La passion peut-elle résister au temps ?
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Analyse du sujet
• L'analyse des rapports entre la passion et le temps est un problème classique ; mais on n'en profitera pas pour réciter le cours à ce
propos : la question porte plus précisément sur ce que peut être la « résistance » au temps.
• Le verbe « résister » peut être pris dans deux sens, que l'on a intérêt à distinguer : être indifférent à c e que le passage du temps
implique ordinairement d e dégradation et devenir au contraire d e plus en plus intense, ou vouloir ignorer le temps lui-même en
s'affirmant constamment semblable à soi et en s'installant dans 1'« éternité ».
• Objectivement, toute passion est finalement vaincue par la mort : comment apprécier cette « victoire » ultime du temps ?
Introduction
I.
Temps et dégradation
II.
Passion et intensité
III.
Passion et « éternité »
Conclusion
[Introduction]
On reproche souvent à la passion d'être aliénante, ou d'entraîner sa «victime» dans une série d'illusions.
L'une de celles-ci consisterait
notamment à s'affirmer étrangère au temps ordinaire, soit qu'elle prétende échapper à ses effets corrupteurs, soit qu'elle vise à s'installer
dans une éternité finalement fictive.
Dans les deux cas, la passion proposerait des tentations faisant espérer la possibilité de résister au
temps de manière efficace.
Mais une passion peut-elle résister au temps ? Ce qu'elle semble promettre dans ce domaine ne serait-il pas
sa tromperie la plus achevée ?
Temps et dégradation]
Pour la conscience normale et pour ce qu'elle perçoit du monde et des relations qu'elle entretient avec lui, le temps signifie, par sa nature
même, le caractère inéluctable de la dégradation.
L'écoulement qui transforme tout présent en passé, et tout futur en présent (et donc en
passé à m o y e n terme), semble universel : il s'en prend aux corps, à la matière, mais aussi au sens et à la dimension spirituelle de
l'homme.
Dès les débuts de la philosophie, Platon souligne cet aspect corrupteur.
S il en déduit que l'âme doit dès lors se détourner du sensible
(décidément un inconsistant et trop instable) pour ne s'intéresser qu'aux Idées ou Formes, toujours semblables à elles-mêmes et seules
dotées d'un être véritable.
c'est parce qu'il admet que l'âme elle-même est immortelle : par s a nature propre, elle est étrangère au
monde d e la matière où elle ne m-|i mi ne que passagèrement.
Cette conversion vers l'intellectuel suppose un refus de toutes les
passions issues du corps lui-même.
Cela signifie-t-il un refus de toute passion ? Ce n'est pas sûr, si l'on admet l'existence de laissions
tout intellectuelles et étrangères au sensible : la passion pour la vérité ou celle pour le bien.
Par leur orientation, et parce qu'elles
émanent d'une âme elle-même étrangère au temps, elles auraient la possibilité d'ignorer ce dernier.
II est vrai que de telles conceptions supposent une métaphysique particulière, qu'il n'est pas obligatoire d'admettre.
On peut cependant
ajouter que la passion se montre capable de résister, ou m ê m e d'échapper à ce que le temps implique de dégradation d è s q u e l'on
affirme une forme d'immortalité pour l'âme elle-même.
[II.
Passion et intensité]
C'est notamment ce que l'on peut constater dans certaines formes de passion religieuse — alors m ê m e q u e l a mentalité chrétienne a
plutôt la réputation de se méfier des illusions que produit la passion.
Il est vrai que la passion religieuse est rare, elle fait même figure
d'exception puisqu'il s'agit d e celle que vivent les mystiques.
Pour ces derniers, le temps ne condamne nullement l'amour ressenti à
l'égard du divin à décroître ; c'est même plutôt une évolution contraire qui est affirmée : le rapport à Dieu ne cesse, dans la durée, de
devenir plus intense.
Plus le temps s'écoule et plus le mystique quête la fusion avec la divinité, chaque « crise » mystique marquant un
approfondissement du désir.
D e sorte que l'achèvement de ce dernier réside dans la mort — qui sera espérée ou du moins attendue
comme offrant la chance de retrouvailles avec l'Esprit.
Dans ce contexte, le temps de l'existence terrestre apparaît comme un obstacle, mais l'esprit mystique ne cesse de dépasser ce dernier,
en y trouvant, dans ses moments d'exaltation, un avant-goût de la vie éternelle : en révoquant le corps (y compris en le mortifiant), la foi
la plus extrême ignore la signification m ê m e d e la corruption, et parvient d e la sorte ( m ê m e si ce n'est pas, loin d e là, son objectif
premier) à rendre la temporalité insignifiante.
C e qui est ainsi possible à l'amour divin l'est-il pour un amour simplement humain ? Le corps y tient cette fois son rôle, et son
vieillissement est évident, mais la passion parvient à n'en pas tenir compte.
Non qu'elle s'aveugle et refuse de voir la réalité des corps
âgés, mais parce qu'elle choisit de n'en pas tenir compte, préférant se ressourcer inlassablement au moment de sa première apparition,
et maintenant; sa propre intensité comme référence stable relativement au reste du monde, qui change, mais dont le changement
constitue précisément l'horizon sur lequel la permanence de la passion affirme son caractère d'exception.
[III.
Passion et « éternité »]
Lorsque la passion concerne, non un être humain, mais des objets (cas des collectionneurs), elle semble par contre inclure les effets de la
durée dans son exercice même : en contemplant ce qu'il a amassé, le collectionneur a aussi sous les yeux un panorama de sa propre vie.
Mais d'un autre côté, ce qui l'intéresse est beaucoup plus l'état actuel (le dernier achat) de sa collection que son histoire : chaque nouvelle
acquisition est pour lui une façon de vivre le moment présent avec une intensité particulière.
En sorte que sa vie se transforme en une
série de moments forts, équivalents par l'émotion qu'ils lui ont procurée, qui tendent à effacer la chronologie, ne serait-ce qu'en gommant
les temps « morts » qui les séparent.
On objectera bien sûr qu'en fin de compte, toute passion est rattrapée par le temps, puisque le passionné est condamné à mourir, et que
la mort constitue bien la preuve sans appel de la temporalité humaine.
A ceci près que le passionné veut « oublier » cette issue : la passion amoureuse est vécue comme si elle devait durer toujours.
Ce n'est
que « comme si » — mais on peut remarquer qu'il arrive que l'illusion soit, au moins partiellement, confirmée par ce qui advient.
L'histoire
peut en effet conserver le souvenir des couples célèbres, qui s'inscrivent dès lors dans une mémoire collective et échappent ainsi au destin
ordinaire.
De même, les grands collectionneurs peuvent laisser leur nom.
Et ces patronymes ne sont pas seulement des références dans
le passé d'une société, ils constituent aussi des modèles en fonction desquels les générations ultérieures apprendront à vivre, et à
éprouver à leur tour des passions.
[Conclusion]
La passion s'imagine que l'éternité la caractérise.
Si elle a « objectivement » tort dans la mesure où la mort finit toujours par l'interrompre,
ellea néanmoins raison dès lors qu'elle est parfois capable de paraître exemplaire.
Nos propres passions ont été préfigurées par d'autres,
en l'absence desquelles elles ne seraient pas ce qu'elles sont, et elles maintiennent quelque chose de leurs trajectoires..
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