LA PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE
Extrait du document
«
Au fond l'histoire intéresse de trop près l'aventure humaine pour n'avoir rien à dire quant au sens de la vie.
La
recherche historique conduit tout naturellement à une réflexion sur les causes, les lois et les fins profondes qui
commandent au cours des événements : c'est pourquoi l'histoire appelle la philosophie de l'histoire, la réflexion sur le
sens de l'histoire.'
La philosophie de l'histoire proprement dite ne doit pas être confondue avec la réflexion d'ordre logique que nous
avons appliquée à l'histoire dans les précédentes sections et qui n'était jamais que la méthodologie et l'épistémologie
de cette science.
La vraie philosophie de l'histoire n'est autre qu'une métaphysique de la destinée humaine saisie au
miroir du devenir de l'humanité, une interprétation du cours des événements en fonction d'une vision du monde et
d'une idée de l'homme.
a) Objection de principe à toute philosophie de l'histoire.
Avant de nous engager dans les diverses philosophies de l'histoire, voyons ce que l'on pourrait opposer a priori à
toute tentative en ce sens.
La principale difficulté vient sans doute de la peine que nous avons à penser d'une façon rationnelle ce qui se passe
dans le temps.
Le devenir se plie malaisément aux exigences de la raison; il garde toujours quelque chose
d'irrationnel ne fut-ce que le jaillissement de l'événement pur et le mystère de l'avenir imprévisible.
Or le propre de
l'histoire c'est d'étudier l'homme et l'humanité dans leur condition temporelle.
L'explication historique rencontre de ce côté de sérieux obstacles.
Que se propose-t-elle ? d'éclairer le passé.
Mais
comment comprendre le passé ? Il se trouve que le présent jette une certaine lumière sur le passé tandis que le
passé explique, à son tour, le présent.
Présent et passé s'expliquent donc l'un par l'autre et nous tournons dans un
cercle.
Le passé de l'Europe peut être compris par rapport à son état actuel qui en est l'aboutissement ou la
conséquence mais inversement l'état présent de l'Europe s'éclaire par ce que l'on sait de la marche des événements
aux siècles antérieurs.
De plus le présent lui-même ne sera vraiment compris que lorsqu'il sera devenu le passé, son propre passé, dans le
recul des âges, c'est-à-dire lorsqu'il aura été son propre avenir.
Or l'avenir a toujours quelque chose d'imprévisible Si
bien que, pour être intelligible, l'histoire du présent devrait précéder l'histoire du passé et de plus, comble du
paradoxe, l'histoire de l'avenir devrait précéder celle du présent!
C'est dire que toute philosophie de l'histoire est difficilement concevable, qui prétendrait donner le sens définitif et
certain, du devenir historique, en le déduisant d'un principe nécessaire.
Pour que ce fût possible, il faudrait qu'on ait
atteint la fin des temps, un stade post-historique où l'histoire serait arrêtée, où il ne se passerait plus rien et où l'on
pourrait enfin d'une façon rétrospective, tracer sans erreur la courbe exacte d'une humanité parvenue au terme de
sa course.
Ou bien encore il faudrait pouvoir sortir du temps, s'élever au-dessus du devenir historique, embrasser
d'un seul regard le passé, le présent et l'avenir, comme l'intelligence supérieure dont parle LAPLACE à propos du
déterminisme universel, bref se placer non plus au point de vue du temps, sub durationis specie, mais au point de
vue de l'éternel ou de l'intemporel, sub aeterni specie.
Il faudrait être Dieu.
Et pourtant l'esprit humain porté vers la métaphysique d'un élan invincible n'hésite pas à pousser la synthèse
historique jusqu'à faire dépendre le cours grandiose des événements d'un principe suprême d'explication totale.
Il
nous faut donc examiner les principales conceptions de l'histoire qui ont pu être proposées dans cet esprit.
b) La philosophie chrétienne de l'histoire.
Exposé.
Le christianisme a toujours eu un aspect et même un caractère foncièrement historique.
Les historiens
actuels s'accordent à reconnaître que la Bible est un livre d'histoire et que la critique historique moderne a pris sa
source dans l'exégèse des textes sacrés.
Plus profondément le christianisme propose une vision historique de la
destinée humaine à la fois sur le plan de l'existence singulière et sur le plan de l'existence de l'humanité.
MARC
BLOCH remarque que c'est dans l'histoire, axe central de toute méditation chrétienne, que se déroule le grand drame
du péché et de la Rédemption.
Chose intéressante à noter, l'Incarnation est alors au centre de l'histoire, tout s'ordonne par rapport à elle comme
les deux versants d'un sommet: ce qui se passe avant et ce qui se passe depuis la venue du CHRIST.
Mais
l'aventure humaine n'a pas une signification seulement temporelle : elle reflète une histoire inscrite dans le ciel,
divine et surnaturelle par conséquent, de même que la nature est l'image de la grâce au monde sensible.
Les
événements ont pour sens profond d'être à l'intersection du temps et de l'éternité.
Discussion.
Dieu une fois posé, il va de soi qu'on ne peut lui refuser de présider à l'évolution du monde non
seulement d'une façon passive mais comme une active Providence.
Il ne s'ensuit pas qu'il soit et qu'il se veuille le
seul acteur du drame historique, ou son seul auteur.
Les hommes ne sont pas de simples figurants dépassés par des
événements dans lesquels ils ne joueraient aucun rôle actif.
A côté de l'action divine, l'action humaine, pour être
seulement de l'ordre des causes secondes, n'en est pas moins efficace et positive.
Nous avons soutenu que la
présence de Dieu exaltait la liberté et la responsabilité humaines au lieu de les diminuer.
En ce sens l'homme fait de
l'histoire sous le regard de Dieu, que ce soit par délégation de sa puissance suprême ou par coopération avec elle.
Cette conception permet de ne pas imputer à Dieu les monstruosités qui jalonnent le cours des événements et qu'on
ne saurait, sans blasphème, attribuer à l'action directe de Dieu.
BOSSUET lui-même admet que Dieu n'agit point
directement sur le cours des événements en dehors de certains cas exceptionnels et qu'il est légitime de rendre
compte des événements par leurs causes secondes.
A faire jouer systématiquement l'explication théologique en histoire, on finit par faire de l'eschatologie.
L'eschatologie est la science des fins dernières de l'univers et de l'humanité.
Elle peut éclairer l'histoire, vécue.
»
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