La philosophie de Platon nous éloigne-t-elle de la réalité ?
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Dans quelle mesure pouvons-nous être fondés à tenir la philosophie de Platon pour un éloignement de la
réalité ? Parce que, pour le dire d'un mot, elle correspond à ce que l'on appelle la théorie des Idées.
Le platonisme
est donc un idéalisme et, à ce titre, l'ensemble de la doctrine se réduirait à un discours sur des entités qui n'ont pas
de réalité intrinsèque, des abstractions, qui, au lieu de nous rapprocher de la réalité tangible et consistante qui nous
entoure, nous ferait faire un pas dans l'autre direction.
Or, qu'en est-il de la théorie platonicienne sur ce point-là ? Les Idées que défend Platon sont-elles les
concepts vides et généraux que l'on veut bien croire qu'elles sont ? Pour répondre à cette question, nous devons
envisager le platonisme selon une double perspective, à la fois génétique et doctrinale.
Génétique, puisqu'il nous
faut d'abord rendre compte du surgissement de la réflexion platonicienne.
Celle-ci se rattache à la fois aux
conditions politiques, sociales et économiques que connaît la Grèce du 4ème siècle (av J.-C.) et à la
Weltanschauung (la vision du monde) grecque, selon laquelle le concept de réalité a une compréhension différente
de la nôtre.
Doctrinale, puisque la théorie des Idées permet de résoudre un ensemble de problèmes précis :
Comment peut-on connaître quelque chose en vérité et quelle organisation politique adopter ? Ces problèmes nous
obligent donc à opérer le détour par les Idées afin d'informer la réalité que nous percevons avec nos sens et qui, au
demeurant, n'épuise pas le concept de réalité.
I – La genèse du platonisme
Tout système philosophique a la prétention de tenir un discours universel, qui vaudrait en tous temps et
toutes situations ; cependant, force est de reconnaître que l'intuition qui préside à leur naissance s'appuie sur les
conditions historiques qui les accompagnent.
Dès lors, nous pouvons suivre le mot de Nietzsche, selon qui toute
pensée rend compte de la biographie de son auteur, et nous interroger sur le climat qui règne en Grèce à la
naissance de Platon.
Celui-ci voit le jour en ~428, c'est-à-dire deux ans après le déclenchement de la guerre du Péloponnèse, qui
opposera Sparte à Athènes pendant trente années, avant que celle-ci ne s'avoue vaincue.
En ~429, le stratège
Périclès meurt, dont le nom était associé à l'âge d'or de la cité athénienne, période à la fois de paix, d'intense
production culturelle et artistique et de domination, tant sur terre que sur mer.
C'est donc dans une atmosphère
dissolue que Platon vient au monde.
Sur le plan politique, l'ambition et les intrigues personnelles l'emporte sur la
considération du bien collectif, consacrant une indéniable corruption des mœurs.
Alors que les choses semblent
s'arranger en ~403, Athènes sombre de nouveau et, en 399, le peuple condamne Socrate (le maître de Platon) à
boire la ciguë.
Ce suicide forcé est perçu par le disciple comme une trahison.
L'histoire de la philosophie occidentale
s'ouvre sur un meurtre.
C'est dans ces conditions que Platon assiste, impuissant, à la victoire des sophistes.
Ces
rhéteurs, uniquement soucieux d'en remontrer à leurs interlocuteurs et vendant à prix d'or leur habileté de
conversation, s'affichent sur l'agora, interviennent dans les débats politiques et contribuent fortement au déclin de
la cité, désormais livrée aux querelles intestines.
Dès lors, l'enjeu, pour Platon, va être de proposer une solution alternative à cette situation.
Contre un
Protagoras, sophiste de grande notoriété et qui prône que l'homme est la mesure de toutes choses, entendant parlà que les valeurs sont relatives, il va falloir montrer la possibilité d'un savoir vrai, à partir duquel réorganiser le
monde et la vie politique.
Le but de Platon est donc bien de réfléchir à l'amélioration du cadre de vie des hommes
que représente la Cité, mais pour l'accomplir il faut au préalable s'assurer de la possibilité d'un savoir vrai.
C'est à ce
niveau qu'intervient la théorie des Idées, comme la garantie d'un tel savoir.
Or, pour bien la comprendre, il nous
faut évoquer rapidement la vision grecque du monde.
II – La Weltanschauung grecque
Pour les Grecs, l'univers ne possède pas les caractéristiques fondamentales que nous lui reconnaissons
aujourd'hui, dans le sillage de la science galiléenne.
En effet, celle-ci repose sur une loi telle que le principe d'inertie,
qui énonce qu'un mobile en mouvement dans le vide suit la même trajectoire indéfiniment tant qu'aucune force ne
vient s'opposer à lui.
Or, selon cette conception, l'univers apparaît proprement isotopique ; autrement dit, l'espace
est neutre et il n'y a pas de différence d'un point à l'autre de ce même espace.
Tel n'est pas la vision qu'ont les
Grecs, puisqu'ils ne conçoivent pas un univers infini, mais un monde clos, fermé sur lui-même.
Sans entrer dans trop
de détails techniques, il faut retenir que le monde grec correspond à un agencement hiérarchique et scalaire, où
l'harmonie doit prédominer.
Le monde est alors « cosmos », c'est-à-dire littéralement un « bel arrangement ».
C'est
sur la base de cette hiérarchisation du monde et du souci de l'harmonie qu'il nous faut situer l'émergence du
platonisme.
Celui-ci pose à l'origine une coupure (chôrismos) fondamentale entre un domaine de réalités stables,
immuables et par-là même objectivables dans le discours et dans la science, et un domaine de réalités mouvantes,
« indéterminées », qui, réfractaires à leur fixation dans le langage rigoureux et cohérent de la science, ne sont
accessibles qu'à l'opinion.
Cette coupure est celle qui existe entre le monde intelligible et le monde sensible.
Or, loin
d'être une division de la réalité, la césure intelligible/sensible indique deux degrés de réalité distincts.
Dès lors, le
monde sensible correspond aux choses que l'on peut appréhender par les sens, mais aussi à un état de choses
soumis à la sensualité, à l'instabilité et à la démesure du désir, tandis que les Idées symbolisent la permanence de
l'être (par contraste avec le devenir sensible).
Ce qu'il faut donc comprendre, c'est que les Idées ne sont pas des
concepts, forgés par les hommes et admis par convention, mais elles constituent un degré de réalité plus stable et
plus consistant que ce que nos sens nous livrent.
L'idéalisme platonicien est donc tout aussi bien un réalisme (un
réalisme des Idées).
On trouve une bonne illustration de cette thèse dans l'allégorie de la Caverne (La République), où les.
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