La philosophie est-elle un luxe ?
Extrait du document
«
La philosophie est souvent considérée négativement par l'opinion.
On voit en effet, les philosophes comme des individus se posant des
questions sur tout et ne trouvant pas souvent de véritables réponses.
La philosophie apparaît comme une sphère, un domaine totalement
détaché du monde, en retrait.
Elle semble être pure théorie sans application, sans contact avec la réalité.
La philosophie demande dès
lors, à celui qui s'y adonne un temps libre, dénué de toute nécessité vitale.
En effet, pour s'extraire du monde pratique, il faut ne pas
avoir à travailler.
De plus, la philosophie, comme l'affirme Calliclès d a n s l e Gorgias, n e m è n e à rien.
Pourtant, la philosophie ne nous
permet pas de penser par nous-mêmes et de réfléchir profondément à nos actions? N'est-ce pas, en outre parce qu'elle est dégagée de
tout souci utilitaire qu'elle peut avoir une vision et une action bénéfique sur le monde?
La philosophie est en retrait de l'action
Pour Merleau-Ponty, dès qu'il parle, le philosophe se retire du monde et se coupe de toute possibilité
d'action.
Il n'est pas alors reconnu par l'opinion publique comme faisant parti des siens, mais est vu
comme celui qui ne respecte pas les mêmes règles qu'elle et qui vit dans un monde étranger au sien.
"Le philosophe donne à l'homme sérieux - à l'action, à la religion, aux passions - une attention peutêtre plus aiguë que personne, mais c'est là justement qu'on sent qu'il n'en est pas.
[...] Le philosophe
de l'action est peut-être le plus éloigné de l'action : parler de l'action, même avec rigueur et profondeur,
c'est déclarer qu'on ne veut pas agir"
O n peut aussi dire que la philosophie est un luxe, parce qu'elle ne permet pas à l'homme de vivre
mieux matériellement, ni de changer les choses.
Comme l'affirme Épictète, "la philosophie ne s'engage
pas [...] à procurer à l'homme quoi que ce soit d'extérieur"( Entretiens).
De m ê m e , Marx, plus tard,
reproche aux philosophes d e ne pas agir sur le monde, de ne pas participer à ce que le monde
devienne meilleur : " Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières; il s'agit
de le transformer."( Thèse sur Feuerbach)
Mais justement aussi, parce que le philosophe se retire du monde pour le réfléchir, il doit pouvoir être
affranchi de toute préoccupation matérielle.
Il ne doit pas avoir à subvenir à ses besoins ou à travailler.
C o m m e l'indique, Schopenhauer, l'homme dont les facultés intellectuelles le mènent à la réflexion
philosophique, ne peut véritablement réaliser sa nature que si son temps libre est conséquent.
Et dans
le cas contraire, il sera très malheureux, ne pourra pas réfléchir et laisser son esprit agir.
La philosophie permet à chacun de réfléchir par lui-même et à avoir sa propre vision du monde
Il est vrai qu'on peut dire que la philosophie ne livre ni consignes ni modèles pour bien vivre, pas même
l'indication d'un chemin à suivre.
C'est pour cela que Kant affirme que l'on ne peut apprendre la philosophie.
Pour le philosophe, on peut
juste apprendre à philosopher.
"On ne peut qu'apprendre à philosopher, c'est-à-dire à exercer le talent de la raison dans l'application de
ses principes généraux."( Critique de la raison pure)
Philosopher, c'est avant tout penser par soi-même, rompre le cercle des évidences établies par la chaîne du quotidien.
La philosophie est
essentiellement un mouvement d e l'esprit qui questionne et s'interroge devant le spectacle du monde.
Cela peut paraître, en effet,
inutile, mais il faut comprendre que ce mouvement de l'esprit permet à chacun d'avoir une conception générale de l'univers et de la vie,
une sagesse individuelle.
La philosophie permet dès lors à chacun d'agir consciemment et d'après réflexion, d e donner un sens à
l'existence en la dotant de principes et de morales.
"La représentation originelle, propre, que la jeunesse a des objets essentiels, est, pour une part, encore tout à fait indigente et vide, et,
pour une autre part, en son infiniment plus grande partie, elle n'est qu'opinion, illusion, demi-pensée, pensée boiteuse et indéterminée.
"( Hegel) La philosophie donc, seule permet de devenir homme, de sortit de l'enfance de la pensée qui s'illusionne.
Or, s'illusionner, se
tromper sur le monde, c'est aussi s'empêcher d'agir correctement, d e pouvoir avoir u n e maîtrise sur le monde.
Toute science est par
exemple sous-tendue par une vue philosophique.
Le luxe même de la philosophie la rend nécessaire
Le sens commun donne encore raison à Calliclès en tenant la philosophie pour une activité frivole, un jeu intellectuel plus déroutant que
subversif.
La philosophie ne cherche pas à s e faire valoir auprès de l'opinion.
Elle reconnaît même qu'elle n'est pas utile, c'est-à-dire
subordonnée à u n e fin naturelle et préétablie.
Dans notre monde, tout est en effet soumis à une logique purement utilitaire.
Les
techniques par les contraintes qu'elles font peser sur les individus, donnent u n e vision purement utilitaire du monde dépourvue d e
transcendance, d e dimensions symboliques, philosophiques.
La pensée ne s'attache plus à la méditation, au recueillement, parce
qu'infléchie par les idées d'efficacité et d'utilité de la technique omniprésente.
Ce qui met en péril l'essence même de l'homme, en tant
qu'être pensant.
En outre, le doute philosophique, la remise en cause du m o n d e quotidien nous permet d e nous sortir d e notre sphère individuelle.
Russell voit aussi dans la philosophie le moyen d e nous détacher d e notre vision purement égoïste et utilitaire du monde et nous
permettre d'embrasser le monde dans sa totalité et non dans le cercle étroit de notre individualité.
"La philosophie mérite d'être étudiée, non pour y trouver des réponses précises, mais plutôt pour la valeur des questions elles-mêmes;
en effet, ces questions élargissent notre conception du possible, enrichissent notre imagination intellectuelle et diminuent l'assurance
dogmatique qui ferme l'esprit à toute spéculation." (Hussel, Problèmes de philosophie)
La philosophie, donc, parce qu'elle n'est pas soumise à la logique utilitaire du monde, peut permettre à
l'homme de se défaire de cette logique et de retrouver son essence.
Elle permet aussi à tous de sortir
de son égoïsme pour penser pour toute l'humanité et de créer un monde meilleur.
Ainsi, la philosophie apparaît effectivement, c o m m e une activité frivole qui ne poursuit aucun but,
aucune utilité et qui d e m a n d e pour l'individu qui s'y adonne un temps libre, une soustraction à la
nécessité économique et vitale.
Pourtant la philosophie, en apprenant à l'homme à penser, lui permet
d'avoir une vision générale du monde et d'avoir des principes réfléchis pour agir au mieux dans le réel.
Il apparaît donc que c'est parce q u e la philosophie n'est pas soumise à la logique utilitaire et
économique de la société qu'elle peut ouvrir l'homme à d'autres sphères, à d'autre m o n d e que celui
purement égoïste et matériel.
La philosophie est donc nécessaire pour faire de l'homme un être libre et
non esclave de la nécessité et de l'efficacité..
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