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La poésie est-elle inutile, dénuée d'intérêt et inadaptée à notre temps ?

Extrait du document

« Flaubert disait qu'il avait le sentiment de voir monter la bêtise autour de lui comme Noé avait vu monter l'eau à l'époque du Déluge.

Dans le Dictionnaire des idées reçues, il s'amuse à recueillir les sottises que l'on entendait constamment à son époque, les banalités qui constituaient le fond des conversations.

C e qu'il appelait des « idées reçues », c'est-à-dire des idées acceptées et présentées comme indubitables sans le moindre examen préalable. La citation à commenter n'est donc pas exactement faite, comme le veut le libellé du sujet, de « définitions » du poète et de la poésie.

Il s'agit seulement du point de vue des « bourgeois », ceux qui, aux yeux de Flaubert, étaient inaptes à comprendre tout ce qui touchait à l'art. Les auteurs du sujet ont pris garde d'avertir l'élève en utilisant à deux reprises le mot «ironie».

Le candidat a cependant commis un contresens en attribuant ces opinions à Flaubert.

Nous reviendrons sur ce point, mais ce qui est important, c'est que, malgré un mauvais départ, cet élève a traité le sujet, susceptible d'être ramené à la question : La poésie peut-elle encore intéresser les hommes d'aujourd'hui ? ou, ce qui revient au même : Le poète a-t-il encore sa place dans le monde moderne ? Texte de la copie Lorsqu'on connaît les conceptions littéraires de Flaubert, son goût pour le réalisme et l'objectivité, ses opinions sur la poésie qui transparaissent parfaitement dans la satire qu'il a faite du romantisme, on est amené à considérer le caractère excessif et trop subjectif de son jugement.

A insi, je ne partage pas sa pensée car je suis convaincu, pour ma part et d'après mon expérience de lecteur, de l'utilité de la poésie et du rôle important qu'elle joue.

Par conséquent, je montrerai son utilité par différents caractères que j'ai trouvés dans la lecture des poèmes : le plaisir qu'elle peut procurer notamment par la beauté qu'elle offre, et son intérêt proprement dit, c'est-à-dire les réflexions qu'elle porte en elle sur certains problèmes généraux et pouvant concerner toute l'humanité.

Je préciserai toujours l'utilité que je dégage de la poésie en fonction de la place qu'elle occupe dans le monde d'aujourd'hui, de sa raison d'être au XXe siècle. Je considère la poésie comme utile aux hommes parce qu'elle peut tout d'abord procurer du plaisir.

Ce plaisir peut provenir de la beauté qu'elle offre.

Par exemple, j'aime lire les poèmes du Parnasse parce qu'ils tendent vers une perfection formelle d'où naît la beauté.

Les poètes parnassiens ont eux-mêmes défini ce culte de la forme dans leur doctrine de l'Art pour l'Art.

Ainsi Heredia dans Les Trophées provoque l'émotion du lecteur qui est, en fait, une réaction esthétique, plastique, par son travail immense sur tous les procédés poétiques, sur le rythme, les sonorités.

L'émotion naît de la force, de l'acuité des sensations, de la réunion des visions qui provient de la richesse du vocabulaire ou encore de l'exactitude de la documentation.

La beauté est aussi engendrée par le souffle épique des descriptions et par le caractère merveilleux de certaines évocations.

Toutes ces caractéristiques, je les ai par exemple trouvées dans le poème « Les conquérants » de Heredia qui est pour moi, à chaque lecture, la source d'une émotion intense et de sensations esthétiques aiguës.

Dans ce poème d'où transparaissent l'élan brutal et héroïque des conquistadores et leur caractère merveilleux s'expriment notamment les langueurs de l'âme devant le mystère.

L'émotion plastique que je ressens à la lecture de ce poème provient toujours de la perfection dans les procédés de style qui doivent retransmettre exactement l'idée ou les sensations contenues dans les vers.

Par exemple le vers : Et les vents alizés inclinaient leurs antennes caractérise parfaitement, par ses allitérations, ce culte de la forme aboutissant à la beauté. Un poème peut aussi offrir de la beauté par l'évasion et le rêve qu'il procure.

Les poèmes des Parnassiens, lorsqu'ils évoquent des civilisations disparues, des mondes inconnus, créent cette sorte d'évasion hors du réel, ce dépaysement intense renforcé souvent par le caractère surnaturel et imaginaire que le poète donne à ses évocations.

Leconte de Lisle, lorsqu'il évoque le rêve intérieur du jaguar, nous emmène dans un monde totalement étranger et presque fantastique et ce dépaysement est toujours renforcé par l'exotisme des descriptions et par la distance aussi bien temporelle que morale ou affective qui sépare le lecteur de l'univers qu'il dépeint.

Cette beauté naît ainsi de la magie et de la féerie de certains poèmes.

Le poème « Recueillement » de Baudelaire contient ce caractère de magie qui apparaît par exemple dans la combinaison harmonieuse d'un décor urbain et de visions irréelles, immatérielles. L'harmonie de cette vision des « défuntes Années » et du « Regret souriant » confondue avec un décor de ville tient aussi à sa nature allégorique.

