la poésie maudite: Rimbaud
Publié le 26/05/2024
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«
INTRODUCTION GÉNÉRALE
L’unité du XIXè est difficile à saisir, a priori, parce que de nombreux courants ce sont
succédés, qui s’opposent tous les uns aux autres : romantisme, réalisme, naturalisme,
symbolisme… C’est ce parti pris systématique d’opposition qui fait l’unité du XIXè,
comme souvent dans l’histoire de la pensée et des arts, on se pose en s’opposant.
Le XIXè
s’oppose principalement au XVIIè et XVIIIè, ce rejet s’explique en grande partie par le
contexte historique postrévolutionnaire du XVIIIè.
La fin de l’Ancien Régime marque
une ère nouvelle sur le plan social, politique, juridique avec la déclaration des Droits de
l’Homme en tant qu’homme.
On comprend que ces avancées sur ces plans aient suscité
un aussi grand désir de renouvellement littéraire et artistique en général.
Que rejette le XIXè ?
Le rationalisme des Lumières et des classiques, au XIXè beaucoup d’écrivains vont
exalter la sensibilité, au contraire, qui est elle aussi un moyen de connaissance.
De fait,
que le XIXè soit un grand siècle de poésie qui explore le réel par la sensibilité.
Toutes les règles classiques de bienséance qui obligeaient à ne pas tout représenter en
art (violence, érotisme…) le XIXè veut désormais montrer toute la réalité, tout ce qu’on
osait pour montrer jusqu’là.
D’où le fait que le XIXè soit le siècle du roman réaliste, qui
cherche à reculer les limites de la représentation (Flaubert, Zola, Hugo…).
« La littérature est un point d’optique.
Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire,
dans la vie, dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir.
»
-
Hugo
Le réalisme c’est être moderne à l’époque parce que refus de sublimer la réalité dans tout
son sordide.
Au XIX, s’affrontent les tenants de l’art académique traditionnel et les
tenants de l’art nouveau, moderne en littérature et en peinture.
On comprend mieux
pourquoi c’est à ce siècle qu’on décide d’appeler péjorativement les auteurs du XVII, les
classiques.
Enfin, le XIX rejette le mythe du progrès auquel croyaient largement les Lumières.
En
effet, la jeunesse de l’époque éprouve un sentiment de décalage entre les idéaux
révolutionnaires et la réalité qui a suivi.
En effet, il faudra encore attendre un siècle
pour qu’une république démocratique se mette véritablement en place de façon pérenne.
En attendant, il y a eu les dérives de la Révolution : la Terreur.
Retour à l’ordre ancien
avec le despotisme napoléonien.
Ce désenchantement a donné lieu au « Mal du siècle »,
i.e.
un état de malaise, de tristesse, de dégoût de l’époque.
On comprend mieux le choix
de la poésie et plus particulièrement un « poète maudit ».
Pourquoi « poète maudit » ?
Appellation par Verlaine qui a écrit les Poètes Maudits, ouvrage sur plusieurs poètes du
XIXè dont lui.
Maudits parce ce sont des jeunes poètes habités par une même révolte
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contre l’ordre établi, qui recherchent des secrets pour « changer la vie » (citation 1).
Il
s’agit d’écrire pour changer la vie.
Maudits parce qu’ils ont le sentiment d’être inadaptés, exclus, incompris du monde, enfin
ils sont complètement indépendants du XIXè, hors de tout courant esthétique.
Expression commode pour classer les inclassables.
La révolte constitue une bonne entrée
dans ce siècle dont l’essentiel réside dans l’opposition.
Rimbaud a écrit ses poésies entre 16 et 18 ans et a complètement arrêté à 21 ans pour
partir en Afrique.
Le célèbre mot de Rimbaud :
« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans »
S’applique en premier lieu à lui-même.
Il est d’autant plus maudit qu’il n’a pas été
reconnu de son vivant.
Ses poèmes circulent en lettres privées, ce qui a permis que ses
poèmes soient publiés à titre posthume, il faudra attendre les années 1920 pour qu’il soit
reconnu.
Rimbaud n’a pas choisi les titres de ses ouvres, ordre des poèmes… Ce qu’on
retient aussi de lui, c’est son mythe, on ne sait pas pourquoi il a abandonné la poésie et
l’écriture à 21 ans, cela a donné lieu au mythe de Rimbaud, on a fait de Rimbaud
l’emblème du désir d’évasion, du grand départ.
