La philosophie tire-t-elle sa valeur de son incertitude même ?

« La philosophie tire-t-elle sa valeur de son incertitude même? La première chose que nous apprenons en philosophie est l'étymologie même du mot qui a donné son nom à la discipline.

Philosophia signifie en grec "amour de la sagesse".

Or Platon dans le Banquet affirme que l'amour est désir de ce que l'on n'a pas, de ce que l'on ne possède pas.

Dans ce sens , la philosophie est une quête, un désir de la sagesse, de la vérité mais elle ne peut et ne pourra jamais la posséder( sinon elle ne serait plus philosophia mais bien sophia, sagesse tout court).

C'est ce que semble confirmer l'existence même de Socrate et sa seule certitude, celle de ne rien savoir.

Pourtant la philosophie n'a-t-elle pas d'autre but, d'autre efficacité que le simple fait de mettre en doute? Ne recherche-t-elle pas la vérité, la certitude? Le doute, l'incertitude n'ont-ils qu'une valeur négative et négatrice? 1.

"La seule chose que je sais c'est que je ne sais rien" La philosophie commence comme telle avec Platon narrant les dialogues de son maître Socrate.

Rappelons brièvement l'histoire de Socrate.

Un oracle avait affirmé que Socrate était le plus sage de tous les hommes, il s'étonne lui-même de ce fait et part questionner les personnes supposées avoir un savoir reconnu.

Il interroge ainsi des généraux, des sophistes,...

et s'aperçoit que tous ces gens qui croyaient savoir ne savent rien, qu'ils ne s'interrogent même pas sur ce qui fait leur métier même.

Il faut donc en conclure que Socrate est le plus sage parce qu'il est le seul à reconnaître qu'il ne sait rien. Platon, dans le Banquet affirme de même que "si l'on est savant, on ne philosophe pas" et que "les ignorants non plus ne philosophent pas". C'est que la philosophie a pour but principale de mettre en doute le monde qui nous entoure, monde qui nous paraît certain dans la vie quotidienne.

La philosophie est donc mouvement de l'esprit qui questionne et s'interroge devant le spectacle du monde. C'est dans ce sens que Socrate passait son temps à poser des questions telles que "qu'est ce que le courage? ", pour nous amener à remettre en cause les mots, les phénomènes qui nous paraissent connus. De même, comme le rappelle Russell, dès que l'on atteint dans un domaine des certitudes, ce domaine quitte la philosophie pour devenir une science.

Ainsi au début de la philosophie, les mathématiques, l'étude de la nature faisaient partie de la philosophie. "Dès qu'une connaissance s'impose à chacun pour des raisons apodictiques, elle devient scientifique, elle cesse d'être philosophie"( K.

Jaspers) 2.

La philosophie cherche tout de même des connaissances certaines Pourtant on ne peut pas dire que l'incertitude, même si elle est le point de départ de la philosophie, soit son but ultime.

La plupart des philosophes cherche des fondements certains à leur travail philosophique.

Pensez à Descartes, il met certes tout en doute, jusqu'à l'existence du monde, mais c'est pour réussir à trouver une vérité évidente qu'il pense avoir trouvé dans le cogito "je pense, je suis".

Le philosophe cherche donc autant que dans les sciences à prouver des vérités. Ainsi, Husserl entend bien créer une science philosophique.

Pour lui "une philosophie scientifique n'est pas une chimère".

Dans sa lignée, Merleau-Ponty décrit "l'ambition du philosophie qui soit science exacte[...

d'une description directe de notre expérience telle qu'elle est." Karl Marx dans une autre mesure assigne un but pratique à la philosophie.

"Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, ce qui emporte, c'est de le transformer."( Thèses sur Feuerbach) 3.

L'incertitude est la méthode philosophique que chacun doit appliquer Pourtant, même si la philosophie cherche à trouver des certitudes, elle met en place le doute comme méthode même de sa recherche, l'incertitude, la mise en question du monde n'est pas seulement son point de départ, elle l'accompagne tout au long de son chemin.

C'est ce qui poussera Descartes à n'accepter que les vérités évidentes qui résistent à tous doutes, à toutes oppositions. Mais il faut bien voir que la philosophie est une affaire personnelle.

Descartes dans ses méditations, décrit une méthode qui oblige chacun à se remettre en question lui-même.

Comme le dit Edmund Husserl, "quiconque veut devenir philosophe "devra une fois dans sa vie" se replier sur soimême et, au dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire."( Médiations cartésiennes) Mais le doute n'est pas que négatif, il ne se borne pas à dire que tout ce qui nous entoure n'existe pas réellement, bien au contraire.

De prime abord, ce doute, cette remise en cause du monde quotidien nous permet de nous sortir de notre sphère individuel.

Russell voit aussi dans la philosophie le moyen de nous détacher de notre vision purement égoïste et utilitaire du monde et nous permettre d'embrasser le monde dans sa totalité et non dans le cercle étroit de notre individualité. "La philosophie mérite d'être étudiée, non pour y trouver des réponses précises, mais plutôt pour la valeur des questions elles-mêmes; en effet, ces questions élargissent notre conception du possible, enrichissent notre imagination intellectuelle."( Hussel, Problèmes de philosophie) La philosophie a pour point de départ la mise en doute du monde qui existe autour de nous et que nous croyons connaître dans la vie de tous les jours.

Elle "diminue l'assurance dogmatique qui ferme l'esprit à toute spéculation" comme dit Russell.

Et pourtant le but de la philosophie est de dépasser ce point de départ, d'arriver à trouver des certitudes et des vérités, bref à constituer une science.

Mais il ne faut pas voir l'incertitude de la philosophie, comme un nihilisme, qui affirme que l'on ne peut rien connaître et qui ne se veut que négatif.

Bien au contraire, le doute, appliqué par chacun dans sa propre existence, permet d'ouvrir de nouveaux horizons, de développer les forces intellectuelles et d'inventer de nouveaux mondes, de nouveaux possibles.. »