La perception est-elle toujours subjective ?
Extrait du document
«
[Nous n'avons des objets qui nous entourent
qu'une connaissance imparfaite car relative à nous-mêmes.
Lorsque nous regardons un objet, par exemple, nous ne
voyons qu'une face de cet objet.]
L'objectivité est une illusion
« L'homme est la mesure de toute choses » formule qu'Anatole France interprétait ainsi : « L'homme ne connaîtra de l'univers que
ce qui s'humanisera pour entrer en lui, il ne connaîtra jamais que l'humanité des choses.
» Toute affirmation sur l'univers est relative
à celui qui affirme.
Socrate résume la thèse de Protagoras : « N'arrive-t-il pas parfois qu'au souffle du même vent l'un de nous
frissonne et non l'autre ? Or que dirons-nous alors de ce souffle de vent envisagé tout seul et par rapport à lui-même ? Qu'il est
froid ou qu'il n'est pas froid ? Ou bien en croirons-nous Protagoras : qu'il est froid pour qui frisonne et ne l'est pas pour qui ne
frisonne pas ? » (« Théétète », 152b).
L'affirmation sur un même objet diffère non seulement d'un individu à un autre mais chez le
même individu selon les moments (le monde ne m'apparaît pas de la même façon quand je suis gai ou triste) et même selon les
perspectives d'observation (une tour vue carrée de près paraît ronde de loin).
Pour les sceptiques il n'y a pas de vérités objectives
mais seulement des opinions subjectives toutes différentes.
Le sophiste Protagoras, écrit Diogène Laerce « fut le premier qui déclara que sur toute chose on pouvait faire deux
discours exactement contraires, et il usa de cette méthode ».
Selon Protagoras, « l'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont en tant qu'elles sont, de celles qui ne sont pas
en tant qu'elles ne sont pas » Comment doit-on comprendre cette affirmation ? Non pas, semble-t-il, par référence à un sujet
humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sens individuel du mot homme, « ce qui
revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » (Aristote, « Métaphysique », k,6) ou encore que « telles
m'apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent pour moi ; telles elles t'apparaissent à toi, telles pour toi
elles existent » (Platon, « Théétète », 152,a).
Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinions individuelles portant
sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n'être pas »
(Aristote).
C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de non-contradiction., selon lequel
« il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même
rapport ».
Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné et donc non démontrable.
En effet, d'une part, s'il était
démontrable, il dépendrait d'un autre principe, mais un tel principe supposerait implicitement le rejet du principe contraire et se
fonderait alors sur la conséquence qu'il était sensé démontrer ; on se livrerait donc à une pétition de principe ; et d'autre part,
réclamer la démonstration de toute chose, et donc de ce principe aussi, c'est faire preuve d'une « grossière ignorance »,
puisqu'alors « on irait à l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas démonstration ».
C'est dire qu' « il est
absolument impossible de tout démontrer », et c ‘est dire aussi qu'on ne peut opposer, à ceux qui nient le principe de
contradiction, une démonstration qui le fonderait, au sens fort du terme.
Mais si une telle démonstration est exclue, on peut cependant « établir par réfutation l'impossibilité que la même chose soit et
ne soit pas, pourvu que l'adversaire dise seulement quelque chose ».
Le point de départ, c'est donc le langage, en tant qu'il
est porteur d'une signification déterminée pour celui qui parle et pour son interlocuteur.
Or, précisément, affirmer l'identique
vérité de propositions contradictoires, c'est renoncer au langage.
Si dire « ceci est blanc », alors « blanc » ne signifie plus rien de
déterminé.
Le négateur du principe de contradiction semble parler, mais e fait il « ne dit pas ce qu'il dit » et de ce fait ruine
« tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, avec soi-même ».
En niant ce principe, il nie corrélativement sa
propre négation ; il rend identiques non pas seulement les opposés, mais toutes choses, et les sons qu'il émet, n'ayant plus
de sens définis, ne sont que des bruits.
« Un tel homme, en tant que tel, est dès lors semblable à un végétal."
Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruit aussi
corrélativement la stabilité des choses, des êtres singuliers.
Si le blanc est aussi non-blanc, l'homme non-homme, alors il
n'existe plus aucune différence entre les êtres ; toutes choses sot confondues et « par suite rien n'existe réellement ».
Aucune
chose n'est ce qu'elle est, puisque rien ne possède une nature définie, et « de toute façon, le mot être est à éliminer »
(Platon).
La réfutation des philosophes qui, comme Protagoras, nient le principe de contradiction a donc permis la mise en évidence du
substrat requis par l'idée de vérité.
Celle-ci suppose qu'il existe des êtres possédant une nature définie ; et c'est cette stabilité
ontologique qui fonde en définitive le principe de contradiction dans la sphère de la pensée.
C'est donc l'être qui est mesure et
condition du vrai, et non l'opinion singulière.
« Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc que
tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc qu'en disant que tu l'es nous disons la vérité » (Aristote).
Puisque, s'il est vrai que tout est vrai, le contraire de cette affirmation ne saurait être faux, le relativisme trouve sa vérité dans
le scepticisme.
Dire que tout est vrai, c'est dire tout aussi bien que tout est incertain et que rien ne peut être dit vrai.
Il apparaît que le scepticisme comme le relativisme est une position intenable.
Dès qu'il se dit il se contredit.
Ainsi, toute opinion est valable: du moment qu'une chose m'apparaît vraie, elle est vraie.
Je ne connais qu'une apparence des choses
La doctrine de Protagoras se fonde sur une constatation simple: lorsque je perçois quelque chose, la chose en question m'apparaît,
non en elle-même, mais d'une certaine manière.
Ce qui est loin me paraît minuscule, une statue vue en contre-plongée me paraît
avoir une tête trop petite, et ainsi de suite.
Le monde en lui-même m'est inconnu
Je ne vois jamais les objets tels qu'ils sont, mais selon une certaine perspective qui m'est propre.
Il m'est donc impossible de savoir
à quoi ressemble réellement le monde, ni même comment d'autres que moi perçoivent le monde (un daltonien le verra
certainement différemment)..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Alain: La raison modifie-t-elle la perception sensorielle ?
- DIDEROT: «C'est la perception des rapports qui a donné lieu à l'invention du terme beau.»
- Hume et la perception
- Merleau-Ponty: la perception n'est pas la synthèse de qualités pures
- Certitude subjective et vérité objective