de Descartes, préfaçant les volumes et traduisant certaines d’entre elles. Il préface également l’édition du Traité de l’homme, illustrée et commentée par Louis de La Forge, de 1664. Traducteur, secrétaire, éditeur, préfacier, Clerselier n’est pas à proprement parler un philosophe. Il ne laisse pas d’œuvre personnelle. Mais ses contributions écrites au cartésianisme demeurent toutefois nombreuses. Cette dévotion à Descartes est ordonnée à une fin essentielle et constante : la volonté de préserver Descartes de tout soupçon d’impiété et d’hérésie. Catholique fervent, Clerselier le défend contre les attaques des théologiens et veut démontrer que la philosophie nouvelle présente de nombreux avantages pour la foi. Dire que Clerselier fait partie du premier cercle cartésien s’illustre d’ailleurs également d’un point de vue privé : sa sœur épousa Pierre-Hector Chanut, ambassadeur de France en Suède et représentant de Descartes auprès de la reine Christine, et sa fille épousera Jacques Rohault, futur chef de file des cartésiens. La troisième figure remarquable de ce premier cartésianisme est celle de Louis de La Forge (1632-1666). Médecin à Saumur, il s’intéresse très vite à la philosophie nouvelle et entretient des relations amicales avec Descartes lui-même. Il intègre le groupe des cartésiens les plus fidèles, comme le montre son adoubement par Clerselier, qui lui confie l’élaboration des figures de son édition du Traité de l’homme (1664), à laquelle La Forge adjoint des notes et des commentaires, parfois assez personnels. Il est l’un des premiers cartésiens français, sinon le premier, à tenter de combler le vide laissé par Descartes dans sa conception

« IA POSTÉRITÉ DU CARTÉSIANISME : ENTRE FIDÉLITÉ ET REFONDATION Le cartésianisme marque donc une révolution philosophique.

Il fait vaciller définitivement les philosophies d'inspiration scolas­tique alors dominantes.

Et il suscite immédiatement des adeptes chez ceux que l'on appellera très vite la « secte des cartésiens ».

Ces tenants de la philosophie nouvelle viennent d'horizons très divers, mais participent tous à la diffusion du cartésianisme en France et en Europe.

On peut ainsi presque parler d'une « école cartésienne », comme on distinguait différentes écoles philoso­ phiques dans l'Antiquité grecque, bien que Descartes n'ait jamais été professeur.

Signalons tout d'abord que nombre de dis­ciples et de sectateurs de Descartes ne sont pas français, ce qui s'explique en partie par la vie d'expatrié qu'il a menée.

On trouve ainsi fort logiquement des Hollandais comme Daniel Lipstorp, Jean de Raey, Adriaan Heereboord et Arnold Geulincx ; des Anglais comme Antoine Legrand et des Allemands comme Jean Clauberg.

On les regroupe souvent sous la dénomination de « petits cartésiens ». Cette expression e�t en elle-même inté­ressante.

Elle montre qu'aucun d'entre eux n'a atteint l'aura de leur maître commun, du fait de leur fidélité aux principes carté­siens.

Cette fidélité les empêche d'élaborer une philosophie vrai­ment personnelle et originale.

On ne peut que constater la difficulté qu'il y a à être cartésien, quand on n'est pas Descartes soi-même.

En effet, les premiers principes étant posés par l' évi;.

dence dans sa philosophie, il est difficile de les modifier, à moins de remettre justement en cause leur évidence et donc de jeter le doute sur ce principe lui-même, censé permettre de distinguer sûrement le vrai du faux.

Si ce que Descartes a posé n'est pas vraiment évident, c'est bien que son principe ne fonctionne pas.

Les disciples de Descartes cherchent donc tous une voie entre la fidélité par rapport à leur maître, qui risque d'aboutir à l'immo­ bilisme et à la redite, et l'innovation philosophique, qui risque, au contraire, de les faire sortir de la pensée cartésienne dont ils se réclament.

Cette voie est étroite, voire inexistante comme on va le voir.

Pour ce faire, il faut distinguer entre les· contempo­ rains de Descartes et ses continuateurs.. »

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