La féerie du poème provient aussi de ce dialogue imaginaire entre le poète et sa Douleur considérée en même temps comme une partie de lui-même et une personne en quelque sorte bien distincte.

Le plaisir que j'ai éprouvé à la lecture de ce poème naît aussi de son pouvoir de suggestion, présent par exemple lorsque le poète évoque une attente très apaisée de la mort, son approche ressentie très paisiblement à travers un rythme d'où se dégage une impression de lenteur et de douceur : Et comme un long linceul traînant à l'Orient, Entends, ma chère, entends la douce nuit qui marche. Dans ce vers l'impression de lenteur est ressentie grâce notamment aux allitérations en l et à la rime féminine à la fin du vers.

Je pense aussi que tout cet apport de plaisir, de beauté et surtout d'évasion et de rêve que peut contenir un poème est particulièrement nécessaire aux personnes d'aujourd'hui vivant dans un monde et une société qui ont tendance à supprimer le rêve ou l'évasion en étant parfois trop matérialistes ou même trop attentistes.

La poésie peut donc apporter dans le monde actuel une sorte d'équilibre, de mesure, en développant chez les gens le goût et la recherche de la beauté tout à fait accessible dans un poème.

Elle peut donc avoir, en somme, un rôle de complémentarité en favorisant la redécouverte de ces valeurs. Je pense que la poésie contient aussi un intérêt proprement dit dans le sens où elle pose parfois des réflexions d'une grande gravité.

Elle peut, comme tout autre genre littéraire tel que le roman et le théâtre, engendrer une prise de conscience de certains thèmes importants ou encore une inquiétude du lecteur. Baudelaire voulait dans Les Fleurs du Mal montrer la tragédie de l'homme double, un homme soumis à deux postulations simultanées, l'une vers le Bien et l'autre vers le Mal.

Le point de départ de sa réflexion était donc la condition humaine, le déchirement de l'homme, cette lutte perpétuelle entre ses aspirations vers l'Idéal et ses tentations ou ses rechutes vers le Mal.

L'oeuvre de Baudelaire est une réflexion sur le tragique de l'homme ressenti par le poète avec souffrance et angoisse et qui, pour ma part, m'émeut autant que la réflexion d'un romancier ou d'un dramaturge.

La poésie peut donc tout à fait revêtir un rôle moral et philosophique en réfléchissant sur la condition et la destinée humaines, sur le sens de la vie et sur les problèmes éternels en général.

Certains poètes affirment l'intérêt de la poésie lorsqu'ils lui confient une mission civilisatrice ou humanitaire, lorsqu'ils considèrent, comme Victor Hugo, A lfred de V igny, le poète comme un mage, un prophète ou encore un visionnaire, un guide qui conduit les hommes vers la Vérité, qui éclaire leur route en affirmant leur foi en l'humanité et leur confiance optimiste en l'avenir de l'homme.

Ainsi, Victor Hugo dans La Légende des siècles évoque très bien cette conception du rôle du poète en chantant avec cette foi et cet optimisme l'épopée de l'humanité et en proclamant l'avenir et la grandeur de l'homme.

Vigny lui aussi assigne à la poésie la même mission et en montre l'utilité primordiale lorsqu'il déclare sa confiance en la science, en l'humanité et en son progrès dans son poème « La bouteille à la mer».

Baudelaire, lui-même, pensait que la poésie avait un rôle humanitaire et que le poète, grâce en quelque sorte à ses dons, à ses facultés et à son esprit, donnait à l'homme l'intuition d'une dignité étrangère en lui communiquant la vision extatique du Beau et surtout en lui montrant le rôle de l'Art qui contient en lui une part d'immortalité et d'éternité.

Il évoque cette conception de la poésie dans le poème « Les Phares » et aussi dans d'autres poèmes tels que l'un des quatre « Spleen » où il compare le poète au Sphynx de la mythologie et montre qu'il doit comme lui poser des énigmes, des questions sur la condition humaine et la destinée de l'homme, jouer ce rôle de guide.

Je pense que la poésie considérée dans cette optique est utile à l'homme parce qu'elle le rend sensible à certaines grandes questions et le grandit, l'anoblit en favorisant sa prise de conscience au sujet des graves problèmes de sa condition et donc de lui-même.

De plus la poésie me semble encore une fois particulièrement adaptée à notre temps parce qu'elle développe une sensibilité aiguë à certaines grandes questions dans une société qui favorise souvent la facilité et la paresse intellectuelle, le manque d'effort. Mon expérience de lecteur m'a donc révélé l'utilité et l'intérêt de la poésie.

En plus de l'intérêt qu'elle contient, elle m'apporte du plaisir par une activité en même temps enrichissante du point de vue intellectuel.

Je la considère même comme un facteur d'épanouissement et d'équilibre dans un monde qui ne les favorise pas souvent.. »

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