La politesse est-elle une hypocrisie ?
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La politesse est une composante essentielle de la vie en société, qu'elle contribue à régler.
Elle définit pour chacun une façon de se
comporter qui lui permette de vivre en communauté.
Plus qu'une simple option, la politesse est une exigence sociale (on apprend à un
enfant la politesse, parce qu'un adulte impoli est socialement mal considéré).
Pourtant, si on la considère dans son contenu, la politesse
semble n'être qu'un art de faire illusion, de sauver les apparences, bref une hypocrisie (lorsque nous disons « bonjour » à quelqu'un, lui
souhaitons-nous sincèrement de passer une bonne journée ?).
Souvent nous ne pensons pas à ce que nous disons, nous sommes polis
par habitude ou par intérêt, indistinctement envers tout le monde.
Si la politesse n'est qu'hypocrisie, l'impoli devient alors un modèle
d'honnêteté, qu'il est légitime de préférer à la politesse hypocrite.
Peut-on cependant envisager une société où la politesse ferait défaut, autrement dit n'y a-t-il pas une nécessité de la politesse
en dépit de l'hypocrisie dont on l'accuse ?
Enfin, ne peut-on penser une politesse qui permettrait de vivre en société sans être hypocrite, une politesse sincère dans son
rapport à l'autre ?
I – L'hypocrisie de la politesse
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La politesse est une convention sociale, c'est-à-dire une norme admise et reconnue par des individus qui souhaitent vivre
ensemble de manière pacifique.
Nous ne sommes pas polis dès la naissance, on nous apprend à l'être, par l'éducation, de sorte
que la politesse est de l'ordre de l'acquis.
Par là elle s'apparente à un artifice.
De plus, les règles de politesse sont le plus souvent
arbitraires en ceci qu'elles ne sont pas les mêmes d'une culture à l'autre, elles sont relatives à un lieu et une époque.
Elles sont
donc d'autant plus artificielles qu'elles ne sont pas universelles.
La politesse n'est pas synonyme de morale.
En effet, l'homme le plus immoral peut être
aussi le plus poli.
La politesse n'est alors qu'une façon de se donner une apparence de
moralité.
La morale, selon Kant, se caractérise par la pureté de l'intention, c'est-à-dire qu'elle
n'est pas dictée par l'intérêt (le désir de reconnaissance par exemple).
Or la politesse peut être
intéressée : outre l'habitude, je peux aussi être poli pour ne pas me faire d'ennemi, mieux,
pour m'attirer des faveurs.
Cela ne veut pas dire que je suis bienveillant à l'égard de ceux
envers qui je suis poli, mais seulement que je joue le jeu de la bienveillance, parce que j'y ai
intérêt.
La politesse se distingue donc de la morale, telle que Kant la définit, elle est une ruse
au service de l'intérêt individuel.
II – Nécessité de la politesse
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Une société ne saurait se passer de la politesse car, comme on l'a dit, elle rend possible un
vivre-ensemble.
Quiconque souhaite vivre en société doit donc satisfaire à l'exigence de
politesse, comme condition d'un rapport non violent à l'autre.
Celui qui rejette la politesse se
condamne à vivre comme Diogène le Cynique : en rejetant une règle du corps social, il s'en
exclut.
Au vu de l'ordre social auquel elle contribue, on ne peut donc condamner la politesse
pour le seul motif qu'elle est hypocrite.
Autrement dit, mieux vaut une règle défectueuse (en
l'occurrence hypocrite), que pas de règle du tout.
La vertu régulatrice de la politesse consiste
pour Alain en ce qu'elle contient les mouvements affectifs.
En public, avec des inconnus –
puisque c'est là surtout que la politesse est de mise – la politesse est une retenue qui
m'empêche de m'épancher, de me plaindre, d'exagérer mes tracas personnels.
Par là elle m'en détourne et m'oblige (non plus
seulement en public mais aussi dans le privé, c'est-à-dire tout le temps) à une attitude raisonnable, modérée, envers ce qui
m'affecte.
« Une femme […] qui interrompt sa colère pour recevoir une visite imprévue, cela ne me fait point dire : « Quelle hypocrisie ! » mais :
« Quel remède parfait contre la colère ! » » (Propos sur le bonheur)
La politesse est le commencement de la moralité.
Comme on l'a dit, la politesse n'est pas innée, elle s'acquiert par l'éducation.
Pour Aristote, apprendre consiste à faire, à imiter, avant même de connaître ce que l'on apprend.
C'est en pratiquant la justice que
l'on devient juste, c'est en pratiquant la modération que l'on devient modéré.
De même, c'est en pratiquant la politesse que l'on
devient poli, et il ne s'agit pas cette fois d'une simple conformité à la règle sociale mais d'une véritable disposition qui s'installe en
nous, et qui s'appelle la vertu, la moralité : « Par le fait que les hommes jouent ces rôles, les vertus dont, pendant longtemps, ils ne
prennent que l'apparence concertée, s'éveillent peu à peu et passent dans leur manière » (Kant).
L'apprentissage de la politesse apparaît
ainsi comme une condition nécessaire à l'acquisition de la morale.
III – La sincérité de la politesse
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La politesse n'est pas seulement coercitive, elle n'est pas qu'une norme, une règle imposée de l'extérieur par la société ou
l'éducation.
En effet la politesse peut partir du sujet : elle est alors un choix, un acte de liberté, et non plus seulement une norme
subie.
Elle reste contraignante, puisqu'elle est toujours une règle, mais une règle à laquelle je choisis d'adhérer et qui, par
conséquent, ne m'ampute pas de ma liberté.
Ce choix se fait sur la base d'une réflexion, c'est-à-dire que la politesse est pensée
et non plus seulement reçue, je la fais mienne jusqu'à en oublier qu'elle est un produit de l'éducation.
Dès lors je ne suis plus poli
parce que j'ai été éduqué ainsi, mais parce que dans la politesse réside ce que Kant appelle le « sens de l'humanité », comme une
bienveillance spontanée à l'égard d'autrui.
Il s'agit ici d'une politesse sincère, mue par la volonté d'accueillir l'autre dans ma
subjectivité, au-delà de la place artificielle que lui réserve la norme sociale.
On peut donc distinguer deux sortes de politesse : la politesse « étiquette », rigide, mécanique et hypocrite, mondaine dironsnous, et ce que Bergson appelle politesse « de cœur », qui consiste à ménager la sensibilité d'autrui et suppose « une connaissance
approfondie du cœur humain ».
Elle s'adresse à l'autre en ayant à cœur de ne pas le blesser, ce qui ne relève pas de la
complaisance mais d'une « grande bonté naturelle ».
Cette politesse est un élan sincère du cœur vers autrui.
Conclusion : la politesse n'est une hypocrisie que si on la considère dans sa dimension sociale uniquement, comme condition d'une
sociabilité tranquille.
Mais la prise de conscience de ce qu'elle est, à savoir une norme artificielle, doit nous conduire à rechercher une
autre forme de politesse, qui elle s'enracine dans le sujet.
L'on peut alors parler, par opposition à la politesse hypocrite et sans
contradiction, d'une politesse sincère..
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