La politique est-elle une technique ?
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Analyse de la question
• La politique, ici distinguée du politique (au sens où l'on réfléchit sur l'essence, sur la nature distinctive du domaine
politique), renvoie à l'idée d'une pratique, d'une activité déterminée.
Il s'agit de savoir comment on peut caractériser
une telle pratique en réfléchissant sur sa raison d'être, sur ses mécanismes propres.
Ceci correspond d'ailleurs à une
représentation très fréquente de la politique, assimilée à une technique parmi d'autres (on remarquera ici l'article
indéfini).
Une telle identification (ou définition) est-elle légitime d'un point de vue théorique ? Que suggère-t-elle ?
• La notion de technique, primitivement (grec : technè), renvoie à l'idée d'un savoir-faire approprié (c'est-à-dire
propre à une activité particulière).
En règle générale, ce savoir-faire se manifeste dans le domaine de la production
(grec : poïesis), c'est-à-dire que ses fins propres lui sont extérieures (la technique du maçon a pour fin propre
l'édification d'une maison, dont l'utilité pratique est évidente).
Il semble donc avoir le statut d'un moyen.
Dans le
domaine de la pratique humaine (grec : praxis), l'action s'accomplit sans que les fins qu'elle vise lui soient
véritablement extérieures (il s'agit tout simplement de déployer la vie comme pouvoir d'action et
d'accomplissement).
Ces quelques distinctions permettent d'esquisser la définition du problème posé et de son enjeu : voir dans la
politique une simple technique, est-ce lui donner le statut d'un ensemble de moyens au service d'une fin à définir?
Est-ce suggérer qu'il y a une sorte d'extériorité foncière entre l'activité politique (la « politique politicienne») régie
par des règles d'efficacité, et les fins qui lui sont assignées (ou qui devraient l'être en fonction d'une conception
normative) ? Peut-on même définir la politique comme une simple technique, car celle-ci n'a de raison d'être,
semble-t-il, qu'en vue d'une fin déterminée (qu'il s'agisse d'un intérêt particulier ou du bien-être de tous) ?
Formulation de l'enjeu de la question
C'est toute une représentation du champ politique qui est en jeu.
• Définir purement et simplement la politique comme une technique, c'est en faire l'objet d'une compétence
spécialisée qui pourrait s'acquérir indépendamment des fins propres de l'action politique.
La problématique du
«politicien professionnel», voire de la «classe politique», implique un certain désaisissement du citoyen ordinaire,
réputé incompétent.
• C'est aussi donner de la politique une image telle qu'elle peut dissuader le simple citoyen de s'y intéresser, de s'en
mêler.
Savoir-faire plus ou moins mystérieux, relevant de « spécialistes » qui ont « l'art de gouverner », comme un
artisan possède celui de réparer des chaussures.
Une réflexion critique sur une telle conception est donc du plus
haut intérêt, tant sur le plan éthique (reconnaissance du citoyen ordinaire comme sujet politique agissant) que sur
le plan politique lui-même (conception de l'exercice du pouvoir).
Cet enjeu a déjà été signalé par la critique platonicienne des sophistes.
Socrate, dans le Gorgias, caractérise la
rhétorique comme «ouvrière de persuasion », qui n'a même pas la dignité d'une technique et que les hommes
politiques peu scrupuleux utilisent pour leurs ambitions propres.
D'ailleurs, les orateurs ne se flattent-ils pas de
pouvoir défendre n'importe quelle cause ?
Prolongements
• Sur le statut de la technique dans la pratique humaine, voir les distinctions aristotéliciennes :
- Éthique à Nicomaque, livre VI, 5, 1140b, 6 : «Tandis que la production a une fin autre qu'elle-même, il n'en saurait
être ainsi pour l'action : la bonne pratique étant elle-même sa propre fin.»
- Éthique à Nicomaque, livre I, 1, 1094a : affirmation de la politique comme science suprême en tant que
connaissance du souverain Bien, dont la visée détermine une activité toute particulière, irréductible à une simple
technique empirique.
• Sur le rapport technique/savoir/Bien suprême, voir aussi Platon, Le Politique (292b-293a) : la politique y est définie
dans son idéalité (non dans sa forme corrompue) à la fois comme savoir (épistémè) et comme la technique (technè)
qui lui est associée.
La contemplation du Bien est appliquée à la vie sociale : technique et visée d'une finalité sont
ici indissociables.
• Sur le statut de la politique comme technique régie par les seules considérations d'efficacité, on lira, bien sûr, Le
Prince de Machiavel, où se trouvent explicitées les maximes de l'efficacité politique (ne pas tenir sa parole, faire
semblant d'avoir des qualités que l'on n'a pas, faire alterner la ruse et la force, mentir, paraître avoir le souci du bien
public, etc.).
Cf la formule consacrée : «La fin justifie les moyens..
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