Ce mystère se retrouve dans son œuvre et
plus particulièrement dans cette formule surprenante :
« Je suis maître du silence »
Paradoxale pour un poète, écrivain censé être maître des mots.
De quel silence s’agit-il et
comment Rimbaud peut-il exprimer le silence ? Faire entendre le silence avec des mots ?
I.
DIRE CE QUI NE SE DIT PAS
A.
LE DÉFI À LA TRADITION
Un des principaux intérêts de la poésie de Rimbaud se trouve dans le désir de révolte qui
l’habite, tout un pan de son œuvre est iconoclaste.
Cette dimension iconoclaste commence
par une étonnante réhabilitation de la trivialité, du prosaïsme en art, donc du choquant,
de l’inconvénient.
Pour preuve, l’exemple du poème Vénus anadyomène ;
VÉNUS ANADYOMÈNE
Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
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D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…
Les reins portent deux mots gravés : CLARA VENUS ;
Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.
Motif de la Vénus très célèbre.
Provocation dans la trivialité extrême de ce poème ;
ulcère à l’anus en lui-même, qui rime avec Vénus, sort d’une baignoire et évocation de
l’odeur qu’elle dégage parce que l’odorat est le sens le plus méprisé car le plus corporel,
primitif… Dire ce qui ne se dit pas permet de se moquer des images idéalisées du corps
féminin qui sont une version désirée du corps de la femme, introduire dans sa trivialité
extrême le corps d’une femme permet de relayer que les canons de beauté féminin sont
inhumains.
Que ça n’a pas de sens de s’y conformer, il démythifie et démystifie, au-delà
de la provocation, on peut voir de la beauté dans ce qui semble horrible car le beau ne
tient pas à des critères objectifs mais avant tout à la relation entre celui qui regarde et
qui est regardé.
Pourquoi Rimbaud ajoute le tatouage irréaliste de « Clara
Venus » ( : brillante vénus) ? peut-être pour montrer que dès qu’on écrit, on invente la
réalité, dès qu’on écrit on invente à partir de la réalité.
Ce n’est qu’un « effet de réel »
(Barthes) pour dénoncer par avance toutes les interprétations de l’œuvre.
Plus
largement, la trivialité permet à Rimbaud de s’affranchir des images et des symboles
usés, éculés.
CE QU’ON DIT AU POÈTE À PROPOS DE FLEURS
[...]
Des lys ! Des lys ! On n’en voit pas !
Et dans ton vers, tel que les manches
Des pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes ! […]
De vos forêts et de vos prés,
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O très paisibles photographes !
La flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes ! […]
Vieilles verdures, vieux galons !
O croquignoles végétales !
Fleurs fantasques des vieux salons ! […]
Tas d’œufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, lilas et roses !...
[…]
Il reproche aux poètes l’évocation d’une nature stéréotypée, toujours la même, toujours
frissonnent ces fleurs blanches et les traitements purement symbolique de l’amour donc
la fleur en tant que telle disparaît derrière le symbole, ces symboles sont désuets,
obsolètes, trop anciens.
Rimbaud prend alors le contrepied de ce traitement convenu et symbolique de la nature
en lui substituant des objets, prosaïques de la vie quotidienne qui empêchent tout
symbolisme.
CE QU’ON DIT AU POÈTE À PROPOS DE FLEURS
[…]
En somme, une fleur, romarin
Ou lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrément d’oiseau marin ? […]
Trouve des chardons cotonneux
Dont dix ânes aux yeux de braises
Travaillent à filer les nœuds !
Trouve des fleurs qui soient des chaises !
[…]
Voilà ! C’est le siècle de l’enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner – lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !
Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre ! […]
Rimbaud réclame qu’on fasse des poèmes sur un excrément d’oiseau, des poteaux
télégraphiques, mais qui vaut bien une fleur.
Vouloir faire des poèmes une « lyre aux
chants de fer » c’est réclamé un lyrisme moderne qui donne une valeur poétique à ce qui
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n’en possède pas encore.
On ne peut que penser aux réactions indignées que suscitera la
construction de la tour....
»
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